Turquie : Le harcèlement des défenseur⸱ses des droits humains dans la région touchée par le séisme doit cesser
Front Line Defenders est profondément préoccupée par les rapports de violence, de harcèlement juridique, d’arrestations arbitraires et de menaces contre les défenseur⸱ses des droits humains dans les régions touchées par le séisme dévastateur en Turquie et appelle les autorités turques à ne pas entraver leur travail. Les défenseur⸱ses des droits humains perçus comme critiquant le gouvernement sont spécifiquement ciblés par les forces de sécurité sur le terrain.
Le 27 février 2023, la défenseuse des droits humains Pelin Songül Çiçek, membre de Mor Dayanışma (Purple Solidarity), et d’autres volontaires humanitaires ont été harcelés verbalement et arbitrairement arrêtés par les forces de sécurité dans la province de Hatay alors qu’ils distribuaient de l’aide et conversaient avec la population locale. Mor Dayanışma est une organisation de défense des droits des femmes de Hatay ; elle est présente sur le terrain depuis le début des opérations de secours.
Au petit matin du 27 février 2023, Pelin Songül Çiçek et deux autres volontaires se sont rendus dans le village de Güzelburç pour distribuer l’aide aux villageois après avoir appris par d’autres volontaires qu’aucune aide n’y avait été distribuée. Lorsque les défenseur⸱ses des droits humains sont arrivés dans le village, ils se sont postés dans la cour de l’école avec la nourriture et l’équipement sanitaire qu’ils avaient apportés et ont commencé à discuter avec les bénévoles et les villageois qui se plaignaient du manque ou du retard des efforts de sauvetage et de l’aide. Les forces de sécurité armées (forces spéciales de la gendarmerie) se sont approchées du groupe et les ont avertis de ne pas critiquer le gouvernement tout en les menaçant « vous ne pouvez pas dire de telles choses contre l’État, sinon vous savez ce que nous ferons ». La défenseuse des droits humains et les autres volontaires ont réagi en disant aux forces de sécurité que s’il y avait une infraction, ils devraient l’enregistrer et ouvrir une enquête contre eux.
Après l’arrivée de plus d’agents de sécurité, les locaux ont été forcés de quitter la cour de l’école et seuls les volontaires humanitaires ont dû rester. Les bénévoles ont été invités à remettre leurs cartes d’identité, à se mettre en cercle et forcés de supprimer toutes les images et vidéos qu’ils avaient prises pendant la rencontre. Selon la défenseuse des droits humains Pelin Songül Çiçek, la gendarmerie a indiqué les vidéos à supprimer sur leur écran de téléphone avec le canon de son fusil, dans l’intention d’intimider les volontaires. Ce n’est qu’après qu’un groupe d’avocats est arrivé et a parlé avec les forces de sécurité que le groupe a été libéré, après avoir été arrêté arbitrairement pendant deux heures.
En outre, de nombreux défenseur⸱ses des droits humains et journalistes ont été menacés, attaqués, détenus et même arrêtés pour avoir fait leur travail. Selon un récent rapport de la Dicle Firat Journalists Association, au moins quatre journalistes ont été arrêtés et des enquêtes ont été ouvertes contre 6 journalistes pour avoir couvert la situation dans la région où a eu lieu le tremblement de terre en février 2023.
Le 23 février 2023, la journaliste de Halk TV et défenseuse des droits humains Seyhan Avşar, a été informée qu’une enquête pour « insulte » et « diffamation » a été ouverte contre elle suite à son reportage sur un décès possible en détention. Selon son article publié sur le site de Halk TV, l’homme a été arrêté au commandement Altınözü Gendarmarie à Hatay avec son frère accusé de vol et de pillage. Il est mort le même jour à l’hôpital de campagne après y avoir été transporté d’urgence. Le rapport médico-légal préliminaire montre de multiples blessures au corps, y compris une fracture du nez et une hémorragie cérébrale.
De nombreux journalistes sur le terrain ont rapporté qu’ils avaient été arrêtés par les forces de sécurité alors qu’ils tentaient de couvrir l’actualité et que des fonctionnaires les ont mis en garde de ne rien dire qui pourrait miner le gouvernement. Le 27 février 2023, les journalistes Ali İmat et İbrahim İmat ont été arrêtés au tribunal où ils ont été transférés et accusés de diffusion publique de fausses informations à cause d’un message qu’ils ont partagé sur les réseaux sociaux. Le message demandait aux autorités de répondre aux allégations selon lesquelles les tentes envoyées pour être distribuées aux survivants du séisme étaient toujours conservées dans un entrepôt au lieu d’être distribuées aux survivants. L’arrestation a eu lieu sur décision du juge de paix d’Osmaniye et les accusations sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. Ali İmat et İbrahim İmat sont actuellement détenus dans la prison d’Osmaniye.
Plusieurs manifestations où les manifestants sont descendus dans la rue pour protester contre la réponse du gouvernement au tremblement de terre ont été violemment dispersées par les forces de sécurité, entraînant l’arrestation de nombreux défenseur⸱ses des droits humains, y compris des membres de syndicats et des médecins. Plusieurs journalistes ont également été agressés ou empêchés de couvrir les manifestations. La police a arrêté au moins 198 personnes lors de la manifestation qui a eu lieu à Istanbul le 26 février 2023, avant de les libérer le même jour tard dans la nuit.
Front Line Defenders rappelle aux autorités turques l’article 1 du Consensus européen sur l’aide humanitaire qui stipule que « L’aide humanitaire est un impératif moral et l’expression fondamentale de la valeur universelle qu’est la solidarité entre les peuples ». Le Consensus souligne également que « l’“espace humanitaire” qui est nécessaire pour garantir l’accès aux populations vulnérables ainsi que la sécurité et la sûreté des travailleurs humanitaires doivent être préservés, car il s’agit là d’une condition préalable essentielle si l’on veut que l’aide humanitaire soit acheminée ».
Front Line Defenders exhorte le gouvernement turc à garantir un environnement de travail sûr et habilitant aux défenseur⸱ses des droits humains qui travaillent sans relâche dans la région depuis le premier jour du tremblement de terre, et à cesser de les cibler pour leur travail légitime en faveur des droits humains. Les forces de sécurité et les autorités doivent permettre à tous les défenseur⸱ses des droits humains et volontaires de poursuivre leur travail pour fournir les biens et services nécessaires et vitaux aux survivants. Les défenseur⸱ses des droits humains devraient pouvoir documenter et rapporter les développements sur le terrain sans craindre la violence ou d’être arrêtés.
Image : Les ruines d’un bâtiment effondré, Diyarbakır, Turquie, 6 février 2023. Crédit : VOA