Écraser les manifestations étudiantes : La répression bangladaise de la réforme des quotas et des mouvements pour la sécurité routière
Deux ans après la mobilisation des mouvements de protestation étudiants au Bangladesh, personne n'a été jugé pour les violations des droits humains contre les manifestants.
Crushing Student Protests (Écraser les manifestations étudiantes), un nouveau rapport publié aujourd'hui par les groupes de la société civile Front Line Defenders, CIVICUS et South Asians for Human Rights (SAHR), souligne le recours à une force excessive, les arrestations arbitraires et les allégations de torture et de mauvais traitements par les forces de sécurité bangladaises lors des manifestations, ainsi que les attaques perpétrées en toute impunité par des acteurs non étatiques contre les étudiants.
Télécharger Crushing Student Protests (en anglais)
En avril 2018, des étudiants de plusieurs universités supérieures se sont mobilisés pour réclamer une réforme du système de quotas pour les emplois publics. Trois mois plus tard, en juillet et août, des élèves de premier cycle d'écoles et d'universités ont organisé des manifestations pour réclamer une réforme de la sécurité des transports publics après la mort d'élèves dans des accidents de la circulation.
Les forces de l'ordre ont réagi aux deux mouvements en ayant recours à une force excessive. Les manifestants ont indiqué que la police les avait attaqués avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des canons à eau chaude à haute pression. Des individus armés non identifiés qui seraient membres de l'aile étudiante du parti au pouvoir, connue sous le nom de Bangladesh Chhatra League (BCL), ont opéré en tant que force auxiliaire des forces de sécurité bangladaises pour attaquer les manifestants avec des bûches, des bâtons, des tiges de fer et des armes tranchantes. Ils ont utilisé les réseaux sociaux pour intimider, harceler et menacer les dirigeants et les organisateurs des manifestations.
Un militant de l'Université Jagannath de Sadarghat, à Dacca, a déclaré que le 20 avril 2018, il avait été attaqué par des membres de la BCL : "Ils m'ont abordé et m'ont traîné dans un coin. Il y avait 12 personnes, et ils m'ont battu et m'ont coupé la lèvre… Ils m'ont battu jusqu'à ce que je perde connaissance et m'ont laissé là."
La police a également arrêté arbitrairement des manifestants et déposé plusieurs plaintes contre eux sans préciser de nom, les plaçant en détention à son gré. Certains ont signalé des actes de torture et des mauvais traitements en détention.
Un militant arrêté le 1er juillet 2018 dans le quartier de Bhasantek à Dacca a raconté son expérience : il a été passé à tabac pendant une journée entière par les forces de sécurité. "Ils m'ont fait m'allonger au sol, les bras menottés, et plusieurs policiers m'ont frappé avec des tiges", a-t-il expliqué. "J'ai saigné sur le sol, et ils ont fait nettoyer le sol par d'autres détenus".
Des journalistes bangladais ont également été agressés et détenus lorsque le gouvernement a cherché à contrôler les informations et à faire taire les voix critiques.
L'une des personnes arrêtées était Shahidul Alam, 63 ans, photojournaliste et activiste bien connu. Il a été arrêté par des policiers en civil le 5 août 2018, quelques heures après avoir accordé un entretien à Al Jazeera English au sujet des manifestations étudiantes, et inculpé le lendemain en vertu de la loi sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) pour avoir fait des déclarations "fausses" et "provocantes". Alam a déclaré aux journalistes qu'il avait été battu en garde à vue.
"Le fait que personne ne rende de comptes pour la violence contre les manifestants est le signe d'une impunité profondément ancrée au Bangladesh. Nous exigeons une enquête rapide et indépendante sur tous les signalements de violences perpétrées par la police et les acteurs non étatiques contre les défenseur-ses des droits humains, les journalistes et les manifestants, et pour que les responsables soient traduits en justice", a déclaré Sultana Kamal, défenseur bangladais des droits humains et Président de SAHR.
"La police doit abandonner toutes les charges retenues contre les étudiant-es défenseur-ses des droits humains et les manifestants et revoir les condamnations des manifestants et des autres personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique", a déclaré Roshmi Goswami, membre du bureau du SAHR en Inde qui a participé à la mission internationale conjointe.
La répression a eu lieu juste avant les élections qui se sont tenues plus tard en 2018, ce qui montre le type d'actions que le parti au pouvoir était et reste disposé à prendre pour garder son emprise sur le pouvoir.
Bien après l'arrêt des manifestations, de nombreux militants étudiants, leurs amis et les membres de leur famille continuent de faire l'objet de surveillance, d'intimidation et de harcèlement, faisant effectivement taire toute forme de future dissidence. Les réseaux sociaux sont utilisés pour intimider et calomnier les défenseur-ses des droits humains et les groupes de la société civile qui ont soutenu les manifestations.
Un éminent militant a été attaqué huit fois après la fin du mouvement de protestation. Un autre organisateur de manifestations est régulièrement traqué par des membres du National Security Intelligence NSI (services de renseignement).
"Les autorités doivent mettre fin à toutes les formes de harcèlement, d'intimidation et de surveillance contre les personnes impliquées dans l'organisation, la participation ou le soutien aux manifestations et garantir un environnement sûr et propice pour que les responsables des manifestations puissent mener leur activisme sans crainte de représailles", a déclaré Andrew Anderson, directeur exécutif de Front Line Defenders.
La répression des manifestations est révélatrice d'un schéma d'agression et d'attaques plus larges de la part du gouvernement contre les critiques pour faire taire la dissidence. La loi sur les communications et les technologies de l'information (TIC), qui n'existe plus aujourd'hui, et celle qui lui a succédé, la loi sur la sécurité numérique, sont utilisées pour restreindre la liberté d'expression tandis que des militants des droits humains, des journalistes et des critiques du gouvernement sont accusés ou condamnés pour avoir pris la parole et, dans certains cas, ont disparu de force.
"La loi sur la sécurité numérique criminalise de nombreuses formes de liberté d'expression et prévoit de lourdes amendes et des peines de prison pour des formes légitimes de dissidence. Elle est incompatible avec le droit et les normes internationales et devrait être modifiée immédiatement", a déclaré David Kode, responsable du plaidoyer et des campagnes chez CIVICUS.
Les violations des droits humains documentées dans ce rapport autour des manifestations sont incompatibles avec la Constitution du Bangladesh et les obligations internationales du pays en matière de droits humains en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et d'autres lois et normes internationales. Bien que bon nombre de ces questions aient été soulevées par les États, les autorités du Bangladesh n'ont pas réussi à les résoudre.
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Front Line Defenders est une organisation internationale de défense des droits humains basée en Irlande qui œuvre pour la sécurité et la protection des défenseur-ses des droits humains en danger dans le monde.
CIVICUS : L'Alliance mondiale pour la participation citoyenne (World Alliance for Citizen Participation) est une alliance mondiale d'organisations de la société civile et de militants dont le siège est à Johannesburg, en Afrique du Sud ; elle se consacre au renforcement de l'action citoyenne et de la société civile à travers le monde.
South Asians for Human Rights (SAHR) est un réseau régional démocratique avec de nombreux membres engagés pour s'attaquer aux problèmes des droits humains aux niveaux national et régional. SAHR cherche à contribuer à la réalisation du droit des peuples d'Asie du Sud à la démocratie participative, à la bonne gouvernance et à la justice en renforçant la réponse régionale, y compris par le biais des instruments régionaux, de la surveillance des violations des droits humains, de la révision des lois, des politiques et des pratiques qui ont un impact négatif sur les droits humains et en menant des campagnes et des programmes sur les questions les plus préoccupantes dans la région.