Déclaration — Crimée (Ukraine) : Les avocats en droits humains Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov radiés du Barreau
Depuis l’occupation de la Crimée par la Russie en 2014, les autorités persécutent sans relâche les Tatars de Crimée et d’autres personnes qui critiquent les violations des droits humains perpétrées par la Russie dans la péninsule. En réponse à l’abondance croissante d’affaires politiques intentées contre les militants d’Euromaïdan, les représentants du Mejlis du peuple tatar de Crimée (interdit en Russie en 2016), les activistes du centre culturel ukrainien et les représentants du parti politique islamique Hizb ut-Tahrir, l’initiative « Crimean Solidarity » a été lancée. Cette initiative soutient les victimes de persécution politique en documentant les violations des droits humains, en fournissant de l’aide juridique, en observant les procès et en soutenant les familles des victimes. Les avocats qui travaillent sur des affaires politiques en Crimée sont rapidement devenus des cibles majeures pour les autorités, étant régulièrement victimes de harcèlement, de menaces, de poursuites judiciaires, de perquisitions, de sanctions disciplinaires et de menaces d’être radiés du barreau. Le 15 juillet 2022, le Barreau de la République tchétchène de la Fédération de Russie a radié les avocats Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov. Front Line Defenders condamne la radiation des avocats et la recrudescence des actions ciblées contre les avocats en droits humains en Crimée par les autorités russes.
Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov sont les principaux avocats en droits humains en Crimée qui défendent les droits des Tatars de Crimée — un groupe ethnique minoritaire qui est devenu une cible importante de persécution par les autorités, aux côtés des militants de la société civile et des journalistes. Lilia Hemedzhy est l’une des initiatrices de l’école des défenseur·ses publics en Crimée et en 2019, le gouvernement néerlandais lui a remis le Prix de la tulipe des droits de l’Homme.
Le 15 juillet 2022, le Barreau de la République tchétchène de la Fédération de Russie a radié les avocats en droits humains Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov, pour avoir soi-disant enfreint la procédure relative au transfert d’un barreau à un autre. À l’heure actuelle, les avocats ne peuvent pas participer à des affaires criminelles et ne sont pas admissibles à passer un examen pour récupérer leur statut professionnel pendant un an.
Le 28 avril 2022, le Barreau tchétchène a reçu une plainte du ministère de la Justice de la République tchétchène, demandant que les statuts professionnels juridiques de Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov soient révoqués. Avant cela, le ministre criméen de l’Intérieur, Pavel Karanda, a fait appel au ministère de la Justice pour la République tchétchène en demandant de mener une enquête sur le travail des avocats en droits humains « au cas où ils violeraient la législation actuelle de la Fédération de Russie ». Pavel Karanda aurait averti le barreau tchétchène que si sa demande était ignorée, le ministère russe de la Justice et le Barreau fédéral chercheraient à savoir dans quelle mesure les membres de la Commission de qualification du Barreau tchétchène remplissent leurs fonctions professionnellement.
La procédure de radiation a eu lieu sans la participation de Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov. Les avocats n’ont pas reçu les documents qui ont servi de base à l’enquête, et ils n’ont pas eu l’occasion de s’opposer à leur radiation. Bien que Lilia Hemedzhy ait été informée un jour avant la date et l’heure de la réunion de la commission de qualification sur la décision de sa radiation, Nazim Sheikhmambetov et Rustem Kyamilev n’ont pas été informés du tout. Ils prévoient de faire appel de la décision devant les tribunaux et devant le Barreau fédéral.
En raison des pressions et des menaces exercées par les représentants du Barreau de Crimée, les avocats n’avaient pas été autorisés à obtenir des licences d’avocat en Crimée. Par conséquent, ils avaient décidé de soumettre leurs documents au Barreau de la République tchétchène et ils ont reçu leur statut professionnel légal en 2019.
Depuis un certain temps, les avocats des droits de la personne tentaient de transférer leur statut du Barreau de la République tchétchène au Barreau de Crimée. Le 27 mars 2020, Rustem Kyamilev a déposé une demande concernant le transfert de son adhésion du barreau tchétchène au barreau de Crimée, et a demandé que les informations pertinentes soient inscrites au registre régional. La demande de Rustem Kyamilev n’a été examinée que quatre mois plus tard. Le 10 juillet 2020, le Barreau de Crimée a conclu que « le statut de l’avocat Kyamilev en Tchétchénie n’est pas impeccable ». Le Barreau de Crimée a donc refusé l’admission de Rustem Kyamilev. Nazim Sheikhmambetov a déposé une demande de cessation volontaire de son statut professionnel légal en Tchétchénie, et en janvier 2022, avec Lilya Hemedzhy, ils ont présenté les documents pour leur transfert au Barreau de Crimée. Cependant, les deux avocats se sont vu refuser ce transfert. Le Barreau de Crimée a examiné la demande pendant plusieurs mois, ce qui est devenu la base formelle pour les priver de leur licence légale.
Ce n’est pas la première tentative visant à entraver le travail des avocats en droits humains en Crimée. En 2017 et 2018, Emil Kurbedinov, lauréat du Prix Front Line Defenders 2017, a été condamné à dix et cinq jours d’arrestation administrative pour « distribution publique de documents extrémistes ». Les deux accusations étaient liées au même message posté sur différents réseaux sociaux en 2013, qui affichait les symboles du Hizb ut-Tahrir. Le Hizb ut-Tahrir est interdit en Russie, car il est considéré comme une organisation terroriste, mais il opère légalement en Ukraine. Peu après sa libération, Emil Kurbedinov et le Barreau de Crimée ont reçu une lettre du ministère russe de la Justice demandant que l’avocat soit exclu du Barreau. Le Barreau de Crimée a envisagé la possibilité d’exclure Emil Kurbedinov de la liste de ses fondateurs et membres, mais a décidé de maintenir son adhésion après avoir établi une commission spéciale à cet effet.
Lilia Hemedzhy est ciblée pour son travail en faveur des droits humains depuis de nombreuses années. En octobre 2018, lors d’une réunion de Crimean Solidarity, Lilia Hemedzhy et Edem Semedlyaev ont reçu des « avertissements » en tant qu’organisateurs présumés d’activités extrémistes. Emil Kurbedinov a reçu les mêmes avertissements quelques jours plus tard. En février 2020, la présidente du Barreau de la République tchétchène a entamé des procédures disciplinaires contre Lilia Hemedzhy, pour une publication sur Internet dans laquelle elle déclarait que la plupart des Tatars de Crimée sont poursuivis pour des accusations de « terrorisme ». Le vice-président du Barreau de la République tchétchène, qui a complété les procédures, a déclaré que Lilia Hemedzhy a violé l’éthique professionnelle d’un avocat, mais aucune sanction disciplinaire n’a été prise contre elle. En août 2020, alors que Lilia Hemedzhy représentait le défenseur des droits humains Server Mustafayev devant le tribunal militaire du district sud de Rostov-sur-le-Don, le juge a rendu une décision spéciale. Lilia Hemedzhy a demandé trois fois de faire venir un témoin, mais le juge n’a pas répondu. Lorsque l’avocate a continué à parler, le juge aurait levé à voix contre elle et a quitté la salle d’audience ; il est revenu une heure plus tard avec la décision spéciale.
Le 26 mai 2022, Nazim Sheikhmambetov a été arrêté lors d’une audience alors qu’il représentait son collègue Edem Semedlyaev, et a été condamné à 8 jours de détention administrative. Depuis l’automne 2021, Edem Semedlyaev a passé 12 jours en détention administrative et a reçu deux amendes. Nazim Sheikhmambetov a représenté Edem Semedlyaev pour avoir soi-disant « discréditer les actions des forces armées russes » après avoir été tagué dans un message sur Facebook. Deux collègues de Nazim Sheikhmambetov, les avocats Ayder Azamatov et Emine Avamileva, ont été arrêtés un jour après lui. Ayder Azamatov a été condamné à 8 jours d’arrestation administrative, tandis qu’Emine Avamileva a été condamnée à 5 jours. Les accusations étaient fondées sur un événement qui s’est déroulé en octobre 2021 devant l’entrée du poste de police ; les avocats et leurs auditeurs s’étaient réunis à l’extérieur pour faire des déclarations à la presse. La cour a conclu que ce rassemblement était un rassemblement illégal de citoyens.
Front Line Defenders condamne la radiation de Lilia Hemedzhy, Rustem Kyamilev et Nazim Sheikhmambetov. Elle estime que leur radiation du Barreau est une mesure de représailles claire contre leur travail légitime et pacifique en tant qu’avocats en droits humains et pour avoir exprimé leurs préoccupations au sujet des violations continues des droits humains en Crimée. Le ciblage et la persécution systémique des avocats en droits humains par les autorités russes font partie d’une tendance inquiétante en Crimée depuis son annexion en 2014. Cette persécution systémique comprend des poursuites judiciaires soutenues, des descentes dans les bureaux, des sanctions disciplinaires, des menaces de radiation et des radiations effectives du Barreau. Front Line Defenders exhorte les autorités russes à mettre fin à tous les actes de harcèlement, y compris aux niveaux administratif et judiciaire, contre tous les défenseur⸱ses des droits humains et avocats en Crimée.