Arrestation et répression des défenseur⸱ses des droits humains qui font campagne contre la privatisation et la militarisation dans le district de Bastar, dans l’État du Chhattisgarh
Front Line Defenders condamne fermement les représailles menées par l’État, notamment l’arrestation et la détention des défenseur⸱ses des droits humains (DDH) engagés dans une campagne pacifique contre la privatisation et la militarisation à Bastar, État du Chhattisgarh. Les violences et les représailles à l’encontre des leaders communautaires, des militants et des populations locales se poursuivent depuis des mois. Au moins cinq DDH ont été emprisonnés, notamment en vertu de la législation antiterroriste. Les brutalités policières et les violences contre les membres la communauté, dont les DDH, s’intensifient rapidement, y compris à travers les restrictions des libertés de réunion et de mouvement, la démolition des camps de protestation, les expulsions forcées et les exécutions extrajudiciaires sous prétexte de lutter contre l’extrémisme gauchiste.
Malgré les risques élevés et la répression brutale, les manifestants, répartis au sein de plusieurs mouvements dans le district, poursuivent leur résistance pacifique à la destruction des terres et des forêts autochtones, tout en revendiquant des droits garantis par la Constitution. La région est riche en ressources minérales telles que le fer et le charbon, ce qui donne lieu à des projets miniers d’entreprises qui portent préjudice aux communautés autochtones de l’État, entraînant des violations des droits humains, des déplacements massifs, la dégradation de l’environnement et la perte des moyens de subsistance. En outre, les collines et les forêts de la région revêtent une grande importance traditionnelle, culturelle et spirituelle pour les communautés indigènes. Dans de nombreux districts du Chhattisgarh, il y a une forte présence paramilitaire, approuvée par le gouvernement central qui mène l’opération Samadhan Prahar pour éradiquer l’extrémisme de gauche. Dans le seul district de Bastar, il y a plus de 100 camps paramilitaires. Les forces de sécurité déchaînent une violence sans précédent contre les Adivasis de la région, entraînant de graves violations des droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des arrestations de DDH et des atteintes à la liberté de circulation et de réunion pacifique.
Front Line Defenders a documenté les violations des droits humains et les représailles contre les DDH qui ont participé à au moins deux mouvements de protestation pacifiques dans le district, dont le Morohnar Jan Andolan et l’Orcha Jan Andolan. Au moins trois autres camps de protestation pacifique auraient été démolis au cours du mois dernier, mais il est difficile d’obtenir des informations détaillées sur le terrain en raison de la forte militarisation de la région. La répression à l’encontre des DDH et des mouvements autochtones s’est considérablement accrue à l’approche des élections nationales en Inde.
Le 2 avril 2024, Surju Tekam, défenseur autochtone des droits humains et mentor du Comité de coordination des mouvements de masse de Bastar, a été arrêté à son domicile à la suite d’un raid mené avant l’aube. Il est arrêté en vertu de la loi antiterroriste, de la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA) et de la loi sur les armes. Il est accusé d’avoir des liens avec le Parti communiste indien (maoïste) — CPI(M) — interdit, une allégation souvent portée contre les communautés locales et les défenseur⸱ses des droits humains. Surju Tekam œuvre depuis plus de vingt ans à la promotion des droits des Adivasis et dénonce les violations des droits humains dans la région. Il est également vice-président de Sarv Adivasi Samaj, une organisation de tutelle qui rassemble les collectifs d’Adivasis du Chhattisgarh pour défendre leurs droits socioculturels, civils et politiques.
Le 9 décembre 2023, quatre DDH liés au Morohnar Jan Andolan et à l’Orcha Jan Andolan ont été arrêtés et accusés d’avoir des liens avec le CPI(M). Ils n’ont pas été libérés sous caution et sont toujours emprisonnés. Shankar Kashyap et Oram Samlu Koram — qui dirigent le Morohnar Jan Andolan contre l’exploitation du minerai de fer dans les collines d’Amdai Ghati par la Jayaswal Neco Limited Company — ont été arrêtés le 9 décembre 2023. Le Morohnar Jan Andolan s’oppose à l’exploitation du minerai de fer et à la construction de camps paramilitaires dans la région. Il exige l’application de la loi de 2006 sur les tribus répertoriées et autres habitants traditionnels des forêts (reconnaissance des droits forestiers) et de la loi de 1996 sur l’extension des zones répertoriées par les panchayats (PESA), qui prévoient une consultation publique de la communauté locale avant d’approuver des projets miniers sur les terres des Adivasis. Shankar Kashyap est également président de l’Adivasi Adhikar Bachao Manch, qui joue un rôle essentiel dans la mobilisation contre l’exploitation minière par les entreprises dans la région de Bastar.
Les DDH Lakhma Koram et Ranu Podyam, du mouvement de protestation Orcha Jan Andolan, ont été arrêtés le même jour, le 9 décembre 2023, par la police du camp de Rawghat alors qu’ils se rendaient sur le lieu de la manifestation. Orcha Jan Andolan est mené par plus d’une centaine de villages de la région et se trouve à proximité de Tular Hills — un site affecté par des projets miniers d’entreprises, l’expansion des routes ainsi que par les camps militaires. Orcha Jan Andolan demande aussi l’arrêt des projets miniers et l’application de la loi PESA. Le 24 novembre 2023, quelques semaines avant leur arrestation, le camp de protestation a été détruit par des officiers de la District Reserve Guard (DSG), qui ont brutalement agressé les manifestants et détruit des biens qui se trouvaient sur le site.
Front Line Defenders est extrêmement préoccupée par l’augmentation de la violence et des représailles contre les communautés locales et les défenseur⸱ses des droits humains à Bastar, Chhattisgarh. Des rapports inquiétants font état de tirs à balles réelles sur des manifestants pacifiques, de meurtres, de raids et de violences. Le fait de cibler des mouvements autochtones pacifiques sur la base de complots fabriqués de toutes pièces vise à criminaliser des communautés entières et des DDH, réduisant ainsi au silence leurs manifestations pacifiques et leur travail en faveur des droits humains. En avril 2023, des membres du Parlement européen et plus de 85 organisations internationales ont publié une déclaration condamnant l’opération Samadhan Prahar du gouvernement central, alléguant qu’il avait lancé des attaques de drones dans le Chhattisgarh. La déclaration demandait la libération immédiate de tous les DDH persécutés pour leur lutte en faveur des droits des Adivasi et l’arrêt des opérations minières dans le Chhattisgarh. Elle appelait au dialogue avec les communautés Adivasi concernant leurs préoccupations liées à leur droit à la vie, à la terre et aux moyens de subsistance.
Les représailles observées dans le Chhattisgarh s’inscrivent dans un schéma de violence, de criminalisation et de persécution dans toute l’Inde, visant en particulier les communautés locales et les DDH qui défendent le droit à la terre, à l’environnement et à la protection de leur mode de vie. Les communautés dalits et autochtones ainsi que les défenseur⸱ses des droits humains sont les premières victimes de cette violence. Front Line Defenders a déjà fait part de ses préoccupations concernant la criminalisation des mouvements de protestation autochtones et la suppression de leurs droits dans l’Odisha, le Madhya Pradesh et le Maharashtra. Les mouvements de protestation dans le district de Bastar incarnent les luttes des communautés Adivasi en Inde, qui sont constamment marginalisées, persécutées et privées de leurs droits garantis par la Constitution. Front Line Defenders exhorte les autorités indiennes à cesser de cibler les défenseur⸱ses des droits humains et les mouvements de protestation pacifiques dans l’État du Chhattisgarh, et d’appliquer les engagements pris par l’Inde pour reconnaître les droits des peuples autochtones conformément au droit international.