Les autorités russes veulent faire fermer un pilier des droits humains
Déclaration conjointe de groupes russes et internationaux de défense des droits humains en faveur de Memorial
La décision des autorités russes de fermer Memorial, l’une des plus anciennes et des plus importantes organisations de la société civile en Russie qui défend les droits humains, qui œuvre pour commémorer les victimes de la répression soviétique et offre une plateforme pour le libre débat et l’expression artistique, est une attaque scandaleuse au cœur même de la communauté russe des droits humains.
Memorial a deux entités : Memorial Human Rights Center et International Memorial Society. Le 11 novembre, l’International Memorial Society a reçu une lettre de la Cour suprême de Russie l’informant que le 8 novembre, le parquet général avait intenté une action en justice en vue de liquider l'organisation en raison de violations répétées de la législation russe sur les « agents étrangers ». La prochaine audience est prévue le 25 novembre.
Dans son action en justice, le parquet a affirmé que l’International Memorial avait « commis une violation flagrante des droits des citoyens », car il « dissimulait systématiquement des renseignements sur le fait qu’elle exerce les fonctions d’un agent étranger ». Pour étayer l’accusation, le parquet général a fait référence à une série d’amendes administratives imposées à l’organisation et à ses dirigeants fin 2019-2020 pour ne pas avoir apposé l’étiquette toxique et stigmatisante « agent étranger », l’une des exigences pernicieuses de la loi sur les « agents étrangers », sur certains documents publiés par l’organisation. Le parquet général a ensuite fait une déclaration kafkaïenne selon laquelle le non-respect de cette exigence bafouait le droit à la liberté d’expression et les droits des enfants inscrits dans la Constitution russe, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne sur les droits humains.
Le 12 novembre, le Memorial Human Rights Center a été informé par la Cour municipale de Moscou que le parquet de la ville de Moscou avait intenté des poursuites similaires contre l'organisation et une audience devait avoir lieu.
Les organisations de la société civile jouent un rôle essentiel dans la promotion et la protection des droits humains, car elles sont un outil permettant aux individus de travailler à l’élimination des violations des droits humains et de demander des comptes aux responsables. La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains souligne en particulier le droit des individus de former des organisations, des associations ou des groupes de la société civile, de s’y joindre et d’y participer pour promouvoir ou défendre les droits humains, une composante clé du droit d’association. Elle souligne également à quel point il est important que les organisations de la société civile soient en mesure d’exercer librement leurs droits d’association et d’expression, notamment par le biais d’activités telles que la recherche ; l’obtention et la diffusion d’idées et d’informations ; militer pour les droits humains ; l’accès et la communication avec les organismes internationaux de défense des droits humains ; et la soumission de propositions de réformes politiques et législatives aux niveaux local, national et international.
Toute restriction imposée au droit d’association doit être prévue par la loi et être nécessaire et proportionnée dans un but légitime. En particulier, les Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association, adoptées par l’OSCE/ODHIR et la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, indiquent que toute sanction contre les organisations de la société civile « doit toujours être conforme au principe de proportionalité.” De plus, il est recommandé que « les autorités prennent soin d’appliquer la mesure la moins perturbatrice et destructrice pour le droit à la liberté d’association ». En outre, ainsi qu’il a été établi par la Cour européenne des droits de l’Homme dans sa jurisprudence et soutenu par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe dans ses avis, la dissolution involontaire d’une ONG ne devrait être utilisée que comme une mesure extrême qui ne pourrait être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles, et basée sur une justification fondée.
Il est important de noter que l’application de sanctions à l’encontre des ONG doit être basée sur des motifs fondés et sur des infractions réelles. C’est n’est pas le cas ici.
Depuis près d’une décennie, les autorités russes utilisent la législation répressive sur les « agents étrangers » introduite spécifiquement pour restreindre arbitrairement l’espace pour les organisations de la société civile et pénaliser les critiques, y compris les groupes de défense des droits de l’Homme. La décision de fermer Memorial, l’un des piliers russes des droits humains, est un nouveau Rubicon franchi dans la campagne du gouvernement pour étouffer les voix indépendantes.
Cette attaque contre Memorial est un acte politique de représailles contre les défenseur-ses des droits humains. Les autorités russes devraient retirer immédiatement les poursuites contre le Memorial Human Rights Center et l’International Memorial Society et abroger la législation sur les « agents étrangers », car elle contrevient directement au droit d’association. Les autorités devraient en outre aligner toutes les réglementations relatives au droit d’association sur le droit international relatif aux droits humains et mettre fin à la répression contre les groupes indépendants et les militants.