Territoires palestiniens occupés (TPO)/Israël : Les défenseur-ses des droits humains et organisations réduits au silence
Front Line Defenders est profondément préoccupée par la répression en cours contre les défenseur-ses des droits humains, y compris les avocat-es et les journalistes qui documentent les violations des droits humains et les violences commises par les forces militaires et la police aux frontières israéliennes en Cisjordanie occupée, et à Jérusalem-Est, ainsi que par la police israélienne à l’intérieur de la Ligne verte. Le fait de réduire au silence les défenseur-ses des droits humains pour entraver leur travail légitime et indispensable en Israël et dans les territoires palestiniens occupés n’est pas nouveau, mais a clairement augmenté depuis le début de l’année.
Depuis début mai 2021, des défenseur-ses des droits humains, des résidents palestiniens des quartiers de Sheikh Jarrah et Silwan à Jérusalem mènent des campagnes et organisent des manifestations pacifiques pour protester contre la menace imminente du transfert forcé de 120 familles palestiniennes hors de leurs quartiers. La plupart des familles palestiniennes sont des réfugiés qui se sont vu refuser leur droit de retourner et de récupérer leurs terres et leurs propriétés d’origine. Elles sont menacées d’être expulsées de force depuis que des organisations de colons israéliens ont porté plainte contre elles devant les tribunaux israéliens, en utilisant la « Loi sur les procédures législatives et administratives » de 1970, qui permet aux Israéliens juifs de revendiquer des terres et des droits de propriété à Jérusalem-Est. Pour les organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits humains, les transferts forcés à Sheikh Jarrah et Silwan sont le dernier exemple du régime institutionnalisé de domination et d’oppression raciale d’Israël, ou d’apartheid, illustrant la dépossession des Palestiniens, mis en œuvre au moyen de lois et de politiques discriminatoires.
Suite à leur campagne et à leur mobilisation, les défenseur-ses des droits humains de Sheikh Jarrah et de Silwan sont victimes de violences physiques et de détentions arbitraires. Leurs familles sont également attaquées à la fois par les colons et par les forces israéliennes (militaires et policières), qui mènent des raids et endommagent des maisons et effectuent des tirs de bombes lacrymogènes et de grenades assourdissantes et projettent du skunk liquide sur et dans les maisons. Les cas de Mona Al-Kurd et de son frère, Muhammad, qui ont été détenus pendant de nombreuses heures à plusieurs reprises, notamment le 6 juin, ainsi que l’arrestation de Zuhair Al Rajabi le 5 juin 2021 et de son fils plus tard ce jour-là, illustrent les campagnes d’intimidation visant les défenseur-ses des droits humains. Mona et Muhammad Al-Kurd, et Zuhair Al-Rajabi ont été libérés 24 heures après leur arrestation, et pourraient encore être inculpés pour avoir organisé une manifestation pacifique contre les déplacements forcés. En outre, des colons israéliens armés ont été filmés en train d’attaquer directement des Palestiniens et en train de collaborer avec l’armée et la police pour cibler les défenseur-ses des droits humains qui documentent la répression.
Les défenseur-ses des droits humains à Gaza sont aussi réduits au silence par le biais d’autres tactiques. Dans le cadre de l’assaut contre Gaza en mai 2021, les forces israéliennes ont démoli le bâtiment d’Al-Jalaa qui abrite des bureaux de médias internationaux, dont Al-Jazeera et l’Associated Press, ainsi que des bureaux de médias et de journalistes palestiniens locaux. Al-Jazeera a considéré l’attaque comme « un acte clair visant à empêcher les journalistes de s’acquitter de leur devoir sacré d’informer le monde et de rapporter les événements sur le terrain ». En outre, les bureaux abritaient des archives de documents des années précédentes, y compris des incursions israéliennes antérieures à Gaza qui auraient pu constituer des preuves dans le cadre d’enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre. Les défenseur-ses des droits humains à Gaza ont vu leurs comptes sur les réseaux sociaux suspendus ou bloqués lorsqu’ils ont tenté de montrer des vidéos de la destruction ou des images en direct du bombardement aérien.
La censure des plateformes de réseaux sociaux est également imposée sur les contenus liés aux violations des droits humains commises dans les TPO/en Israël. Des blogueur-ses et des défenseur-ses des droits humains tels que Mohammed Al-Kurd à Jérusalem et Omar Ghraieb à Gaza ont rapporté que des plateformes de réseaux sociaux, telles que Facebook, Instagram et YouTube, ont pris des mesures pour les réduire au silence, en bloquant leurs comptes ou leur contenu lié aux incidents en cours. Lorsque ces mesures ont été dénoncées, certaines sociétés ont publié des déclarations publiques affirmant que cela s’était produit « en raison d’un pépin technique ».
Les tentatives de réduire au silence les organisations de la société civile et les défenseur-ses des droits humains dans les TPO/Israël ne sont pas nouvelles. Le 26 janvier 2021, deux rapporteurs spéciaux ont commenté la condamnation d’Issa Amro, défenseur des droits humains palestinien et fondateur de Youth Against Settlements, un groupe basé à Hébron qui s’oppose à l’expansion des colonies par la résistance civile non violente. « Cela fait partie d’un schéma clair et systématique de détention, d’acharnement judiciaire et d’intimidation par Israël contre les défenseur-ses des droits humains, un schéma qui s’est récemment intensifié », ont déclaré les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies. « Plutôt que de poursuivre les défenseur-ses des droits humains, Israël devrait les écouter et corriger sa propre conduite en matière de droits humains. Israël doit respecter ses obligations internationales en matière de protection des défenseur-ses des droits humains ». Les Rapporteurs ont également mentionné que condamner Issa Amro pour avoir participé à des manifestations sans autorisation est contraire à l’évolution du droit international relatif aux droits humains. « Le fait de ne pas informer les autorités d’un rassemblement à venir ne rend pas en soi illégal l’acte de participer à ce rassemblement ». Enfin, ils ont souligné que « la loi militaire israélienne est utilisée pour restreindre et pénaliser les Palestiniens pour avoir exercé des droits politiques et civils inviolables. »
Les attaques et les campagnes contre des organisations palestiniennes de défense des droits humains et d’autres organisations de la société civile sont perpétrées depuis des années par les autorités israéliennes et d’autres groupes, dans le but de cibler les organisations œuvrant pour la promotion et la protection de l’État de droit et des normes en matière de droits de la personne pour le peuple palestinien. Comme le montre un rapport publié par l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains en avril 2021, ces pratiques se sont intensifiées au cours des six dernières années, dans le contexte des bouleversements causés par l’administration Trump aux États-Unis et de l’ouverture prévue d’une enquête par la Cour pénale internationale. Le rapport montrait que les stratégies mises en place par le gouvernement israélien comportent trois volets : premièrement, délégitimer les voix critiques de la société civile en « les nommant et les dénigrant » et en les qualifiant de terroristes ou d’antisémites ; deuxièmement, faire pression sur quiconque pour qu’il ne donne pas de plateforme à son discours ; troisièmement, faire activement du lobbying pour réduire leurs sources de financement. Le recours à des campagnes de diffamation, à des mesures d’intimidation et de harcèlement, à de nouvelles lois restrictives, le harcèlement administratif ou judiciaire et la pression accrue sur les bailleurs de fonds internationaux qui soutiennent ces organisations se sont révélés être des tactiques très efficaces pour déstabiliser les ONG et saper le travail des défenseur-ses des droits humains. Ces tendances ont atteint des proportions alarmantes et visent à réduire au silence les défenseur-ses des droits humains et les organisations de défense des droits humains palestiniennes, à réduire leur financement, à modifier leurs relations avec les donateurs et à contrecarrer leurs efforts pour surveiller et documenter les violations israéliennes.
Ces tactiques visent également d’autres acteurs, notamment des organisations de santé comme le Comité de travail sur la santé, qui fournit un soutien aux communautés palestiniennes vulnérables, et même les titulaires de mandats de l’ONU, qui jouent un rôle clé dans la dénonciation des exactions israéliennes. En outre, les défenseur-ses des droits humains font l’objet de campagnes de diffamation et d’intimidation de la part d’institutions liées à l’État israélien, qui servent à les détourner de leur travail de base pour la promotion et la protection des normes relatives aux droits humains et qui vise à tenir les fonctionnaires israéliens responsables des violations des droits humains.
Les ONG palestiniennes subissent également des pressions de la part de l’Autorité palestinienne. Suite à l’annonce du président palestinien Mahmoud Abbas d’annuler les élections législatives et présidentielles prévues en mai et juillet 2021, les organisations palestiniennes qui veillent sur les droits et libertés ont documenté un certain nombre de cas de convocation et d’arrestations de militants par les services de sécurité ainsi que des violations des garanties d’arrestation et de détention, et des cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements interdits par la législation palestinienne et le droit international.
La communauté internationale devrait réévaluer la nature de son engagement en Israël et en Palestine et adopter une approche centrée sur les droits humains, la justice et la responsabilité. Elle devrait plaider en faveur d’un environnement sûr et propice pour les défenseur-ses des droits humains et les ONG en Israël et dans les TPO afin qu’ils puissent mener à bien leur travail ; elle devrait utiliser toutes les voies diplomatiques pour exhorter les autorités israéliennes à cesser immédiatement de cibler la société civile et les défenseur-ses des droits humains, y compris lorsqu’elles utilisent des accusations d’antisémitisme ou de terrorisme sans fondement. L’Union européenne devrait condamner systématiquement et publiquement les violations des droits humains et toutes les formes d’attaques, de harcèlement et d’intimidation, de diffamation des défenseur-ses des droits humains conformément à ses obligations internationales en matière de droits humains et aux lignes directrices de l’UE sur les défenseur-ses des droits humains.