Risque d’expulsion judiciaire des défenseur⸱ses des droits humains des communautés de Bribri à Salitre
Depuis plusieurs années, la communauté autochtone Bribri au Costa Rica se consacre à la défense de son territoire illégalement occupé par des non autochtones. Le 2 novembre 2019, la communauté autochtone a réussi à récupérer le territoire situé dans la ferme Kapleña, dans la ville de Puente, dans la région de Salitre, au sud du Costa Rica, qui était occupé illégalement par un intrus non autochtone. Suite à cela, l’occupant illégal a entamé des procédures judiciaires contre les peuples autochtones, qui a abouti à l’ordonnance d’expulsion judiciaire rendue en juin 2022, mais qui n’a pas été mise en œuvre. Toutefois, le 8 juin 2023, le ministère de la Sécurité publique a demandé des éclaircissements au tribunal agraire concernant la possibilité de procéder à l’exécution de l’ordre d’expulsion émis contre la communauté autochtone. Cette demande fait suite à la décision prise par la Chambre constitutionnelle du Costa Rica dans une autre affaire, qui a décidé que les expulsions judiciaires dans le territoire récupéré par les peuples autochtones aux intrus illégaux étaient inadmissibles. Front Line Defenders est préoccupée par le risque que représente l’exécution de l’ordre d’expulsion judiciaire pour le peuple Bribri, qui ignorerait le précédent constitutionnel qui protège leur droit à la terre.
Le peuple Bribri est un groupe indigène composé de plusieurs clans unis de manière matrilinéaire, où tous ses membres sont des personnes nées de mères Bribri et qui est situé principalement dans la région de Salitre et Cabagra, dans le sud du Costa Rica. En tant qu’héritiers de la terre, défenseurs de l’Iriria — leur terre sacrée, ils ont œuvré pendant plusieurs années pour récupérer leur territoire, illégalement occupé de facto par des non autochtones, en utilisant des moyens non violents respectant la légalité. Depuis 2010, ils ont lancé un vaste mouvement de récupération des terres, au moyen d’actions de protestation, de visibilité de leur revendication du droit à la terre et d’occupation pacifique du territoire, face à l’absence de réponse de l’État pour remédier à leur situation. À cause de leur travail en faveur de leurs droits humains, ils font face à la violence, aux menaces et à la violation de leur droit à la terre. En 2015, la Commission interaméricaine des droits humains leur a accordé des mesures de précaution et a ordonné au gouvernement costaricain d’adopter des mesures pour protéger la vie et l’intégrité physique des peuples Bribri et Brörán. Cependant, ces mesures n’ont pas été appliquées par les autorités malgré les attaques continues contre les défenseur·ses des droits des peuples autochtones.
La ferme Kapleña est située dans la ville de Puente, dans la région de Salitre au sud du Costa Rica et est la terre de la communauté Bribri. La ferme se compose de 55 acres et jusqu’au 2 novembre 2019, elle était occupée illégalement par un intrus non autochtone, que la communauté Bribri accuse entre autres d’attaques violentes, y compris tentative de meurtre, d’agression armée, de menaces et d’attaques avec des substances chimiques. Le 2 novembre 2019, les peuples autochtones Bribri ont réussi à récupérer le territoire occupé de la ferme Kapleña. Cependant, à la suite d’une injonction provisoire déposée par un intrus non autochtone devant le tribunal civil, du travail et de la famille de Buenos Aires (Affaires agraires) par la sentence 40-2021, en juin 2022, l’expulsion du peuple Bribri de leurs terres ancestrales a été ordonnée.
Face à l’ordre d’expulsion, le 11 juillet 2022, les porte-parole et membres du Conseil Ditsö Irìria Ajkö nu k Wakpa (CODIAW), une organisation appartenant au peuple Bribri de Salitre, a présenté officiellement une demande au ministre de la Sécurité publique pour la Déclaration de Vulnérabilité sociale de l’expulsion de la ferme Kapleña. Le but de la demande était d’éviter l’exécution de l’ordre d’expulsion en demandant au ministre de la Sécurité publique de déclarer leur vulnérabilité sociale face à une expulsion en raison des droits des peuples autochtones concernés.
La question de l’occupation illégale des terres des peuples autochtones Bribri remonte à plusieurs années lorsque des usurpateurs non autochtones ont commencé à arriver sur le territoire et à acquérir des terres illégalement, comme l’a déterminé la Cour constitutionnelle du Costa Rica dans sa résolution 2022024725 du 19 octobre 2022. Cette situation représente une source de conflit social et de violence pour le peuple autochtone Bribri, qui sont attaqués en représailles à leurs actions pour défendre leur territoire, accompagnée de l’impunité pour les auteurs de ces attaques.
L’assassinat en mars 2019 du dirigeant autochtone Bribri, Sergio Rojas, qui défendait les droits des peuples autochtones face à l’occupation illégale de leurs territoires, illustre la situation. À l’époque, Sergio Rojas bénéficiait des mesures de précaution de la CIDH. Bien que le 24 septembre 2020, le parquet ait informé la famille de Sergio Rojas de sa décision de clore l’enquête sur son assassinat après une enquête brève et inadéquate, la procédure est toujours en cours étant donné que le 14 juin 2023, le juge a rendu une décision négative à la demande du Procureur.
De même, Minor Ortíz Delgado, défenseur indigène Bribri, est fréquemment la cible de menaces de mort et d’attaques, et a été victime d’au moins six tentatives d’assassinat. Après la dernière tentative d’assassinat en mars 2020, au cours de laquelle il a reçu une balle dans la jambe, l’auteur a été libéré et a tout simplement reçu l’ordre de garder une certaine distance avec Minor Ortíz Delgado. Ces mesures n’ont pas été respectées. Malgré de nombreuses plaintes formelles et les signalements de menaces de mort contre le défenseur et sa famille déposés auprès des autorités, aucune mesure concrète n’a encore été mise en œuvre pour protéger la vie et l’intégrité du défenseur Minor Ortíz Delgado.
Dans ce contexte de violence croissante contre le peuple Bribri, et de leurs efforts continus pour dénoncer les violations devant les instances nationales et internationales, la communauté a obtenu en 2015 des mesures de précaution internationales (MC-312-12) de la CIDH. Toutefois, ces mesures de précaution ne sont pas respectées. Depuis 2019, deux membres de la communauté ont été tués et des dizaines d’autres ont été la cible de tirs, grièvement blessés, expulsés de force et menacés de mort.
Ainsi, la demande de clarification déposée le 8 juin 2023 par le Ministère de la Sécurité publique devant le Tribunal agraire, qui est chargé de statuer sur le caractère exécutoire de l’actuelle ordonnance d’expulsion contre les peuples Bribri de la ferme Kapleña, implique le retour du risque d’expulsion.
Front Line Defenders est préoccupée par l’exécution possible de l’ordre d’expulsion contre des membres du peuple Bribri. Il est présumé que ces actes de violence et de harcèlement contre les peuples autochtones sont liés à leur activité légitime en faveur des droits humains.
Front Line Defenders est préoccupée par la demande de clarification formulée par le ministère de la Sécurité publique, car une éventuelle réponse positive pourrait signifier que l’ordre d’expulsion de la communauté Bribri sera exécuté. Front Line Defenders pense que ces actes de violence et de harcèlement contre les indigènes Bribri sont des représailles contre leurs activités légitimes en faveur des droits humains. Front Line Defenders réitère son inquiétude face au climat d’impunité et au manque de protection des défenseurs des droits humains et en particulier des peuples autochtones au Costa Rica et exhorte les autorités du Costa Rica à ouvrir immédiatement une enquête approfondie et impartiale sur les actes de violence et d’intimidation contre le peuple autochtone Bribri, ainsi que de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de la communauté Bribri, et de tous ceux qui défendent le droit à la terre.