Dans le contexte de l'épidémie de COVID-19, libérez les défenseur-ses des droits humains injustement emprisonnés
Compte tenu de tous les avertissements émis sur les dangers que le COVID-19 représente pour la population carcérale, Front Line Defenders demande la libération de tous les défenseur-ses des droits humains emprisonnés qui, étant donné les mauvaises conditions dans lesquelles ils sont souvent détenus, sont gravement menacés par la pandémie. Les cellules surpeuplées, le refus de soins médicaux appropriés et les conditions insalubres dans de nombreuses prisons du monde entier font craindre que le virus ne se propage rapidement parmi les détenus, y compris parmi les défenseur-ses des droits humains incarcérés. Ces risques sont exacerbés par la mauvaise santé de nombreux défenseur-ses injustement emprisonnés. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des populations carcérales ainsi que des risques que cela représente pour le personnel pénitentiaire, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits humains, Michelle Bachelet, a appelé les gouvernements à réduire le nombre de personnes en détention et à "libérer toutes les personnes détenues sans base légale suffisante, y compris prisonniers politiques et autres personnes détenues simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes». Ces risques sont exacerbés par la mauvaise santé de nombreux défenseur-ses injustement emprisonnés. Front Line Defenders attire particulièrement l'attention sur les dix défenseur-ses des droits humains purgeant de longues peines de prison qui sont présentés dans la campagne Set Them Free (Libérez-les) lancée par l'organisation.
L'Iran est l'un des pays les plus gravement touchés par la pandémie. Les familles des prisonniers ont signalé plusieurs cas dans les prisons Evin, Zanjan et Rajai Shahr, où de nombreux défenseur-ses des droits humains sont détenus arbitrairement. Bien que les autorités iraniennes aient temporairement libéré 85 000 prisonniers en réponse à l'épidémie de COVID-19, de nombreux défenseur-ses des droits humains sont toujours emprisonnés. Il s'agit notamment d'Atena Daemi, Narges Mohammadi et Nasrin Sotoudeh, qui purgent toutes de lourdes peines de prison en Iran en raison de leur travail en faveur des droits humains, pour avoir milité contre la peine de mort et soutenu les familles des prisonniers politiques. Atena Daemi et Narges Mohammadi se sont vu refuser des soins médicaux, leur santé s'étant détériorée en prison, tandis que Nasrin Sotoudeh, qui purge 38 ans à la prison Evin, a entamé une grève de la faim le 17 mars pour exiger la liberté de tous les prisonniers politiques.
Tandis que la Chine continue de nier sa persécution des Ouïghours et d'autres minorités musulmanes malgré des preuves bien documentées, la sonnette d'alarme a été tirée au niveau international face au risque d'une épidémie massive de COVID-19 dans les camps d'internement et les prisons du Xinjiang. L'annonce de l'arrivée de l'épidémie de COVID-19 dans les prisons de plusieurs provinces chinoises accentue les inquiétudes quant à la vulnérabilité des personnes détenues dans les camps et les prisons du Xinjiang. Parmi les personnes à risque se trouve Ilham Tohti, universitaire ouïghour et défenseur des droits humains qui, avant son arrestation en janvier 2014, a travaillé pacifiquement pendant plus de deux décennies pour renforcer la compréhension entre les Chinois Han et les Ouïghours. Il purge une peine de prison à vie et sa détention au secret soulève de vives inquiétudes concernant son traitement et l'accès à des soins médicaux.
Le 6 avril 2020, la Cour suprême du Kirghizistan doit réexaminer le cas d'Azimjan Askarov L'audience pourrait être retardée en raison de l'état d'urgence récemment déclaré dans le pays à cause du COVID-19. Le défenseur des droits humains, âgé de 69 ans, est privé de liberté depuis 2010 et sa santé s'est considérablement dégradée depuis qu'il est détenu. L'appel devant la Cour Suprême est sa dernière chance d'obtenir justice. En septembre 2010, le défenseur des droits humains a été condamné à la réclusion à perpétuité pour "avoir organisé des émeutes de masse, incitation au conflit ethnique et complicité dans le meurtre d'un policier". Selon une déclaration du Comité des droits de l'Homme de l'ONU en avril 2016, Azimjan Askarov a été arbitrairement arrêté, détenu dans des conditions inhumaines, torturé, maltraité et n'a pas été soigné convenablement pour un état médical grave. Après avoir passé 10 ans derrière les barreaux et enduré des conditions inhumaines et des traitements cruels, la santé du défenseur s'est considérablement détériorée, ce qui le rend extrêmement vulnérable aux maladies infectieuses.
Dawit Isaak est un journaliste et défenseur des droits humains suédo-érythréen, emprisonné et détenu au secret en Érythrée depuis 2001, sans inculpation ni jugement. Selon certaines sources, Dawit Isaak est placé à l'isolement dans des conditions horribles et il est torturé, ce qui a un impact significatif sur sa santé. Alors que les autorités érythréennes ont annoncé un cas confirmé de COVID-19, il est extrêmement difficile d'obtenir des informations fiables ; une épidémie se propagerait probablement rapidement parmi la population carcérale.
Mohamed Al-Roken purge une peine de 10 ans de prison aux Émirats arabes unis en raison de son travail en tant qu'avocat en droits humains par le biais duquel il défend d'autres militants réprimés par le gouvernement. Il purge sa peine dans la prison Al-Razeen située dans le désert, où les détenus sont exposés à des températures extrêmement élevées et extrêmement basses, et la climatisation aurait été délibérément coupée. En prison, Mohamed Al-Roken est régulièrement placé à l’isolement sans accès à la lumière du jour. Il aurait été soumis à des tortures sonores qui ont aggravé ses problèmes de tension artérielle et l'accès à des soins médicaux lui aurait été refusé. Les experts des procédures spéciales de l'ONU ont récemment exhorté les autorités émiriennes à changer ces conditions de détention dégradantes.
Abdulhadi Al-Khawaja, défenseur des droits humains bahreïni et ancien coordinateur de protection de Front Line Defenders pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, a été arrêté et torturé lors de la répression des manifestations pro-démocratie au Bahreïn en 2011. Il a ensuite été soumis à un simulacre de procès et condamné à la prison à vie. Reconnaissant les risques encourus par les détenus dans les circonstances actuelles, le 12 mars 2020, le roi Hamad bin Isa Al Khalifa a publié un décret accordant la grâce à 901 détenus "pour raisons humanitaires". 585 autres détenus purgeront le reste de leur peine dans le cadre de programmes de réadaptation et de formation. Abdulhadi Al-Khawaja est toujours emprisonné.
Le cas de Germain Rukuki est un exemple emblématique des efforts constants des autorités burundaises pour faire taire les défenseur-ses des droits humains. Il est détenu depuis son arrestation en juillet 2017. Le 26 avril 2018, il a été condamné à 32 ans de prison pour "rébellion", "atteinte à la sécurité de l'État", "participation à un mouvement insurrectionnel" et "attaque contre le chef de l'État", en lien avec son travail pacifique au sein de l'organisation ACAT-Burundi qui plaide pour l'abolition de la torture et de la peine de mort. Le défenseur des droits humains est détenu à la prison de Ngozi, où certaines sources font état de conditions insalubres, d'un approvisionnement insuffisant en nourriture et en eau, de cellules surpeuplées et d'inondations régulières. La santé de Germain Rukuki s'est détériorée depuis qu'il s'est cassé la jambe en juin 2019. Jusqu'à récemment, les responsables de la prison lui ont refusé de voir un médecin à l'extérieur de la prison. Sa demande de libération sous caution pour raisons médicales et humanitaires a été refusée.
Au Mexique, Pablo López Alavéz est emprisonné arbitrairement depuis 2010 en vertu de fausses accusations de meurtre à cause de son travail pour la défense de l'environnement et des droits du peuple indigène zapotèque. Suite à son travail pour sensibiliser le public au le rôle de la forêt en tant que source d'eau durable et suite à ses actions pour dénoncer les violations des droits humains découlant de l'exploitation illégale de la forêt dans la région, il a été arrêté, soumis à un procès inéquitable et, malgré l'absence de toute preuve à charge tangible, il a été condamné à 30 ans de prison.
Le cas de Pablo López Alavéz illustre l'utilisation systématique de la criminalisation en tant que représailles contre les dirigeants autochtones qui travaillent pour la défense des terres et des territoires, et, en particulier, ceux qui luttent pour protéger les ressources environnementales de l'exploitation illégale. En avril 2017, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a reconnu le caractère arbitraire de la détention de Pablo López Alavéz et a recommandé sa libération, ainsi qu'une pleine compensation et réparation. Les autorités mexicaines n'ont pas respecté leurs obligations internationales en matière de droits humains et le défenseur est toujours emprisonné à ce jour.
Comme l'illustrent les cas ci-dessus, les défenseur-ses des droits humains sont souvent détenus dans des conditions inhumaines et surpeuplées, et souvent sans accès à des soins médicaux appropriés. S'ils étaient infectés par le COVID-19, il est très peu probable qu'ils reçoivent un traitement médical adéquat. Front Line Defenders est profondément préoccupée par le maintien de l'emprisonnement des défenseur-ses à travers le monde malgré leur exposition et leur risque élevé de contracter le COVID-19. Elle exhorte les gouvernements à libérer immédiatement et sans condition tous les défenseur-ses des droits humains, y compris ceux nommés ci-dessus, à leur fournir les soins médicaux appropriés et à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir leur intégrité physique et psychologique et leur sécurité.