El Salvador : Un état d’urgence prolongé expose les défenseur⸱ses des droits humains à des risques accrus
Front Line Defenders a reçu des informations inquiétantes à propos d’une vague prolongée de détentions arbitraires, de multiples cas de criminalisation et d’un climat généralisé de stigmatisation contre les défenseur⸱ses des droits humains dans le contexte de la quatrième extension de l’état d’urgence au Salvador.
Le 19 juillet 2022, le Congrès a approuvé la quatrième prolongation du régime d’urgence proposée par le président Nayib Bukele en réponse à l’escalade des homicides au premier trimestre de 2022. Selon des organisations de la société civile, des journalistes et des défenseur⸱ses des droits humains, l’état d’urgence en place depuis le 27 mars 2022 a un impact négatif et disproportionné sur des communautés entières, notamment sur les survivants et les victimes de la guerre civile qui a ravagé le pays jusqu’en 1992 1. Le régime d’urgence est régi par l’article 29 de la Constitution et permet à l’Assemblée législative de suspendre certains droits constitutionnels dans des circonstances extrêmes, y compris le droit à la liberté d’association et de réunion, la confidentialité des communications et certaines garanties liées à l’application régulière de la loi, comme le droit d’être informé des motifs de la détention.
Dans ce contexte, le 17 juillet 2022, le défenseur des droits humains Adolfo Santo Zetino et son fils Alexander Zetino ont été arrêtés par des agents de la Police Civile Nationale (PNC) alors qu’ils se trouvaient chez eux dans le district de San Ramón, dans le département de Sonsonate. Pendant leur détention, les autorités ont fait des commentaires racistes contre le défenseur des droits humains concernant ses cheveux longs. Au bout de cinq heures, les autorités ont libéré Adolfo Santo Zetino sous la pression sociale de la communauté, sans l’informer formellement des raisons de sa détention.
Adolfo Santo Zetino est défenseur des droits humains, guide et chef spirituel autochtone de la tribu Nahuat Pipil de la municipalité de San Antonio del Monte, département de Sonsonate. Il a survécu au massacre de « Las Hojas » en 1983 et dirige l’Asociación Nacional Indígena Madre Tierra. Pendant l’état d’urgence, les autorités ont arrêté cinq des enfants du défenseur sans preuve et sans casier judiciaire.
Le 23 mai 2022, un groupe d’agents de la PNC a arrêté la défenseuse des droits humains Elsa Sandoval Garcia à son domicile à Cantón El Jícaro, municipalité de Tacuba, dans le département d’Ahuachapán. Quelques minutes plus tôt, son père, ses frères et son fils ont également été arrêtés alors qu’ils allaient travailler dans une ferme. La défenseuse a été arrêtée sous prétexte que quelqu’un avait porté une plainte anonyme contre elle. Elle a été transférée au centre pénitentiaire d’Apanteos, dans la ville de Santa Ana, où elle attend la prochaine étape, qui pourrait avoir lieu dans six mois.
Elsa Sandoval García est une défenseuse des droits humains et des droits des enfants dans le département d’Ahuachapan. Elle travaille pour l’Asociación de Desarrollo Comunal (ADESCO) et pour les droits des enfants à faibles ressources. Son père, son frère, sa sœur, son beau-frère, son conjoint et son neveu ont également été détenus en vertu de l’état d’urgence.
Le 19 avril 2022, des agents de la police civile nationale ont arrêté la défenseuse des droits humains Esmeralda Beatriz Rodriguez de Peña près de chez elle à Cantón Sisiguayo, dans la municipalité de Jiquilisco, département d’Usulután.
Esmeralda Beatriz Rodriguez de Peña est une défenseuse des droits humains et leader communautaire du département d’Usulután ; elle travaille depuis plusieurs années pour les droits de sa communauté à travers l’Asociación de Desarrollo Comunal (ADESCO). Elle travaille notamment sur le droit à la vérité et à la mémoire historique, car elle a survécu au massacre de « La Quesera » perpétré en 1981 par les forces armées. Jusqu’à présent, les autorités refusent d’informer les proches d’Esmeralda des accusations portées contre elle.
Au cours des derniers mois, diverses organisations de défense des droits humains ont dénoncé et publié des déclarations sur les détentions arbitraires et le climat de stigmatisation qui persiste dans le pays. Selon les informations de la police civile nationale, plus de 46 000 arrestations ont eu lieu au cours des derniers mois.
En juin 2022, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a réitéré à l’État du Salvador son obligation d’informer immédiatement les détenus, leurs familles et leurs représentants des motifs de la détention, ainsi que son devoir de les informer du lieu où elle est détenue. Front Line Defenders souligne que parmi les personnes détenues arbitrairement se trouvent des défenseur⸱ses des droits humains qui sont criminalisés et harcelés en représailles contre leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains.
Par le passé, Front Line Defenders a exprimé sa profonde préoccupation concernant les risques auxquels sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains, les journalistes et leurs familles au Salvador. Elle rappelle également l’impact négatif des attaques, des détentions arbitraires et du harcèlement sur leur vie et leur travail pour les droits humains. Front Line Defenders appelle les autorités du Salvador à mettre fin aux arrestations arbitraires et au harcèlement des défenseur⸱ses des droits humains, car il semble que cela soit directement lié à leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains.
1https://biblioteca.utec.edu.sv/sitios/conflicto/index.php/1992/01/16/la-...