Équateur : Audience à venir dans l’affaire des six défenseurs de l’environnement et des droits humains criminalisés dans la province de Bolívar
Le 4 décembre 2024, les défenseurs des droits humains Ángel Luis Rochina Rochina, Luis Enrique Borja Andrade, Luis Arnulfo Caiza Caiza, Mauricio Freddy Díaz Sánchez, Ángel Oswaldo Lumbi Lara et Carlos Napoleón Yunapanta Tocta vont comparaître devant la cour de justice de la province de Bolívar pour faire appel du verdict de culpabilité prononcé à leur encontre en mai 2024 dans le cadre d’une affaire intentée contre eux en représailles contre leur travail de protection des droits humains et de la nature en Équateur.
Les six défenseurs des droits humains et de l’environnement sont issus des communautés des cantons de Las Naves, Echeandía et Guaranda, tous trois situés dans la province de Bolívar. Avec les membres de leur communauté, dont la plupart sont de petits agriculteurs, ils œuvrent activement pour la protection de leurs territoires contre les effets négatifs de l’exploitation minière, en particulier depuis 2006, depuis l’annonce de l’arrivée de la société équatorienne Curimining S.A., filiale des sociétés canadiennes Salazar Resources Ltd. et Silvercorp Metals Inc. Depuis lors, les communautés ont adressé une série de demandes à l’État afin d’être incluses dans les processus de consultation concernant les activités minières dans la région, mais elles n’ont reçu aucune réponse positive. Face au manque d’engagement des autorités, ils ont organisé des manifestations pacifiques pour réclamer leur droit à participer au processus d’autorisation environnementale nécessaire à la mise en œuvre du projet.
Les défenseurs accusent l’État, et plus particulièrement le ministère de l’Environnement, de l’eau et de l’écotransition (MAATE), de ne pas avoir communiqué aux communautés des informations claires et accessibles sur la portée des projets, leurs impacts sociaux et environnementaux et les mesures qui auraient pu être adoptées pour empêcher l’octroi des licences. Les communautés reprochent également à l’État d’avoir lancé le processus de consultation à la fin de l’année 2023 sans en avoir dûment informé les communautés concernées.
Dans le cadre du projet minier Curipamba - El Domo de l’entreprise Curimining S.A., les nombreuses requêtes des communautés ont entraîné des représailles de la part des autorités et de la société minière. À ce jour, Front Line Defenders a documenté les cas de criminalisation de 18 défenseurs des droits humains liés au projet Curipamba - El Domo.
Le 22 janvier 2024, le MAATE a délivré une licence environnementale pour la phase d’exploitation du projet minier de cuivre et d’or Curipamba - El Domo, malgré les plaintes des défenseurs des droits humains, selon lesquelles la consultation s’est déroulée sans la participation citoyenne et communautaire requise pour sa validité. Curimining S.A. a annoncé que cette licence a été obtenue avec l’approbation de 98 % de la population de Las Naves. Cependant, comme l’ont constaté les défenseurs des droits humains, seules 150 personnes ont assisté à la réunion, dont un grand nombre de travailleurs de l’entreprise et de membres de leur famille, alors que la population totale de ces communautés s’élève à environ 7 000 personnes. En outre, les consultations n’ont impliqué que les membres de sept communautés de Las Naves, alors que dix autres communautés seraient également affectées par le projet. Enfin, les défenseurs ont également mis en évidence d’autres irrégularités, notamment que des documents contenant des informations sur le projet et les réponses aux questions des communautés ont été distribués par l’entreprise et non par l’État.
Le 15 mai 2024, les six défenseurs des droits humains ont été condamnés à trois ans de prison et à une amende équivalente à 600 dollars américains à verser à la multinationale Curimining S.A. après avoir été reconnus coupables d’association illicite. Cette accusation a été formulée pour la première fois en 2021 et promue par le parquet général d’Équateur avec le soutien de Curimining S.A. en tant qu’accusateur privé. Les six défenseurs des droits humains et de l’environnement sont accusés d’avoir comploté pour endommager les machines et les installations du projet Curipamba - El Domo. Néanmoins, les défenseurs des droits humains ont affirmé et montré qu’au fil des ans, leurs actions ont été menées pacifiquement, par le biais de marches et de manifestations arborant des affiches avec des slogans en faveur de la défense de l’eau et de la nature.
Avant la condamnation, le 18 mars 2024, le représentant des Nations Unies en Amérique du Sud, Jan Jarab, s’est entretenu avec des représentants des communautés paysannes et leur a fait part de sa préoccupation quant à la situation actuelle des communautés paysannes en Équateur. La semaine suivante, le 25 mars 2024, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains des Nations Unies, Mary Lawlor, a également exprimé sa préoccupation concernant la situation des communautés et les projets miniers sur leurs territoires. En mai 2024, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains des Nations Unies, le groupe de travail sur les entreprises et les droits humains et d’autres mandats de l’ONU ont également publié une déclaration exprimant leur inquiétude quant au non-respect des normes internationales en matière de droits humains et à l’incapacité de l’État équatorien à garantir le respect des droits humains dans le cadre de projets miniers, y compris dans le cas des communautés de Las Naves.
Front Line Defenders salue les efforts de la communauté internationale pour dénoncer la situation et donner de la visibilité à l’affaire, mais souligne que cela n’exclut pas la nécessité d’une plus grande présence et d’un accompagnement par les institutions équatoriennes de défense des droits humains, qui jusqu’à présent n’ont pas joué le rôle fondamental qu’elles pourraient jouer dans la protection du droit des communautés à défendre les droits humains.
Front Line Defenders exprime son inquiétude quant à l’intensification récente des activités minières en Équateur, qui accentue la pression sur les communautés paysannes, afrodescendantes et autochtones à travers le pays, tout en détériorant la situation des droits humains et les conditions environnementales. Front Line Defenders est également préoccupée par le fait que les défenseurs des droits humains soient criminalisés pour avoir exercé leur droit d’agir en faveur des droits humains, de protester pacifiquement et de défendre un environnement sain, des droits soutenus par des instruments internationaux tels que la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains et l’Accord d’Escazú, tous deux signés par l’Équateur.
Front Line Defenders partage les préoccupations exprimées par les institutions internationales et souhaite faire part de son inquiétude concernant la criminalisation et l’emprisonnement potentiels des défenseurs des droits humains Ángel Luis Rochina Rochina, Luis Enrique Borja Andrade, Luis Arnulfo Caiza Caiza, Mauricio Freddy Díaz Sánchez, Ángel Oswaldo Lumbi Lara et Carlos Napoleón Yunapanta Tocta. Front Line Defenders pense qu’ils sont criminalisés à cause de leur leadership au sein de leurs communautés et de leur plaidoyer pour mobiliser contre les impacts socio-environnementaux négatifs du projet minier Curipamba-El Domo sur leurs communautés. De même, Front Line Defenders souligne le manque de protection des droits humains et des droits collectifs garantis, tel que le droit à une consultation préalable appropriée dans le cadre des projets miniers nationaux et internationaux mis en œuvre dans le pays.
Front Line Defenders considère ce cas de criminalisation comme un exemple clair de l’utilisation abusive du système judiciaire pour harceler et réduire au silence le travail des défenseur⸱ses des droits humains en Équateur, en particulier ceux qui protègent les droits à la terre et l’environnement face aux projets d’extraction dans leurs territoires. Si la condamnation est confirmée, elle pourrait créer un précédent dangereux et négatif pour le droit de défendre les droits humains en Équateur.
Front Line Defenders exhorte les autorités équatoriennes à :
- Abandonner les poursuites judiciaires contre les défenseurs des droits humains Ángel Luis Rochina Rochina, Luis Enrique Borja Andrade, Luis Arnulfo Caiza Caiza, Mauricio Freddy Díaz Sánchez, Ángel Oswaldo Lumbi Lara et Carlos Napoleón Yunapanta Tocta, car il semble que l’affaire soit uniquement motivée par leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains et de l’environnement ;
- Souligner l’importance du rôle du bureau du médiateur pour accompagner l’affaire, car elle est un cas potentiellement emblématique de violations des droits humains et car elle constitue un possible précédent négatif sur le droit de défendre les droits humains en Équateur ;
- Veiller à ce que les communautés touchées par le projet minier Curipamba - El Domo bénéficient d’un accès approprié au processus de consultation et qu’elles puissent participer efficacement à la prise de décision concernant tout projet affectant leurs territoires ;
- Garantir qu’en toutes circonstances, tous les défenseur·ses des droits humains en Équateur puissent mener à bien leurs actions en faveur des droits humains, sans craindre ni restrictions ni représailles, conformément aux obligations internationales du pays en matière de droits humains ;
- Élaborer des mesures de protection efficaces, en consultation avec les défenseurs des droits humains, pour les défenseurs des droits humains et de l’environnement confrontés à des situations de risque, de harcèlement et de menaces à cause de leur travail de protection des droits humains et de l’environnement.