Le bilan des EAU en matière de droits humains avant la COP28
DÉCLARATION CONJOINTE
Les autorités des Émirats arabes unis (EAU) poursuivent leurs attaques soutenues contre les droits humains et les libertés, notamment en ciblant les activistes, en adoptant des lois répressives et en utilisant le système de justice pénale comme outil pour éradiquer le mouvement des droits humains. Ces politiques ont entraîné la fermeture de l’espace civique, de graves restrictions à la liberté d’expression, en ligne et hors ligne, ainsi que la criminalisation de la dissidence pacifique.
Depuis plus de 10 ans, les autorités des Émirats arabes unis détiennent injustement au moins 60 défenseur·ses des droits humains, militants de la société civile et les dissidents politiques qui ont été arrêtés en 2012 pour avoir demandé des réformes et plus de démocratie ou pour leur affiliation à la Reform and Social Guidance Association (al-Islah). Certains membres de ce groupe, communément appelés les « EAU94 » en raison du nombre de prévenus lors du procès de masse, ont été victimes de disparition forcée, de torture et d’autres mauvais traitements. Ils ont été condamnés à des peines allant de 7 à 15 ans de prison lors d’un procès en 2013 qui n’a pas respecté les normes minimales de procès équitable.
Plus des trois quarts de ces prisonniers ont purgé leur peine, mais ils sont toujours en détention arbitraire. Les autorités des Émirats arabes unis refusent de les libérer, alléguant qu’ils représentent toujours une « menace terroriste » ; elles se basent sur des lois vagues qui permettent leur détention indéfinie, en violation flagrante du droit international relatif aux droits humains.
La liste des 60 détenus comprend des défenseurs des droits humains, des militants, des universitaires, des avocats, des professeurs d’université et des membres de la famille royale, comme le Dr Mohammed Al-Roken, un éminent avocat spécialisé en droits humains ; le Dr Mohammed Al-Mansoori, un expert juridique ; Hadef Al-Owais, le doyen de l’École supérieure de l’Université des Émirats arabes unis, et le Cheikh Sultan Al-Qasimi de la famille dirigeante de l’émirat de Ras Al-Khaimah.
D’ici mi-2023, bon nombre des détenus auront passé près de 11 ans derrière les barreaux. Certains se sont vu refuser les visites familiales et toute communication avec leurs proches jusqu’à cinq ans.
Pendant ce temps, certains membres de leur famille sont victimes de représailles incessantes. Dans certains cas, les autorités des EAU ont arbitrairement déchu certains détenus et leur famille de leur citoyenneté, les privant de leurs droits en tant que ressortissants émiratis et faisant d’eux des apatrides. Dans d’autres cas, les autorités ont imposé des interdictions de voyager aux membres de leur famille, les ont empêchés d’étudier ou de travailler et ont gelé leurs comptes bancaires. En novembre 2021, Muhammad Al-Nuaimi, le fils d’Ahmed Al-Nuaimi, l’un des accusés des UAE94 qui vit en exil volontaire depuis 2012, est décédé aux Émirats arabes unis. Muhammad avait été placé sous le coup d’une interdiction de voyager en représailles à l’activisme de son père, l’empêchant de rejoindre ses parents et ses cinq frères et sœurs.
Le gouvernement des Émirats arabes unis a également injustement emprisonné d’autres émiratis et étrangers au cours de la dernière décennie, comme l’universitaire Dr Nasser bin Ghaith, l’éminent blogueur et lauréat du prix Martin Ennals 2015 Ahmed Mansoor, Abdulrahman Al-Nahhas, un ressortissant syrien et Ahmed Al-Atoum un ressortissant jordanien. Abdullah Al-Helou, dont la peine de prison a pris fin il y a 6 ans, et Abdulwahed Al-Badi, un ingénieur dont la peine s’est achevée il y a 5 ans, font partie des personnes qui sont toujours en prison des années après avoir purgé leur peine.
Ces dernières années, les autorités des Émirats arabes unis ont également adopté une nouvelle loi sur la cybercriminalité (n° 34 de 2021) pour restreindre l’activisme et la dissidence en ligne et ont adopté une loi prévoyant la création d’un Centre national Munasaha (n° 28 de 2019) dans le but présumé de « suivre et de réhabiliter les porteurs de pensées terroristes, extrémistes ou déviantes », élargissant la portée de la loi antiterroriste de 2014 qui permet déjà la détention indéfinie de prisonniers de conscience à des fins de « suivi ».
Alors que les Émirats arabes unis accueilleront la 28e Conférence des Nations Unies sur le climat (COP28) du 30 novembre au 12 décembre 2023, nous exprimons notre profonde préoccupation concernant la situation des droits humains dans les EAU, en particulier les restrictions sévères imposées par les autorités sur les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, qui entravent gravement le travail de la société civile et l’espace pour la dissidence politique dans le pays.
En outre, le gouvernement des Émirats arabes unis pourrait tenter d’utiliser sa présidence de la COP28 pour promouvoir cyniquement une image d’ouverture et de tolérance, bien que le pays ne respecte pas les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Les EAU sont l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde, et les fonds issus de leur vaste industrie des combustibles fossiles représentent la majorité des revenus du gouvernement des Émirats. L’Abu Dhabi National Oil Company, la principale société de combustibles fossiles des EAU, a récemment annoncé l’expansion de tous les aspects de ses activités, malgré un consensus croissant selon lequel il ne peut y avoir de nouvelles exploitations de pétrole, de gaz ou de charbon si les gouvernements veulent atteindre les objectifs climatiques mondiaux et protéger les droits humains.
Les groupes de la société civile craignent que les restrictions sévères imposées par les autorités des EAU ces dernières années ne nuisent à la participation pleine et significative des journalistes, des militants, des défenseur⸱ses des droits humains, de la société civile, des groupes de la jeunesse et des représentants des peuples autochtones à la COP28.
Les progrès en matière de justice climatique et de droits humains requièrent une approche holistique de la conception et de la mise en œuvre de la politique environnementale, qui comprend la lutte contre les injustices sociales enracinées dans l’histoire, la destruction de l’environnement, les effets disproportionnés des changements climatiques sur les communautés marginalisées, les graves abus commis par les entreprises, la corruption, l’impunité et les inégalités sociales et économiques. Les voix les plus importantes qui s’élèvent contre ces problèmes systémiques en faveur d’une action climatique significative et ambitieuse viennent de la société civile.
Les acteurs de la société civile auront du mal à jouer efficacement leur rôle pour réclamer des mesures ambitieuses afin de faire face à la crise climatique dans un pays dont le gouvernement a un bilan si consternant en matière de droits humains. C’est pourquoi les Émirats arabes unis, en tant que pays hôte de la COP28, mettent en péril tout résultat potentiellement positif du sommet s’ils ne cessent pas de toute urgence leurs violations des droits humains et ne lèvent pas les restrictions sur l’espace civique.
La communauté internationale, notamment les organisations de défense des droits humains et les experts des Nations Unies, documente les violations continues commises par les autorités des EAU depuis 2011.
Depuis 2013, les EAU figurent dans tous les rapports annuels du Secrétaire général des Nations Unies sur l’intimidation et les représailles contre ceux qui cherchent à coopérer ou qui coopèrent avec l’ONU, démontrant le harcèlement continu auquel sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains aux Émirats arabes unis. Le rapport de 2021 décrit « les cas de détentions arbitraires, les longues peines de prison et le recours à la législation antiterroriste pour cibler les défenseur⸱ses des droits humains [aux EAU], y compris ceux qui font l’objet de représailles pour leur coopération avec les Nations Unies », et critique « Loi n° 7 sur la lutte contre les infractions de terrorisme (2014), notant que la définition trop générale des organisations terroristes pourrait gravement limiter le travail des défenseur⸱ses des droits humains, notamment leur aptitude à participer à des forums internationaux ».
En juillet 2022, le Comité des Nations Unies contre la torture, dans ses observations finales à la suite de l’examen des EAU, a exprimé « ses préoccupations particulières quant au fait que des rapports aient reçu des détails sur un schéma de torture et de mauvais traitements infligés aux défenseur⸱ses des droits humains et aux personnes accusées d’infractions relatives à la sécurité de l’État qui, en vertu des charges liées à la sécurité de l’État ou au terrorisme portées contre elles, sont soumises à un régime juridique comportant des garanties procédurales moins nombreuses et plus restrictives. »
En septembre 2022, le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires a publié une allégation générale sur le schéma de disparitions forcées aux EAU, contenant 12 questions aux autorités émiraties. Toutefois, jusqu’à maintenant, elles n’ont pas répondu. Dans le même temps, les autorités continuent d’empêcher les experts de l’ONU d’effectuer des missions de recherche dans le pays et de visiter les prisons et les centres de détention.
Recommandations :
1. Libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leurs droits humains.
2. Mettre fin aux abus et au harcèlement des personnes critiques, des défenseur·ses des droits humains, des membres de l’opposition politique et de leur famille.
3. Modifier toutes les lois répressives qui violent les droits humains, y compris la Loi antiterroriste, le Code pénal et la Loi sur la cybercriminalité, et les mettre en conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains.
4. Fermer tous les centres de détention secrets.
5. Mettre fin aux restrictions contre les organisations de la société civile et autoriser la création d’institutions civiles entièrement indépendantes.
6. Mettre fin aux restrictions de l’espace civique et défendre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique afin de permettre la participation significative de la société civile et des peuples autochtones à la COP28.
7. Garantir que la COP 28 donne un résultat ambitieux et conforme aux droits humains, notamment par l’adoption d’un appel à tous les États à éliminer progressivement tous les combustibles fossiles et toutes les subventions aux combustibles fossiles pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Signataires :
Access Now
Amnesty International
ALQST for Human Rights
Arab Organisation for Human Rights in the UK
Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE)
AVT-UAE
Center for International Policy
CIVICUS
Commission internationale des juristes (ICJ)
Democracy for the Arab World Now (DAWN)
Emirates Detainees Advocacy Centre (EDAC)
Emirates Centre for Human Rights
Euro-Med Human Rights Monitor
Egyptian Human Rights Forum (EHRF)
Egyptian initiative for Personal Rights (EIPR)
Front Line Defenders
Geneva Council for Rights and Liberties
Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
Global Witness
Grassroots Global Justice Alliance
Grassroots International
Human Rights Watch (HRW)
Human Rights Solidarity/Geneva
IFEX
International Campaign for Freedom in the UAE (ICFUAE)
International Centre for Justice and Human Rights (ICJHR)
International Service for Human Rights (ISHR)
LAMU WOMEN ALLIANCE
MENA Rights Group
Migrants Workers Voice
No Peace Without Justice
Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
Presente.org
Project on Middle East Democracy (POMED)
Rights Realization Centre
Réseau des jeunes pour le développement communautaire
Salam for Democracy and Human Rights
Sierra Leone School Green Club
Skyline International for human rights
Stop Wapenhandel
The Freedom Initiative (FI)
Women are Change Agents