Les groupes internationaux de défense des droits humains expriment leur inquiétude face à la délégitimation du Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de las Casas par le gouvernement mexicain
Les organisations internationales soussignées expriment leur profonde préoccupation face aux actions ciblées, à la délégitimation et à la stigmatisation du Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de las Casas (Centre des droits humains Fray Bartolomé de las Casas), qui restreignent considérablement son espace d'action pour la défense des droits humains, exposant l'organisation et ses membres à de sérieux risques lorsqu’ils accomplissent leur travail.
Lors de sa conférence de presse quotidienne du 22 avril 2024, le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, a accusé le Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de las Casas (Frayba) de « chercher à créer un environnement de violence qui n'a pas la dimension rapportée [par Frayba] ». En outre, il a critiqué l'organisation pour avoir « amplifié la situation »,1 en référence aux récents rapports de Frayba sur la situation de la violence au Chiapas depuis mi-2021, au début du conflit entre les groupes criminels organisés pour le contrôle de la zone.2 Les mêmes messages ont été répétés lors de la conférence de presse du 23 avril3 , et quelques semaines auparavant, le 3 avril 2024, le président a accusé Frayba de mentir4 en raison d'une divergence à propos des données relatives aux personnes décédées lors d’un affrontement entre des membres de la Garde nationale et un groupe du crime organisé dans la ville de La Concordia (Chiapas) le 31 mars 20245 .
Ces deux déclarations démontrent une tendance au ciblage par laquelle l'exécutif délégitime le travail de défense des droits humains mené par les centres de défense des droits humains, les organisations de la société civile, les collectifs de familles de personnes disparues et les journalistes qui documentent et rapportent la violence et les violations des droits humains dans la région, révélant ainsi la négligence des autorités aux trois niveaux de l'État mexicain.6 Cette tendance n'est pas propre au gouvernement actuel mais reflète une problématique historique au Mexique et dans d'autres pays d'Amérique latine, contribuant à faire de la région l'une des plus dangereuses au monde pour la défense des droits humains et le journalisme.7
Comme l'a déclaré le rapporteur spécial pour la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), les États doivent garantir la liberté d'expression « de ceux qui sont d'accord avec le gouvernement, mais aussi de ceux qui ont des opinions divergentes », en soulignant que « la stigmatisation peut créer un environnement permissif qui autorise les attaques contre les défenseur⸱ses des droits humains et les journalistes » 8.
Le fait de pointer publiquement du doigt les défenseur⸱ses des droits humains et les journalistes qui, dans le cadre de leur travail, surveillent et contrôlent la manière dont l'État traite les violations des droits humains, les expose davantage à de potentielles agressions et attaques violentes, ce qui limite l'espace pour la démocratie et la défense des droits humains.
Dans ce contexte, les normes internationales relatives aux droits humains imposent non seulement le respect du travail de défense des droits humains, mais exhortent également « les États à reconnaître, par le biais de déclarations publiques, de politiques, de programmes ou de lois, le rôle important et légitime des défenseur-ses des droits humains dans la promotion de tous les droits humains, de la démocratie et de l'État de droit en tant qu'éléments essentiels pour assurer leur protection, notamment en respectant l'indépendance de leurs organisations et en évitant de les stigmatiser » 9 .
Le Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de las Casas œuvre depuis 35 ans pour la défense et la promotion des droits humains dans l’Etat du Chiapas, en soutenant les victimes de graves violations des droits humains dans leur combat pour obtenir justice, ainsi que les communautés et les peuples à défendre leur autonomie et leur autodétermination. Grâce à leur éthique, leur rigueur et leur engagement en faveur des droits humains, le centre s’est imposé comme l'une des organisations de la société civile les plus connues, contribuant quotidiennement à sensibiliser le public aux injustices et aux violences subies par les personnes les plus vulnérables dans le Chiapas. Frayba, parmi d'autres acteurs de la société civile mexicaine, documente et signale l'augmentation de la violence au Chiapas au cours des trois dernières années et son impact sur la population.
Le contexte actuel expose à un risque élevé celles et ceux qui, comme Frayba, soutiennent les victimes de violations des droits humains dans leur quête de justice et de réparations, soulignant la nécessité que leur travail soit reconnu et protégé par les institutions publiques à tous les niveaux de gouvernement.
Compte tenu de ce qui précède, les organisations internationales soussignées demandent qu'il soit mis fin aux actions ciblées contre les organisations et des défenseur⸱ses des droits humains au Mexique et que soit reconnu publiquement le travail fondamental qu'ils accomplissent en faveur de la justice, de la protection et de la promotion des droits humains et de la construction de la paix. Enfin, nous demandons le renforcement du cadre juridique et des mécanismes mis en place pour protéger les défenseur⸱ses des droits humains et les journalistes au Mexique.
International Amnesty | CEJIL (Center for Justice and International Law) | FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains | Front Line Defenders | IM-Defensoras (Iniciativa Mesoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Humanos) | Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains | Protection International | SIPAZ (International Service for Peace) | SweFOR (Swedish Fellowship of Reconciliation) | Taula per Mèxic
1 Andrés Manuel López Obrador, 22 Avril 2024. “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”. Disponible sur : https://lopezobrador.org.mx/2024/04/22/version-estenografica-de-la-confe....
2 El País, 14 Abril 2024. “Chiapas, territorio tomado. Disponible sur : https://elpais.com/mexico/2024-04-14/chiapas-territorio-tomado.html.
3 Andrés Manuel López Obrador, 23 avril 2024. “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”. Disponible sur : https://lopezobrador.org.mx/2024/04/23/version-estenografica-de-la-confe....
4 Andrés Manuel López Obrador, 3 avril 2024. “Versión estenográfica de la conferencia de prensa matutina del presidente Andrés Manuel López Obrador”. Disponible sur: https://lopezobrador.org.mx/2024/04/03/version-estenografica-de-la-confe...
5 Fray Bartolomé de las Casas Human Rights Center, 2 Avril 2024. “Frente a la Masacre en Niños Héroes, exigimos al Estado mexicano investigar responsabilidades”. Disponible sur : https://frayba.org.mx/boletin-09-masacre-concordia
6 IACHR. Rapport annuel 2023. Chapter V. Follow-up of recommendations issued by the IACHR in its Country or Thematics reports. Mexico. OEA/Ser.L/V/II. Doc. 386 rev.1. 31 décembre de 2023. Par. 35.
7 International Amnesty, 2024. “The State of the World’s Human Rights: April 2024”. Disponible sur : https://www.amnesty.org/en/documents/pol10/7200/2024/en/
8 Proceso, 22 Avril 2021. “Relator de la CIDH pide a México reconsiderar el "Quién es quién en las mentiras de la semana". Disponible sur : https://www.proceso.com.mx/nacional/2021/7/1/relator-de-la-cidh-pide-mex... – Voir aussi: Annual Report of the IACHR 2023. Chapter V. Follow-up of recommendations issued by the IACHR in its Country or Thematics reports. Mexico. Op.Cit. Par. 438.4
9 Résolution de l’Assemblée générale A/RES/74/146, 18 décembre 2019