Inde : Escalade de la répression contre le Jagrit Adivasi Dalit Sangathan, les défenseurs des droits humains Madhuri Krishnaswami, Nitin Varghese, Antaram Awase et les leaders communautaires qui militent pour les droits forestiers et le droit à la terre d
Front Line Defenders est profondément préoccupée par les menaces croissantes, y compris la persécution légale, contre les défenseur⸱ses des droits humains, les leaders communautaires et ceux associés au collectif Jagrit Adivasi Dalit Sangathan (JADS) à Burhanpur, État du Madhya Pradesh. Depuis octobre 2022, une cinquantaine de défenseur·ses du droit à la terre et de l’environnement, tous membres ou associés au JADS, font l’objet de représailles systématiques. Les représailles violent directement leur droit au rassemblement pacifique, et prennent la forme de multiples fausses affaires, d’arrestations et de détentions arbitraires. Madhuri Krishnaswami, défenseuse des droits humains et organisatrice du JADS, fait face à 21 affaires judiciaires et a été expulsée de son quartier résidentiel.
Le Jagrit Adivasi Dalit Sangathan est un collectif qui travaille depuis plus de 20 ans pour défendre les droits des Dalits et des communautés autochtones dans les zones rurales du Madhya Pradesh. Les deux communautés sont traditionnellement persécutées et victimes de discrimination et sont confrontées à des violations de leurs droits à la terre, à leurs moyens de subsistance, à l’accès aux ressources et au droit de vivre dans la dignité. Les questions clés abordées par le JADS comprennent la déforestation illégale, l’expulsion forcée des communautés locales et le refus de les laisser accéder à la terre et aux forêts, qui sont des ressources de propriété commune essentielles à leur vie et à leurs moyens de subsistance. Le JADS documente également les violations telles que la violence exercée par l’État, les arrestations et détentions arbitraires de membres de la communauté sur la base de fausses accusations en représailles à des manifestations pacifiques contre les politiques de l’État, et il mène des campagnes contre ces violations.
En 2022, le JADS s’est joint à une manifestation de communautés indigènes dans le district de Burhanpur contre la déforestation illégale et la destruction de l’environnement par des groupes locaux qui agissent avec le soutien et la protection tacites des autorités de l’État. Depuis octobre 2022, environ 15 000 hectares de forêt ont été défrichés par ces groupes avec le soutien de la police, de fonctionnaires et de la mafia du bois. Les communautés craignent que les terres soient défrichées pour faire place à des projets miniers et pour réaliser des profits grâce au commerce du bois. Elles protestent depuis octobre 2022 contre la destruction et subissent les représailles de l’État, notamment des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires.
Le 7 juillet 2023, la défenseuse des droits humains Madhuri Krishnaswami, l’une des principales dirigeantes du JADS, s’est vu signifier un ordre d’« externment » (expulsion forcée) du district de Burhanpur, dans l’État du Madhya Pradesh, pour une période d’un an, par le bureau du collecteur du district. 1 Le 19 mai 2023, elle a reçu un avis d’expulsion du district de Burhanpur et est invitée à justifier les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être expulsée du district. L’avis révèle également que Madhuri Krishnaswami a été accusée dans 21 affaires par le département des forêts, qui l’accusent faussement d’avoir contribué à la déforestation contre laquelle elle proteste. La défenseuse des droits humains se bat contre la déforestation en organisant des manifestations publiques pacifiques et en informant régulièrement l’administration du district de l’abattage illégal d’arbres depuis le 9 octobre 2022. Le JADS, en tant qu’organisation de défense des droits humains, est également accusé à tort d’extorquer de l’argent aux habitants afin de déposer des revendications de terres en vertu de la loi sur les droits forestiers (Forest Rights Act).
Le 26 mai 2023, Madhuri Krishnaswami s’est rendue au bureau du collecteur du district de Burhanpur avec 200 membres de la communauté indigène du JADS pour soumettre une réponse à l’avis d’expulsion. Elle a souligné qu’elle avait alerté les autorités à plusieurs reprises à propos de la déforestation illégale au lieu d’y contribuer, et elle a également affirmé que l’hostilité des fonctionnaires forestiers à l’égard du JADS est due à son soutien aux droits des Adivasi en vertu du Forest Rights Act.
L’expulsion forcée et les fausses accusations font partie d’une série d’actes de harcèlements et de représailles à l’encontre des membres du JADS, dont Madhuri Krishnaswami. Le 3 mai 2023, un journal local a publié des déclarations du directeur de la police du district de Burhanpur qui menaçait d’arrêter au moins 50 défenseur⸱ses des droits humains et activistes associés au JADS.
Le 20 avril 2023, un groupe de politiciens locaux a déposé une plainte (First Information Report – FIR) contre les défenseurs Madhuri Krishnaswami et Nitin Varghese. La plainte a été déposée en vertu des articles 294 (actes et chansons obscènes) et 34 (actes accomplis par plusieurs personnes pour accomplir une intention commune) du Code pénal indien, ainsi que des infractions prévues par la loi sur la prévention des atrocités à l’encontre des castes et des tribus répertoriées (Scheduled Castes and Scheduled Tribes – Prevention of Atrocities – Act). Le même groupe de politiciens avait tenté de perturber une réunion le 19 avril 2023 entre les membres du JADS et les dirigeants des partis d’opposition qui se rendaient dans la région pour inspecter les allégations de déforestation.
Le 30 avril 2023, le défenseur des droits humains Antaram Awase, également membre du JADS, a été arrêté arbitrairement par la police du Madhya Pradesh alors qu’il se rendait à un événement lié aux droits du travail à l’occasion du 1er mai. La famille d’Antaram Awase n’a pas été informée de son arrestation ni du lieu où il se trouvait, ce qui constitue une violation de la loi indienne sur la procédure pénale. Il a ensuite été révélé que l’arrestation était liée à une plainte déposée en 2019 par des fonctionnaires du département des forêts qui avaient tenté d’expulser par la force des communautés indigènes. La police a tiré des grenades sur des manifestants locaux non armés et pacifiques, blessant quatre personnes. Antaram Awase était aussi impliqué dans une fausse affaire ouverte en octobre 2022, dans laquelle il était accusé d’avoir contribué à la déforestation. Comme Madhuri Krishnaswami, le défenseur avait lui-même fait campagne contre la déforestation et avait même partagé des informations avec les autorités à ce sujet. Au lieu de prendre des mesures contre les auteurs, la police a choisi de poursuivre Antaram Awase en justice afin de faire taire son travail et son activisme. Après son arrestation le 30 avril 2023, Antaram Awase a été libéré sous caution le 19 mai 2023, mais les procédures à son encontre se poursuivent.
Outre les défenseur⸱ses des droits humains, les chefs et les membres des communautés qui participent à l’actuel mouvement pacifique pour préserver les droits forestiers, le droit à la terre et l’environnement, font également l’objet de représailles.
L’État a un recours abusif aux dispositions relatives aux rassemblements illégaux de la section 144 du code de procédure pénale indien pour criminaliser les manifestations pacifiques. Ces dispositions permettent à un État d’interdire le rassemblement de plus de quatre personnes dans une juridiction donnée lors de situations d’urgence anticipées. Le 26 mai 2023, les 200 manifestants qui ont accompagné Madhuri Krishnaswami au bureau du District Collector ont été accusés d’avoir violé les dispositions de la section 144. De même, les médias indiquent que 62 membres de la communauté ont été accusés en vertu de la même disposition suite à une manifestation de trois jours contre la déforestation illégale, du 5 au 7 avril 2023, au cours de laquelle des milliers de membres de la communauté se sont rassemblés devant le bureau du collecteur du district. Dans les deux cas, l’État n’a pas fait d’annonce publique ni informé les communautés locales de l’imposition de la section 144, comme la loi l’exige.
L’État a également recours à l’arrestation de membres de la communauté dans le cadre de fausses affaires pénales. Le 26 mai 2023, 18 membres de la communauté autochtone ont été arrêtés dans le village de Davali, dans le Madhya Pradesh, dans le cadre d’une plainte datant de 2021 et relative au pillage d’un tracteur qui appartenait à des personnes autochtones et qui avait été saisi par des agents forestiers en 2021, en violation d’une décision de justice. Les 11 personnes arrêtées n’étaient pas nommées dans la plainte initiale et la police a maintenant déposé une plainte supplémentaire, non soumise à la libération sous caution, en vertu de l’article 395 du Code pénal, qui s’ajoute à l’affaire initiale de banditisme (dacoity). Les personnes arrêtées ont été libérées sous caution le 6 juin 2023, mais les poursuites à leur encontre sont maintenues.
Dans un contexte de représailles contre les défenseur⸱ses des droits humains et les membres de la communauté, les expulsions forcées et la déforestation illégale se poursuivent. Le 17 mai 2023, des agents forestiers et la police du Madhya Pradesh ont tenté d’expulser par la force la communauté autochtone du village de Tangiyapaat à Burhanpur, qui avait déposé plainte pour ses terres en vertu de la loi sur les droits forestiers. La communauté cultive ces terres à des fins agricoles depuis plus de quarante ans. La police et les agents forestiers ont détruit 14 maisons et tenté d’expulser par la force des habitants locaux avant que leurs revendications ne puissent être vérifiées, en violation de la loi. Auparavant, le 12 mai 2023, des agents forestiers et des policiers ont détruit sans préavis 25 maisons dans le village de Bhilaikheda, dans le district de Khandwa.
Front Line Defenders est extrêmement préoccupée par les violations continues commises contre les communautés autochtones, ainsi que par l’escalade des représailles contre les défenseur·ses des droits humains et les leaders communautaires dans le Madhya Pradesh. Les poursuites judiciaires contre l’organisation de défense des droits humains JADS et les DDH Madhuri Krishnawami, Antaram Awase et Nitin Varghese sont des représailles directes contre leur soutien aux communautés indigènes et leurs protestations pacifiques contre la déforestation illégale, les expulsions forcées et la destruction des habitations. Dans le contexte des violations historiques systématiques des droits des peuples autochtones, la suppression du JADS est une nouvelle tentative de faire taire leur voix.
Front Line Defenders appelle les autorités indiennes à mettre fin immédiatement aux représailles contre les défenseur⸱ses des droits humains en annulant l’expulsion de Madhuri Krishnaswami du district de Burhanpur, et en abandonnant toutes les charges contre Madhuri Krishnaswami, Antaram Awase, Nitin Varghese et les leaders de la communauté. Elle demande également aux autorités indiennes de mener une enquête immédiate, approfondie et impartiale sur les violations, notamment la déforestation illégale, l’expulsion forcée et la destruction d’habitations, afin de traduire les responsables en justice et d’enquêter sur les plaintes déposées par les communautés autochtones en vertu de la loi sur les droits forestiers.
1 Selon le Madhya Pradesh Rajya Suraksha Adhiniyam (règlement sur la sécurité de l’État) de 1990, le gouvernement de l’État peut ordonner à toute personne qui a été condamnée pour un crime ou qui est soupçonnée de susciter des craintes, de représenter un danger ou de provoquer un préjudice à une personne ou à un bien, de quitter un lieu ou un district particulier ou de ne pas y revenir. La défenseuse des droits humains Madhuri Krishnaswami a été injustement accusée d’avoir tenté de créer des troubles et d’avoir contribué à la déforestation dans le district de Burhanpur ; elle a été contrainte de quitter le district.