Égypte: Intensification de l'acharnement judiciaire contre les ONG des droits humains
Dans un contexte d'intensification de la répression contre la société civile égyptienne, de nombreux membres d'éminentes organisations égyptiennes ont été convoqués pour "avoir reçu des financements étrangers illégaux" et pour "travail sans autorisation légale".
Les membres de 41 organisations égyptiennes citées dans un rapport de la commission d'enquête créée par le ministère de la Justice en 2011 ont reçu une convocation et risquent d'être poursuivis. Toutes les ONG citées dans ce rapport peuvent être fermées à tout moment. La commission d'enquête a été établie en 2011 par le ministère de la Justice, sur ordre du cabinet du premier Ministre égyptien, pour examiner la réception de fonds étrangers par les organisations de la société civile, et pour vérifier qu'elles sont enregistrées en vertu de la loi 84 sur les associations. L'article 76(2)(a) de la loi rend illégales les opérations d'une organisation non enregistrée et passibles de six mois de prison. L'enquête a été lancée en 2011 après la publication de rapports de la National Security Agency (Agence pour sécurité nationale) et des services de renseignements à propos des investigations menées par trois juges aidés de la Banque Centrale, le ministère des Finances et l'Autorité fiscale. En 2013, 43 membres d'ONG ont été inculpés pour avoir "utilisé des fonds étrangers dans le but de fomenter des troubles".
Les 41 organisations actuellement ciblées sont l'Arab Center for the Independence of the Judiciary and the Legal Profession (ACIJLP), le Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), le Land Center for Human Rights (LCHR), l'Egyptian Democratic Academy (EDA), l'Hisham Mubarak Law Center (HMLC), l'Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI), l'Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR), l'Egyptian Center for Economic and Social Rights (ECESR), Nazra for Feminist Studies, l'Arab Penal Reform Organization, l'Egyptian Center for the Right to Education, l'Egyptian Association for Community Participation Enhancement (ACPE), et l'Andalus Institute for Tolerance and Anti-Violence Studies, entre autres.
Le 18 mars 2016, quatre défenseur-ses des droits humains et leur famille ont été informés que l'ordre avait été donné pour le gel de leur argent et de leurs biens. Parmi les quatre défenseurs des droits humains ciblés il y a M. Hossam Bahgat, fondateur de l'Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR), et actuellement journaliste pour le service de presse indépendant Mada Masr, qui parle beaucoup de l'armée et des procès militaires en Égypte, et M. Gamal Eid, fondateur et directeur de l'Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI). Les deux défenseurs des droits humains ont fondé des organisations citées dans le rapport de la commission d'enquête. L'action contre les défenseur-ses des droits humains a été intentée par des juges d'investigation qui participent à l'enquête sur des financements étrangers. Le tribunal du Caire avait prévu d'examiner l'ordre le 16 mars 2016, cependant, cela est reporté au 22 mars.
Le 13 et le 14 mars, deux employés du Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) ont été convoqués par téléphone et invités à comparaitre le 16 mars 2016 devant un juge d'instruction nommé par le président de la Cour d'appel du Caire. La citation à comparaître est basée sur une demande du ministère de la Justice à propos d'une affaire de financement étranger. La citation à comparaître au tribunal avait déjà été envoyée aux anciennes adresses des deux employés. Les deux employés du CIHRS ont refusé de comparaitre, car ils n'ont pas été informés de la comparution comme le veut la loi.
Entre le 13 et le 15 mars 2016, trois employés de Nazra for Feminist Studies ont également été convoqués à un interrogatoire le 16 mars 2016, en lien avec l'affaire de financement étranger. Nazra est un groupe qui a pour objectif de construire le mouvement féministe égyptien et de soutenir les défenseuses des droits humains par le biais d'interventions juridiques et psychologiques.
En décembre 2015, l'Arab Network for Human Rights Information (ANHRI), présidé par Gamal Eid, a reçu un appel d'un comité technique nommé par le ministère de la Solidarité sociale. Le comité souhaitait rendre visite à l'ANHRI et enquêter sur ses bilans. Cependant, la visite a été reportée jusqu'à nouvel ordre en raison de l'absence de Gamad Eid pour le moment. En février 2016, le défenseur a été placé sous le coup d'une interdiction de voyager.
De nombreux défenseur-ses des droits humains et éminents membres de la société civile égyptienne sont sous le coup d'interdictions de voyager. En février 2016, le procureur a prononcé une interdiction de voyager contre Hossam Bahgat et les autorités égyptiennes l'ont empêché de quitter l'aéroport international du Caire pour se rendre en Jordanie, où il devait participer à une conférence sur la justice dans le monde arabe. En janvier 2015, des policiers ont empêché la spécialiste des médias numériques et défenseuse des droits humains, Mme Esraa Abdel Fattah d'embarquer à bord d'un vol pour l'Allemagne. Des interdictions de voyager sont également imposées à messieurs Hossameldin Ali, Ahmed Ghonim et Bassem Samir de l'Egyptian Democratic Academy, à qui l'on a expliqué que cette restriction est liée à une enquête en cours sur des financements étrangers illégaux.
Les autorités égyptiennes ont récemment pris d'autres mesures punitives contre les défenseur-ses des droits humains égyptiens. En mars 2016, l'avocat en droits humains M. Negad El Borai a de nouveau été convoqué à un interrogatoire; il avait déjà été convoqué trois fois en mai et juin 2015 à propos de son travail sur un projet de loi sur la prévention de la torture en Égypte. En février 2016, les autorités du district ont émis un ordre administratif pour la fermeture d'El Nadeem Centre for Rehabilitation of Victims of Violence and Torture, pour "avoir enfreint les conditions de la licence".
Les restrictions imposées à la société civile égyptienne se sont considérablement intensifiées au cours des dernières années, avec l'augmentation des obligations juridiques, l'acharnement judiciaire, la stigmatisation dans les médias publics et privés, et des restrictions sur l'accès au financement. Front Line Defenders condamne la criminalisation de la société civile en Égypte. Nous appelons les autorités à cesser immédiatement de persécuter les défenseur-ses des droits humains et nous réitérons le rôle essentiel de leur travail pour le développement d'une société plus juste et égalitaire.
Front Line Defenders exhorte les autorités égyptiennes à:
1. Mettre fin à l'enquête actuellement ouverte contre les organisations de défense des droits humains susmentionnées, et à lever immédiatement toutes les interdictions de voyager prononcées contre les défenseur-ses des droits humains en Égypte.
2. Cesser immédiatement toute forme de harcèlement contre les organisations et défenseur-ses des droits humains en Égypte, car Front Line Defenders pense que ces droits sont limités à cause de leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains.
3. Garantir qu’en toutes circonstances, tous-tes les défenseur-ses des droits humains en Égypte, puissent mener à bien leurs actions légitimes en faveur des droits humains, sans craindre ni restrictions ni représailles.