Brésil: Menaces et attaques contre des DDH à Rio de Janeiro
Dans la matinée du 1er octobre 2016, la police brésilienne a arrêté Rene Silva Dos Santos, un éminent journaliste communautaire et fondateur de Voz da communidades, ainsi que Renato Moura, photographe, dans la favela Complexo do Alemao, au nord de Rio de Janeiro.
Rene Silva et Renato Moura travaillaient sur l'expulsion forcée d'un groupe d'habitants qui tentait d'occuper de nouveau leurs maisons dans le quartier d'Alemao, appelé Favelinha da Skol. Plus de 500 familles ont été expulsées de la zone en 2010. Les autorités avaient promis de leur construire des logements de remplacement, mais à ce jour, aucune famille n'a été relogée ou n'a reçu de dédommagements appropriés.
Le 1er octobre, des policiers ont arrêté Renato Moura alors qu'il était en train de prendre des photos des expulsions forcées, et ils ont saisi son appareil photo. Lorsque Rene Silva a pris son téléphone pour diffuser ce qui était en train de se passer, les policiers l'ont aspergé avec un spray au poivre. Rene Silva et Renato Moura ont été arrêtés et conduits au poste de police. Ils ont été accusés de mépris envers l'autorité et d'être entrés sur une propriété privée. Un membre du Coletivo Papo Reto, un groupe de journalistes citoyens qui documente la vie dans la favela Complexo do Alemão, a également été arrêté. Les trois hommes ont été remis en liberté le jour même.
En apprenant l'arrestation de Rene Silva et de Renato Moura, Raull Santiago, défenseur des droits humains et cofondateur du Coletivo Papo Reto, s'est rendu au poste de police avec plusieurs collègues. Lorsqu'ils sont arrivés, ils ont été insultés et menacés. Raull a aussi indiqué que les mêmes officiers l'avaient déjà menacé avant cet incident.
La police a continué à s'en prendre aux manifestants de la Favelinha da Skol quand les défenseurs des droits humains étaient au poste. Les policiers ont utilisé du gaz lacrymogène et des balles de caoutchouc contre les habitants pacifiques. Lorsque Raull est revenu sur les lieux pour filmer la manifestation, il a dû fuir car la police a tiré des balles de caoutchouc contre lui et ses collègues. Un membre du Coletivo Papo Reto a été touché à la jambe et aux côtes.
Selon Raull, les officiers qui les ont pris en chasse connaissaient leur identité et l'attaque était ciblée. En outre, lorsque Rene Silva a été arrêté, la police lui a demandé s'il travaillait avec Raull et le Coletivo Papo Reto. Les policiers lui ont aussi dit qu'ils "gardaient un œil sur Raull et qu'ils essayaient de rassembler des preuves contre lui".
Le 15 septembre, plusieurs membres de la police militaire (PM) ont menacé Raull Santiago pendant l'opération dans le Complexo Alemão. Le défenseur a vu plusieurs officiers de la police militaire arrêter un bus et ordonner à plusieurs jeunes hommes de descendre du véhicule. Un officier a alors commencé à battre l'un des jeunes. D'autres policiers ont remarqué que Raull filmait l'incident. Ils lui ont ordonné de présenter sa carte d'identité et d'aller témoigner au poste de police. Raull a répondu qu'il ne témoignerait qu'en faveur du jeune homme agressé.
À ce moment-là, l'un des policier a crié "va filmer des criminels"; un autre l'a mis en garde "je sais où tu vis", et ils ont commencé à le filmer. Un troisième officier s'est approché de lui et s'est plaint qu'il se mettait en travers d'une opération policière. Un quatrième a dit à Raull "tu peux me filmer et tu peux te plaindre, mais il ne se passera rien, au pire je serai juste transféré".
Un policier l'a également menacé qu'il enverrait quelqu'un en civil et en moto, et qui pourrait "venir chez toi et te prendre et personne ne saura jamais ce qu'il s'est passé". Le défenseur a ensuite pu partir sans heurt. Le lendemain, un groupe de policier a été vu en train de circuler près du Complexo do Alemão et en train de demander à des habitants où vit Raull et ce qu'il fait.
En raison de leur travail contre les violences policières, plusieurs membres du Coletivo Papo Reto ont été plusieurs fois menacés. Selon Amnesty International, entre 2010 et 2013, 1275 personnes auraient été tuées par des policiers en service. D'après Human Rights Watch:
La police dans l'État de Rio de Janeiro a tué plus de 8000 personnes au cours de la dernière décennie, dont au moins 645 en 2015. Un cinquième de tous les homicides de la ville de Rio ont été commis par la police. Trois quart des personnes tuées par la police était des hommes noirs.
Les habitants du Complexo do Alemão, ainsi que des autres favelas de Rio de Janeiro, ont constaté une augmentation de la militarisation et des violences policières. En 2010, les autorités de Rio ont créé l'UPP -Unité de police pacificatrice, dans le but de lutter contre les trafiquants de drogue et pour pacifier les favelas. Cependant, les défenseur-ses des droits humains locaux ont indiqué que l'UPP n'avait fait qu'accroitre le niveau de violence et que ses officiers étaient souvent responsables d'attaques violentes et d'assassinats de civils non armés.
Daiene Mendes, une journaliste du Complexo do Alemão, a écrit dans The Guardian:
Le projet de l'UPP qui promettait la pacification du Complexo do Alemão n'a pas fonctionné pour les habitants de la favela, qui doivent désormais vivre avec cette réalité quotidienne. Chaque fois que je quitte mon domicile, j'ai l'impression qu'il y a trois armes braquées sur la tête.
Front Line Defenders condamne les menaces de mort proférées contre le journaliste Raull Santiago ainsi que les attaques contre les journalistes communautaires dans le Complexo do Alemão. Nous appelons également les autorités brésiliennes à mener une enquête exhaustive sur les menaces de mort proférées contre le défenseur Raull Santiago, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir son intégrité physique et psychologique et sa sécurité.