Inquiétude concernant l’escalade des attaques et de l’intimidation contre le peuple autochtone Ka’apor
Front Line Defenders est préoccupée par l’escalade de la violence perpétrée contre le peuple autochtone Ka’apor dans l’État du Maranhão, au Brésil. Lors de la dernière attaque, le 22 janvier 2022, des défenseur⸱ses des droits humains du peuple Ka’apor ont été poursuivis par quatre véhicules sur une route dans la municipalité de Santa Luiza do Paruá. Les véhicules étaient conduits par des bûcherons illégaux qui ont bloqué la route dans le but de les intimider.
Les défenseurs des droits des peuples autochtones ont indiqué que l’incident s’est produit en représailles à la création de la 11e zone de protection le 18 janvier 2022, dans une région déboisée autour des terres autochtones de l’Alto Turiaçu. À cette occasion, les Ka’apor ont pu prendre des photos des plaques d’immatriculation de trois des véhicules et ont constaté que deux des véhicules étaient munis de fausses plaques — les modèles de voiture ne correspondaient pas aux immatriculations officielles. Un de ces véhicules a été estampillé avec le nom et le numéro d’un politicien local, qui est pré-candidat à la gouvernance de l’État lors de la prochaine élection qui se tiendra en Octobre 2022.
Le territoire du peuple Ka’apor a été reconnu en 1982. La terre indigène d’Alto Turiaçu s’étend sur 530 mille hectares et est située à la frontière entre les États du Maranhão et du Pará dans la région amazonienne brésilienne. Ce territoire est soumis à l’exploitation forestière et minière illégale et à l’expansion de l’agro-industrie, facilitée par des organisations criminelles avec le soutien présumé des politiciens locaux.
Depuis 2013, dans le but de freiner les invasions du territoire et l’exploitation illégale de la forêt amazonienne, le peuple autochtone Ka’apor a établi des zones de protection et de production agroforestière dans les zones limitrophes des terres autochtones, près des routes clandestines ouvertes par les mineurs et les bûcherons illégaux. Ces activités visant à protéger les terres autochtones ne sont pas encore soutenues par un organisme public, y compris la FUNAI, l’organisme indigéniste de l’État brésilien chargé de faire respecter les droits territoriaux des peuples autochtones. Les actions des communautés Ka’apor sur tout le territoire ont contribué au reboisement de la région, réussissant à récupérer environ 80 % des zones dégradées. En raison de leur travail pour la protection du territoire et de l’environnement, les représentants du peuple Ka’apor sont constamment attaqués et harcelés par des bûcherons et des mineurs illégaux.
Depuis 2015, sept membres du peuple Ka’apor ont été tués, dont quatre leaders autochtones et défenseurs des droits humains : le cacique Eusébio Ka’apor, qui a été pris en embuscade et tué par des hommes armés en 2015 ; Sairá Ka’apor, membre de Ka’a usak ha (Ka’apor Self-Defense Guard), poignardé à mort dans le campement de bûcherons de Betel dans la municipalité d’Araguanã en 2016 ; Jurandir Ka'apor, abattu par des bûcherons illégaux en 2019 et Kwaxipuru Ka'apor, battu à mort en 2020. À ce jour, les enquêtes n’ont pas trouvé les responsables des assassinats, ce qui renforce le climat d’impunité et permet la persécution et la violence extrême contre les défenseur·ses des droits des autochtones qui remettent en cause les intérêts commerciaux des politiciens locaux, des entreprises privées et des organisations criminelles de la région.
Ces dernières années, les défenseur⸱ses des peuples autochtones Ka’apor sont la cible constante de campagnes d’intimidation, de diffamation, de criminalisation et d’agressions physiques. Actuellement, quatre membres du peuple autochtone Ka’apor sont bénéficiaire du Mécanisme brésilien de protection des défenseur⸱ses des droits humains dans l’État du Maranhão, mais l’assistance qu’ils reçoivent en termes de protection et de soutien pour officialiser les plaintes devant les organismes publics compétents en cas d’attaques et d’autres types de violence, reste très limitée.
Le 9 mars 2022, le projet de loi 191/2020, initié par le président Jair Bolsonaro, a été inscrit à l’ordre du jour urgent de la Chambre des représentants. Le projet de loi, qui vise à permettre l’exploitation minière sur les terres autochtones, mais qui est actuellement jugé comme inconstitutionnel selon la Constitution brésilienne, a été réintroduit sous prétexte de répondre à une possible pénurie d’engrais minéraux utilisés par l’agro-industrie brésilienne ; cette pénurie pourrait être liée à l’invasion militaire russe en Ukraine. S’il est approuvé, le projet de loi pourrait exposer les populations autochtones et leurs terres à plus de risques et favoriser une augmentation des empoisonnements au mercure, des déplacements forcés, des attaques physiques et des homicides qui toucheraient particulièrement ceux qui défendent les peuples autochtones et l’environnement.
Front Line Defenders condamne l’escalade des attaques et des menaces contre le peuple autochtone Ka’apor et leurs défenseurs, et estime qu’elles sont directement liées au travail légitime et nécessaire effectué par les leaders autochtones pour la défense du droit à la terre et de l’environnement. Front Line Defenders est profondément préoccupée par l’absence de mesures efficaces pour garantir l’intégrité physique des membres du peuple Ka’apor et de leur territoire, au mépris des obligations fixées par la Constitution brésilienne. Front Line Defenders exhorte les autorités locales et nationales à enquêter sur ces atteintes, y compris les attaques physiques et les homicides commis contre le peuple Ka’apor et les défenseur·ses des droits des autochtones sur le territoire indigène d’Alto Turiaçu, en vue de publier les résultats et de traduire les responsables en justice conformément aux normes internationales.