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1 Août 2024

Des organisations alertent sur la détention arbitraire, la longue détention préventive et l’imposition de lourdes peines contre les défenseur⸱ses des droits humains autochtones criminalisés

Les organisations signataires expriment leur profonde inquiétude face au contexte de criminalisation auquel sont confrontés les leaders autochtones qui défendent les droits humains au Mexique. Ils sont confrontés à des détentions arbitraires, à de longues détentions préventives et à des peines de prison injustes, excessives et disproportionnées, qui affectent leur travail en faveur des droits humains et leur vie personnelle, familiale et communautaire. Les cas de David Hernández Salazar et Pablo López Alavez dans l’État d’Oaxaca, Kenia Hernández Montalván et Tomás Martínez Mandujano dans l’État de Mexico, ainsi que Saúl Rosales Meléndez dans l’État de Tlaxcala, Versaín Velasco García et les défenseurs mayas-tseltal San Juan Cancuc, Agustín Pérez Velasco, Martín Pérez Domínguez, Juan Velasco Aguilar et Agustín Pérez Domínguez dans l’État du Chiapas, illustrent ce schéma préoccupant de persécution et de criminalisation.

En février 2024, le défenseur autochtone Binniza David Hernández Salazar, membre de l’Assemblée des peuples indigènes de l’Isthme pour la défense de la terre et du territoire (APIIDTT) et représentant de la communauté autochtone de Puente Madera à Oaxaca, a été condamné à 46 ans et 6 mois d’emprisonnement pour dommages causés par le feu et blessures volontaires. Cette accusation et cette condamnation ont été prononcées en représailles contre son opposition pacifique à l’installation du « Polo de Desarrollo (pôle de développement) à San Blas sur leurs terres communes d’El Pitayal, dans le cadre du projet de corridor interocéanique de l’isthme de Tehuantepec (CIIT). En février 2024, la défense a fait appel du verdict et, en mai, il a été acquitté par la Cour supérieure de justice de l’État d’Oaxaca. La campagne de criminalisation et judiciaire menée contre lui a commencé en 2021 ; pendant cette période, il a fait l’objet de deux procès fédéraux et d’un procès au niveau de l’État, qui ont tous été clos, et il a finalement été acquitté et n’a fait l’objet d’aucune inculpation.

En 2010, le leader autochtone zapotèque Pablo López Alavez a été arrêté arbitrairement. 14 ans plus tard, son dossier est toujours au stade de l’enquête et n’a pas fait l’objet d’une condamnation. Le leader zapotèque fait l’objet d’accusations fabriquées de toutes pièces en représailles à sa position de leader communautaire qui défend l’eau et l’environnement de la communauté de San Isidro Aloápam, à Oaxaca. Pablo López reste injustement privé de liberté alors que sa criminalisation et les graves violations des droits humains dont il est victime sont reconnues au niveau international avec des appels à sa libération ainsi que des avis tels que l’avis numéro 23/2017 du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire.

Depuis 2022, Kenia Hernández Montalván, avocate et défenseuse des droits humains de la communauté autochtone Amuzga, purge une peine de 21 ans et 9 mois de prison après avoir été condamnée à deux reprises en moins d’un mois à 10 ans d’emprisonnement pour le crime fabriqué de toutes pièces de « vol avec violence ». Kenia était la coordinatrice du collectif libertaire Zapata Vive, où elle défendait le droit à la terre et les droits collectifs des peuples autochtones menacés par les projets de développement menés par l’État mexicain. À ce jour, la défenseuse fait face à neuf accusations en représailles contre son travail pacifique de résistance et de défense. En mai 2022, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseur⸱ses des droits humains, le groupe de travail sur la détention arbitraire et le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones ont écrit aux autorités mexicaines pour leur faire part de leurs préoccupations concernant son cas. Après la réponse des autorités mexicaines, la Rapporteuse spéciale sur les défenseur⸱ses des droits humains a appelé à la libération immédiate de Kenia Hernández Montalván.

En janvier 2024, Tomás Martínez Mandujano, leader autochtone otomí, maçon et défenseur des droits humains de la communauté de Llano Grande Azcapotzaltongo, dans l’État de Mexico, a été condamné à 43 ans et 9 mois de prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis. La condamnation était un acte de représailles contre ses actions en faveur de la défense des terres communautaires, dont ils ont la propriété ancestrale, contre les intérêts privés des sociétés immobilières qui cherchent à les exploiter pour leur facilité d’accès aux ressources en eau.

En mars 2024, le leader indigène nahua et président de la communauté de San Pedro Tlalcuapan, dans l’État de Tlaxcala, Saúl Rosales Meléndez, a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Sa condamnation est le résultat de l’incapacité des autorités à enquêter sur les cas de lynchage, de plus en plus fréquents dans la région, qui a été utilisée contre Saúl Rosales Meléndez pour avoir mené la campagne de défense de la forêt de la montagne Matlalcueyetl, également connue sous le nom de La Malinche, face aux dégâts environnementaux causés par les activités d’extraction sans consultation de la communauté. Le raisonnement qui a conduit à la condamnation est basé sur des stéréotypes négatifs concernant le rôle que Saúl Rosales Meléndez a joué en tant que président de la communauté, en lui attribuant les usages et coutumes qu’il aurait autorisés lorsque le crime a été commis. Le défenseur des droits humains est détenu depuis le 14 juillet 2022.

En janvier 2024, le défenseur des droits humains et du droit à la terre du peuple Maya Tzotzil Versaín Velasco García a été condamné à 58 ans de prison après avoir injustement été accusé d’homicide. Versaín Velasco García est victime de harcèlement et de criminalisation parce qu’il défend activement les droits humains dans la communauté de Nueva Palestina, au Chiapas ; il dénonce de nombreux cas d’abus de pouvoir et des événements violents, notamment des abus sexuels commis par les forces de sécurité, ainsi que des cas liés au crime organisé et à la traite des êtres humains, et des homicides. Le défenseur est détenu depuis janvier 2022. Le 31 août 2023, la Commission nationale des droits humains a publié la RECOMMANDATION NO. 157/2023 à propos des violations des droits humains perpétrées contre lui, sa femme, ses deux enfants et sa sœur.

Les défenseurs communautaires du peuple Maya Tseltal de San Juan Cancuc Agustín Pérez Velasco, Martín Pérez Domínguez, Juan Velasco Aguilar et Agustín Pérez Domínguez ont été condamnés à 25 ans de prison pour un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Ils ont été arrêtés en 2022 par les autorités de l’État, dont des membres de l’armée mexicaine et de la garde nationale. L’État les a empêchés de témoigner pour leur défense. Ils ont été d’abord été condamnés en mai 2023, et après une procédure d’appel complexe, le procès a été rétabli, mais ils ont été à nouveau condamnés, ce qui a provoqué une situation d’épuisement émotionnel et financier. Cette condamnation a été prononcée en représailles contre leur travail en faveur du droit à l’autonomie et à l’autodétermination du peuple maya tzeltal, et a mis en lumière l’opposition de la population de Cancuc au projet de méga-autoroute qui doit relier San Cristóbal à Palenque.

La criminalisation, la détention arbitraire, la longue détention préventive et la condamnation à des peines de prison excessives sur la base d’accusations fabriquées de toute pièce et infondées à l’encontre des défenseur⸱ses des droits humains qui font partie des peuples autochtones du Mexique sont devenues une tendance alarmante qui témoigne d’un modèle de racisme et de violence disproportionnée de la part de l’État mexicain. Ce schéma de détention arbitraire à l’encontre de défenseur·ses des droits humains, principalement autochtones, a été identifié au niveau international. Ces violations visent à démobiliser le mouvement en faveur des droits collectifs des peuples autochtones, ce qui a un impact non seulement sur la vie individuelle et familiale des défenseur⸱ses des droits humains criminalisés, mais aussi sur la réalisation de leurs droits collectifs en tant que communautés autochtones.

La détention arbitraire, la longue détention préventive et les peines d’emprisonnement prononcées à l’encontre de ces défenseur·ses sont si sévères qu’elles pourraient être qualifiées d’« emprisonnement à vie informel ». Cela porte atteinte pas au principe de proportionnalité et peut même être assimilé à un traitement cruel, inhumain et dégradant, car cela prive la personne détenue de la possibilité de se réadapter et de se réinsérer dans la société et dans sa communauté, ce qui est l’objectif de l’imposition de peines d’emprisonnement en droit pénal.

En outre, le fait que le système judiciaire ne tienne pas compte des effets des peines d’emprisonnement sur les populations autochtones est préoccupant. La Cour interaméricaine des droits de l’homme affirme que « la séparation des personnes autochtones de leur communauté et de leur territoire, éléments fondamentaux de leur identité culturelle, peut entraîner une profonde souffrance qui va au-delà de celle inhérente à l’enfermement en prison et peut avoir un impact négatif sur les membres de la communauté autochtone ».

Ce qui précède est en accord avec le sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui affirme que « les liens communautaires déterminent la structure de l’identité individuelle et collective des membres de la communauté, et l’emprisonnement sape directement ces liens », au point que « pour de nombreux autochtones, l’emprisonnement constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant, et même une forme de torture ».

Au vu de ce qui précède, les organisations signataires rejettent l’utilisation abusive du droit pénal visant à restreindre le travail des défenseur⸱ses des droits humains, en particulier ceux qui appartiennent aux peuples autochtones et défendent leurs droits, car cela porte atteinte à leur droit à une identité culturelle et à leur lien avec la communauté. De même, non seulement cela limite le droit des peuples autochtones à défendre leurs intérêts et leurs droits collectifs, mais cela viole également leur identité et leur unité en déplaçant leurs membres vers des centres pénitentiaires pour y purger des peines disproportionnées et injustifiables.

Les organisations signataires demandent instamment aux autorités mexicaines de respecter les normes internationales en matière de droits humains pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains, ainsi que les normes relatives aux peuples autochtones, afin d’éviter l’utilisation abusive du droit pénal pour restreindre le travail de celles et ceux qui défendent les droits de leurs communautés et de leurs peuples. Il est également important d’appliquer une approche interculturelle différenciée dans ces cas. Les leaders autochtones et défenseur⸱ses des droits humains David Hernández Salazar, Pablo López Alavez, Kenia Hernández Montalván, Tomás Martínez Mandujano, Saúl Rosales Meléndez, Versaín Velasco García, Agustín Pérez Velasco, Martín Pérez Domínguez, Juan Velasco Aguilar et Agustín Pérez Domínguez doivent être immédiatement libérés, les charges sans fondement retenues contre eux doivent être abandonnées et ils doivent recevoir une compensation appropriée pour les préjudices qu’ils ont subis.

Signataires :

• Asamblea de Pueblos Indígenas del Istmo en Defensa de la Tierra y el Territorio (APIIDTT)• Fray Bartolomé de las Casas Human Rights Center (Frayba)• Centro de Derechos Humanos Zeferino Ladrillero• Consorcio para el Diálogo Parlamentario y la Equidad Oaxaca (Consorcio Oaxaca)• Front Line Defenders• Red Nacional de Organismos Civiles de Derechos Humanos “Todos los Derechos para Todas, Todos y Todes” (Red TDT)• Colectivo de Saneamiento y Restauración de la Malintzi Tlalcuapan

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