Un an après les manifestations « Femme, Vie, Liberté » les défenseur⸱ses des droits humains sont toujours pris pour cible
Le 16 septembre 2023 marquera le premier anniversaire de la mort de Mahsa (Jina) Amini et Front Line Defenders salue le courage du peuple iranien et des défenseur⸱ses des droits humains qui défendent leurs droits à la vie et à la liberté après sa mort. La mort de cette jeune femme kurde alors qu’elle était détenue par la police des mœurs pour ne pas s’être conformée aux règles discriminatoires du pays en matière de port du voile a provoqué des manifestations dans tout le pays, à partir du 18 septembre 2022. Front Line Defenders suit la situation de plus de 200 défenseur⸱ses des droits humains (DDH), qui sont la cible d’arrestations, de détentions arbitraires et d’actions en justice depuis. En outre, au moins trois défenseur⸱ses des droits humains ont été tués en détention, en plus de deux DDH qui ont été abattus pendant ou immédiatement après une manifestation. Quatre défenseuses des droits humains (FDDH) actives dans les manifestations sont également décédées et leur mort a été déclarée comme un suicide, mais les circonstances entourant ces décès sont très suspectes.
Front Line Defenders a fait part à plusieurs reprises de ses inquiétudes concernant les arrestations massives de défenseur⸱ses des droits humains avant les manifestations, en particulier dans les provinces du Kurdistan et du Gilan. Elle a pu vérifier que des défenseur⸱ses des droits humains avaient été pris pour cible en raison de leur rôle de leader avant les manifestations, comme dans le cas d’au moins deux DDH dont les détentions arbitraires et les inculpations judiciaires ultérieures ont commencé par des mandats d’arrêt “dans le cadre de mesures préventives”. En outre, au cours de cette période, de nombreux membres des familles des DDH ont été menacés, tandis que des défenseur⸱ses ont été violemment arrêtés et ont vu leur domicile perquisitionné. Entre-temps, les autorités iraniennes ont particulièrement ciblé les membres de la société civile, les défenseur⸱ses des droits du travail, les militants contre la peine de mort, les défenseuses des droits humains et celles et ceux qui travaillent en première ligne sur les droits des femmes et des jeunes filles, y compris les activistes qui défendent les droits des minorités ethniques. Par exemple, la défenseuse Golrokh Iraee a été arrêtée le 26 septembre 2022, quelques jours seulement après le début des manifestations. Elle a été immédiatement transférée à l’isolement dans la prison de Qarchak et entendue en vertu d’accusations de “rassemblement et collusion contre la sécurité nationale” pour ses messages sur les réseaux sociaux concernant des manifestants tués ou arrêtés. Le 11 avril 2023, la branche 26 du tribunal révolutionnaire de Téhéran l’a condamnée à cinq années de prison ferme et à une peine complémentaire pour ces chefs d’accusation.
En réponse à l’escalade des violations des droits de l’homme dans le contexte des manifestations, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté la création d’une mission d’enquête sur ces violations en novembre 2022. Alors que les DDH ont continué à être pris pour cible pendant six mois, en février 2023, le système judiciaire iranien a annoncé que le Guide suprême iranien avait gracié 10 000 prisonniers dans le contexte des manifestations en Iran. Parmi les personnes libérées, on compte une douzaine de défenseur⸱ses des droits humains. Cependant, malgré le plan de grâce, dans les semaines qui ont suivi, de nombreux DDH sont restés en prison, certains ont été ré-arrêtés après avoir été libérés, et de nouvelles condamnations lourdes ont été prononcées à l’encontre de plusieurs défenseuses des droits humains, dont Narges Mohammadi et Sepideh Gholian. Par ailleurs, Front Line Defenders a documenté le refus arbitraire d’amnistie de cinq défenseur-ses des droits humains, dont Sarvenaz Ahmadi et Kamyar Fakour.
Tout au long des manifestations, les autorités ont continué à couper l’Internet mobile et à perturber les services de télécommunications, ce qui a considérablement étouffé le droit de manifester et empêché les défenseur⸱ses des droits humains de documenter et de diffuser des informations sur les exactions. Dans le même temps, les autorités ont continué à cibler les défenseur·ses des droits numériques et les experts travaillant sur la liberté de l’Internet, tandis que la sécurité numérique de milliers de manifestants était compromise.
Au cours de l’année écoulée, les autorités iraniennes ont exécuté arbitrairement sept hommes à l’issue de procès manifestement inéquitables en rapport avec les manifestations “Femme, vie, liberté”. Elles utilisent de plus en plus la peine de mort pour susciter la peur parmi les manifestants et ont particulièrement ciblé les DDH dont l’action est axée sur cette question. Le 26 janvier 2023, la branche 26 du tribunal révolutionnaire de Téhéran a condamné par contumace le défenseur des droits humains Arash Sadeghi à cinq ans de prison pour “rassemblement et collusion contre la sécurité nationale” et à sept mois de prison pour “propagande contre l’État”, ainsi qu’à d’autres peines complémentaires. Le 19 décembre 2022, il a été transféré de la prison d’Evin au Pénitencier du Grand Téhéran, puis transféré à nouveau dans le quartier 4 d’Evin, après avoir signalé, depuis la prison, l’exécution imminente d’un manifestant le 12 décembre 2022.
En mai 2023, des manifestations ont également eu lieu pour protester contre une série d’empoisonnements délibérés d’écolières dans tout le pays. Ces empoisonnements ont été commis en représailles contre des femmes et des jeunes filles qui revendiquaient leur droit de ne pas se conformer aux règles discriminatoires de l’Iran en matière de port du voile et de participer à des manifestations. En raison de leur participation aux manifestations “Femme, vie, liberté”, ainsi qu’aux manifestations contre cette campagne d’empoisonnement, de nombreux professeurs d’université, enseignants, étudiants, syndicalistes et défenseur·ses du droit à l’éducation sont pris pour cible par les autorités iraniennes. Le 21 novembre 2022, Atekeh Rajabi a été licenciée de son poste d’enseignante à l’école primaire en raison de son engagement dans les manifestations de septembre 2022. Le 24 septembre 2022, la défenseuse a entamé une grève en refusant d’aller à l’école pour réclamer justice et la libération des défenseur·ses des droits des enseignants emprisonnés. Le comité de surveillance des infractions commises par le personnel du ministère de l’Éducation, dans la branche de la province de Razavi Khorasan, a rendu un verdict sur son cas. Selon ce verdict, le licenciement de la défenseuse des droits humains a été décidé pour trois raisons : son absence continue du travail du 24 septembre 2022 jusqu’à ce que le verdict soit rendu ; non-respect des règles sur le port obligatoire du voile dans le pays ; et publication de vidéos d’elle sans hijab sur les médias sociaux, en train de parler de sa participation à des grèves dans les écoles pour soutenir les enseignants détenus. Selon le Coordinating Council of Iranian Teachers' Trade Association (CCITTA), depuis le début des manifestations, au moins dix défenseur·ses des droits des enseignants ont été licenciés et plus de vingt ont été contraints de prendre leur retraite, tandis que plus de 200 ont déclaré avoir perdu des avantages professionnels tels que leur grade, ce qui peut avoir une incidence sur leur échelle salariale et leurs pensions au moment de la retraite.
Bien qu’une année se soit écoulée depuis le début des manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini et que l’attention de la communauté internationale sur la crise se soit quelque peu estompée, les défenseur⸱ses des droits humains restent exposés à des risques élevés et continuent de subir des violations des droits humains. La communauté internationale doit maintenir la pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles libèrent les DDH emprisonnés, notamment Narges Mohammadi, Golrokh Iraee, Bahareh Hedayat, Sepideh Gholian, Nasrin Javadi, Vida Rabbani, Sarvenaz Ahmadi, Soha Mortezaie, Fariba Kamalabadi, Mahvash Shahriari (Sabet), Afif Naimi, Esmail Abdi, Reza Shahabi, Hassan Saidi, Amirsalar Davoudi, Rasoul Bodaghi, Mehdi Mahmoudian, Kamyar Fakour et Jafar Ebrahimi. En outre, Front Line Defenders demande instamment aux autorités iraniennes d’abandonner toutes les charges et condamnations injustement prononcées contre les défenseur⸱ses des droits humains dont Arash Sadeghi, Nasim Soltanbeygi, Jina Modares Gorji, Zia Nabavi, Farzaneh Zilabi, et Atekeh Rajabi. Les autorités iraniennes devraient cesser d’utiliser l’acharnement judiciaire comme une épée de Damoclès pour cibler les défenseur⸱ses des droits humains en Iran, et garantir que ces derniers puissent mener leurs activités légitimes dans le domaine des droits humains sans craindre de représailles contre eux-mêmes ou leur famille. Enfin, les autorités iraniennes devraient collaborer avec la mission d’enquête des Nations unies, notamment pour enquêter de manière impartiale sur les assassinats de défenseur⸱ses des droits humains dans le contexte des manifestations, en vue de publier les résultats et de traduire les responsables en justice.
Front Line Defenders est solidaire du peuple iranien, en particulier des femmes et des défenseur⸱ses des droits humains qui défendent leurs droits légitimes, y compris leur droit à la vie et à la liberté. Le mouvement “Femme, vie, liberté” est également soutenu à long terme, en grande partie grâce au travail des défenseur⸱ses des droits humains en Iran.