Nouvelle vague de violence et de répression contre les défenseur-ses des droits humains, les organisations de la société civile et les journalistes à El Estor, au Guatemala
Front Line Defenders et l’Unité pour la protection des défenseurs des droits humains (UDEFEGUA) expriment leur profonde préoccupation face à la recrudescence de la violence contre les défenseur-ses des droits à l’eau et à la terre, des membres des communautés Maya Q’eqchi', des membres du secteur de la pêche et des journalistes travaillant dans la municipalité d’El Estor, dans le département d’Izabal. Les multiples raids, actes d’intimidation, de harcèlement, la surveillance et la diffamation qui font partie d’une vaste stratégie de répression menée par l’État du Guatemala contre celles et ceux qui réclament le droit à la consultation dans la municipalité d’El Estor sont particulièrement préoccupants.
La municipalité d’El Estor a la plus importante région côtière et portuaire du Guatemala, située sur l’océan Atlantique dans la zone des Caraïbes. C’est une région qui possède une grande diversité de ressources naturelles et de minéraux, comme le nickel, et qui a toujours été d’un grand intérêt économique, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Au cours des dernières décennies, des activités telles que l’exploitation minière et la monoculture ont été encouragées par des entreprises et des autorités locales qui accordent les concessions d’exploitation. Ces concessions ne tiennent pas compte de l’opinion ou des besoins des populations et des communautés qui habitent et défendent historiquement le territoire. Les communautés indigènes de la région majoritairement Maya Q’eqchi' qui œuvrent pour la défense de leur territoire et en faveur de la reconnaissance de leurs droits collectifs, y compris le droit à une consultation libre et éclairée, font l’objet de graves représailles pour avoir revendiqué leurs droits et pour avoir tenté de mettre un terme à l’impact environnemental et social de l’exploitation dans la municipalité.
Les projets miniers ont des antécédents de graves violations des droits humains dans la région. En 2007, la compagnie minière canadienne Hudbay Minerales, propriétaire de la Compañía Guatemalteca de Níquel (CGN), a procédé à des expulsions violentes de les communautés Q’eqchi, y compris la communauté de Lote 8. Au cours de ces expulsions, et d’autres, dans les municipalités d’El Estor et Panzos, 11 femmes mayas Q’eqchi ont déclaré avoir été agressées sexuellement par le personnel de sécurité privée de Skye Resources Inc. qui fait maintenant partie de Hudbay Minerals.
Le 27 septembre 2009, l’enseignant et défenseur des droits humains Adolfo Ich Chamán, qui faisait partie de la communauté de Lote 8 et qui, avec d’autres communautés, défendait les terres contre les opérations de la compagnie Hudbay Minerales, a été assassiné à proximité de la mine par la sécurité privée de l’entreprise. Le meurtre a été commis dans le cadre des expulsions contre la communauté de Las Nubes. Le défenseur des droits humains Germán Chub Choc a également été victime de l’attaque contre Adolfo Ich Chamán, et a été blessé aux membres inférieurs, entraînant une invalidité de longue durée qui le cloue dans un fauteuil roulant. Les deux affaires ont suivi un long processus judiciaire et, malgré les nombreuses preuves d’enquête, restent impunies.
Le 27 mai 2017, suite à la résistance pacifique contre l’exploitation de la mine en raison des graves dommages environnementaux qu’elle causait dans le lac Izabal, des actes de violence et un recours excessif à la force ont été enregistrés contre l’Union des pêcheurs artisanaux d’El Estor (Gremial de Pescadores Artesanales) par la Police Nationale Civile (PNC). Le 27 mai 2017, le défenseur des droits autochtones et du droit à la terre Carlos Maaz Choc a été assassiné alors qu’il participait à une manifestation pacifique appelant les autorités à trouver une solution pour la pollution du lac Izabal. À ce jour, son meurtre est toujours impuni.
À la suite de ces événements en mai 2017, plusieurs procédures judiciaires pénales ont été engagées contre les membres de l’Union des pêcheurs artisanaux d’El Estor, qui, à ce jour, présentent de multiples irrégularités et retards qui portent atteinte à leurs droits à l’application régulière de la loi et au droit à la défense.
En 2018, l’Union des pêcheurs artisanaux et le peuple maya Q’eqchi' d’El Estor a opté pour un recours judiciaire afin de résoudre leur conflit avec la Compañía Guatemalteca de Níquel (CGN) et le ministère de l’Énergie et des Mines (MEM) concernant le projet minier Fénix, accordé à CGN, qui appartient actuellement à la société russo-suisse Solway Investement Group. En 2019, la Cour constitutionnelle (CC) a accordé une injonction provisoire. En juin 2020, l’injonction définitive en faveur de l’arrêt des opérations minières a été accordée conformément à la convention 169 adoptée par l’Organisation internationale du travail. Malgré cela, les communautés ont signalé que l’entreprise n’a jamais cessé ses activités.
Le 4 octobre 2021, le Conseil ancestral maya de Q’eqchi' a mis en place un sit-in permanent à l’entrée de la municipalité et à 10 km de l’usine de transformation de la CGN pour exiger le respect de leurs droits et le plein respect de la décision de la Cour constitutionnelle. Pendant le sit-in, qui a duré 20 jours, différentes organisations et communautés se sont jointes pour revendiquer leurs droits. Le 8 octobre, quatre jours après le début de la manifestation, les dirigeants de Q’eqchi ont appris, par des membres de la communauté, que des personnes non identifiées tentaient d’identifier les membres de la communauté et les leaders sociaux qui s’opposaient à la mine.
Selon les informations communiquées par les organisations locales les 21 et 22 octobre 2021, la PNC a utilisé des gaz lacrymogènes pour tenter de disperser la manifestation pacifique. Cela a également affecté toutes les maisons des quartiers à l’entrée de la municipalité, exposant les enfants, les femmes, les personnes âgées et les journalistes.
Le 22 octobre, la présence des forces de sécurité a augmenté dans la région et plusieurs agressions ont été signalées contre les journalistes Carlos Choc, Baudilio Choc Mac, Juan Bautista Xol et Nelton Rivera Gonzáles qui couvraient l’évènement pour Prensa Comunitaria. Le journaliste Juan Bautista Xol, qui couvrait le sit-in pacifique, a été diffamé par des inconnus sur les réseaux sociaux pour ses reportages. Le 23 octobre 2021, le Conseil ancestral a décidé de mettre fin au sit-in. Le 24 octobre 2021, le président Alejandro Giammattei a déclaré l’état de siège pour 30 jours à El Estor, Izabal, en vertu du décret gouvernemental 9-2021, qui permet une limitation ultérieure des garanties constitutionnelles.
Les organisations locales de défense des droits humains ont pu documenter et vérifier qu’entre le 24 et le 28 octobre 2021, au moins 14 raids ont été menés aux domiciles de défenseur-ses des droits humains et de journalistes. Ces raids sont menés par l’armée guatémaltèque, des agents de la police civile nationale et une équipe de procureurs du Parquet d’Izabal et de la Division des enquêtes criminelles spéciales (DEIC). Le 26 octobre 2021, au moins 29 agents de la PNC ont violemment perquisitionné la maison du journaliste Juan Bautista Xol et ont pris son téléphone. Le même jour, la maison de Carlos Choc a été perquisitionnée par un officier de la PNC et par l’armée.
Le 27 octobre 2021, un contingent des forces de sécurité armées du gouvernement guatémaltèque est entré chez la défenseuse des droits humains Angélica Choc et son fils, le professeur Luis Adolfo Ich Choc, sans mandat de perquisition, et a procédé à une perquisition illégale. Le même jour, la maison du défenseur des droits humains German Chub Choc a été perquisitionnée par des membres de la PNC. L’intervention a eu lieu pendant qu’il dormait. Il n’a pas été autorisé à s’habiller et à utiliser son fauteuil roulant. Angélica Choc et Germán Chub Choc sont défenseur-se des droits humains ; ils ont porté plainte au Canada contre Hudbay Minerals pour des violations des droits humains antérieures dans la mine Fénix, y compris le meurtre d’Adolfo Ich Chamán et les tirs contre Germán Chub Choc par le personnel de sécurité de la société minière en 2009.
Le 27 octobre 2021, des membres de la PNC et des éléments de l’armée ont encerclé et perquisitionné la maison de la défenseuse des droits humains Olga Marina Ché, membre de l’Union des pêcheurs artisanaux d’El Estor, sans mandat. Pendant le raid, les forces de sécurité ont jeté les effets personnels de la défenseuse sur le sol et ont pris son téléphone portable ; elles ont également intimidé et agressé physiquement les enfants mineurs de la défenseuse qui se trouvaient dans la maison.
Au cours des années 2020 et 2021, il y a eu une augmentation des incidents de sécurité contre les journalistes dans le pays, y compris les détentions répétées de journalistes indépendants de tout le pays, comme Marvin del Cid, qui, le 31 mars 2021, a été arrêté et interrogé par des éléments de la PNC à Guatemala City, ou le cas de la défenseuse des droits autochtones Maya K’iche et journaliste Anastasia Mejía Tiriquiz, assignée à résidence l’année dernière, le 22 septembre 2020, pour les crimes inventés de toutes pièces de « sédition et voies de fait graves » dont elle a été acquittée des mois plus tard.
Front Line Defenders et UDEFEGUA soulignent l’importance de la responsabilité de la police et du droit des défenseur-ses des droits humains et des journalistes à surveiller, documenter et dénoncer les violations des droits humains commises par la police et les militaires au Guatemala.
Front Line Defenders et UDEFEGUA appellent les autorités guatémaltèques à cesser et à condamner la brutalité policière contre les défenseur-ses des droits humains, les journalistes, les manifestants pacifiques et leurs familles. Elles demandent également que les droits des enfants, en particulier ceux des membres des familles des défenseur-ses des droits humains qui font l’objet de perquisitions, soient garantis dans ce contexte de répression de l’État contre des communautés entières.
Front Line Defenders et UDEFEGUA réitèrent leur condamnation de la violence policière à El Estor et de l’impact disproportionné de la violence contre les défenseur-ses des droits humains, leurs familles et les journalistes dans le pays.
Les organisations réitèrent leur appel afin que l’État du Guatemala s’abstienne de commettre tout acte de répression et de harcèlement contre celles et ceux qui défendent le droit à une consultation libre et préalable, et exhortent à adopter des instruments et des mécanismes de protection efficaces qui reconnaissent la contribution précieuse du travail des défenseur-se des droits humains et des journalistes à la démocratie dans le pays.