Appel urgent : les organisations de défense des droits appellent les autorités libanaises à cesser d’intimider l’avocat en droits humains Mohammed Sablouh
Les organisations de défense des droits humains sont profondément préoccupées par les récentes tentatives des autorités libanaises de réduire au silence et de discréditer Mohammed Sablouh, un avocat en droits humains qui défend les victimes de torture et les réfugiés syriens menacés d’expulsion. Les actions des autorités libanaises constituent une violation inacceptable du travail des avocats et autres défenseur-ses des droits humains, compte tenu du fait que le Liban ne s’est toujours pas acquitté de ses obligations légales de prévenir et punir le recours à la torture et de respecter le principe de non-refoulement.
Mohammed Sablouh est un avocat libanais et directeur du Centre pour les droits des prisonniers au sein du Barreau de Tripoli. Depuis près de 15 ans, il documente des cas de torture et d’autres mauvais traitements dans les centres de détention libanais et plaide en faveur des victimes tant au niveau national qu’international. Récemment, le travail de Mohammed Sablouh exposant la torture et les autres mauvais traitements des prisonniers dans la prison de la police militaire à Beyrouth, à la caserne Fakhr El-Din (Ramla al-Bayda), et son plaidoyer contre l’expulsion forcée des réfugiés syriens a fait l’objet d’une importante couverture médiatique dans la presse libanaise. Par conséquent, il fait l’objet de contestations judiciaires abusives et d’autres formes d’intimidation, en particulier de la part de la Direction générale de la sécurité et du parquet militaire.
Le 23 septembre 2021, le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire, le juge Fadi Akiki, et la police militaire, ont fait pression sur l’un des clients de Sablouh, un détenu du centre de Fakhr El-Din, afin qu’il témoigne que les allégations de torture portées par Mohammed Sablouh sont fausses, selon les membres de la famille. Le 28 septembre, le Parquet militaire a adressé une lettre au Barreau de Tripoli demandant l’autorisation de poursuivre Mohammed Sablouh en vertu de l’article 403 du Code pénal libanais, qui sanctionne les fausses accusations. Cette demande indique que les autorités libanaises entament une procédure de représailles contre Mohammed Sablouh pour tenter de discréditer son travail légalement autorisé qui documente des cas de torture.
En faisant obstruction au travail des avocats, le Liban viole ses propres lois et procédures pénales ainsi que ses obligations internationales en matière de droits humains. Les Principes fondamentaux des Nations Unies sur le rôle des avocats exigent que les gouvernements veillent à ce que les avocats « puissent s'acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue » et qu’ils « ne fassent pas l'objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie ». Le 8 octobre, l’affaire Sablouh a été soumise aux Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats et sur les défenseurs des droits de l’Homme.
Appel à agir
Nous, les organisations nationales et internationales des droits humains soussignées, appelons le Liban à respecter le travail des avocats et autres défenseur-ses des victimes de torture et à respecter ses obligations légales de prévenir et de punir l’usage de la torture.
Nous appelons les autorités libanaises, et en particulier le Parquet militaire et la Direction générale de la sécurité, à :
Prendre les mesures nécessaires pour que l’avocat en droits humains Mohamed Sablouh puisse exercer son travail légitime dans un environnement sûr et propice sans crainte de harcèlement, de menaces ou d’actes d’intimidation de quelque nature que ce soit ;
Cesser les tentatives d’intimidation contre les avocats et les défenseur-ses des droits humains engagés à documenter et à signaler des cas de torture ;
Respecter le droit des détenus à la présence d’un avocat lors des enquêtes préliminaires conformément au Code de procédure pénale ;
Enquêter immédiatement sur toute allégation de torture signalée, s’abstenir de demander aux mêmes organismes mis en cause ou au système de justice militaire d’enquêter eux-mêmes sur les plaintes pour torture, et fournir la protection nécessaire aux victimes qui signalent de telles allégations ;
Respecter la Convention contre la torture et s’abstenir d’expulser toute personne sans lui donner la possibilité de voir un avocat, de rencontrer l’agence des Nations Unies pour les réfugiés et de présenter son argumentation contre l’expulsion devant un tribunal compétent ;
Garantir l’application rapide et complète de la loi contre la torture au Liban.
Contexte
Le Liban a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture en 2000. En 2017, le Liban a adopté une nouvelle loi qui, bien qu’en deçà des normes internationales, criminalise la torture (loi no 65 de 2017). En 2020, le Liban a également modifié l’article 47 de son Code de procédure pénale afin d’élargir les garanties de la défense et de maintenir le droit des avocats à assister aux enquêtes préliminaires, une protection importante contre la torture. Cependant, malgré ces réformes législatives importantes, la torture est toujours employée de façon systématique. Le Barreau de Tripoli a publié une brochure qui documente les cas de torture qui ont eu lieu en toute impunité de 2017 à 2020. De plus, les avocats au Liban continuent d’être empêchés d’assister aux séances d’enquête préliminaire avec les détenus, en particulier dans les installations militaires, sous prétexte de routine administrative et de confidentialité des enquêtes.
De plus, en tant que partie à la Convention contre la torture, le Liban est tenu de ne pas expulser, rapatrier ou extrader quiconque est menacé de torture. Le Liban est également tenu par le principe de droit international coutumier de non refoulement de ne pas renvoyer les gens dans des endroits où ils risquent la persécution. Pourtant, entre mi-2019 et fin 2020, la Sécurité générale a expulsé plus de 6 000 réfugiés syriens, les exposant à des risques de torture, de disparition forcée et d’exécutions extrajudiciaires.
Torture et mauvais traitements à la caserne de Fakhr El-Din (Ramla al-Bayda)
Le 14 août 2021, des témoins ont indiqué que des détenus de l’établissement de Fakhr El-Din (Ramla al-Bayda), placé sous l’autorité de la police militaire, ont organisé une manifestation contre le manque de nourriture dans la prison en frappant les barreaux de fer avec des cuillères. La manifestation a commencé après que les détenus n’ont pas reçu de pain pendant trois jours, et après que l’eau et l’électricité ont été coupées dans l’établissement. Les responsables de la prison ont répondu à la protestation en frappant les prisonniers avec des bâtons et des crosses de fusil, causant des blessures à la tête, au cou et au dos, ce que des témoins et les familles des détenus ont confirmé. Les détenus n’ont pas reçu de soins médicaux pour leurs blessures et ont par la suite été empêchés de communiquer avec leur famille.
Mohammed Sablouh a agi comme conseiller juridique pour l’un des prisonniers qui aurait été passé à tabac. Le 17 août 2021, il a déposé une plainte pour torture et d’autres mauvais traitements devant le parquet, qui a ensuite été transférée devant le parquet militaire. La plainte a requis une enquête sur les passages à tabac de prisonniers suite à l’incident de protestation ainsi que sur les conditions générales dans l’établissement, y compris les coupures de courant, les pénuries d’eau et de nourriture, le manque de lumière du jour, la mauvaise gestion et les traitements cruels. En vertu de la loi contre la torture du Liban, le procureur public est tenu de nommer un médecin légiste dans les 48 heures suivant la réception d’une plainte pour torture.
Le 22 septembre 2021, plus d’un mois après l’incident présumé, le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire, le juge Fadi Akiki, a demandé à la police militaire – l’organisme à qui appartiennent les agents visés par la plainte pour torture – d’enquêter sur la plainte de la victime. Il leur a demandé d’interroger la victime au sujet de ses allégations et de nommer un médecin légiste pour examiner les preuves de torture. Cette instruction viole de manière flagrante la loi libanaise contre la torture qui interdit aux forces de l’ordre de mener des enquêtes sur des allégations de torture et qui exige que l’examen médical soit effectué dans les 48 heures suivant le dépôt de la plainte. Le médecin légiste et le médecin de la prison qui ont examiné la victime 40 jours après l’incident ont conclu qu’il n’y avait « aucun signe de contusion ».
La victime, qui est toujours actuellement en détention, a été interrogée par la police militaire et par le juge Akiki sans la présence de son avocat, en violation de l’article 47 du Code de procédure pénale. Selon les membres de sa famille, la victime a d’abord insisté pour dire que les allégations de torture étaient vraies. Cependant, selon sa famille, il a subi des pressions pour nier les allégations après avoir été informé que la plainte pouvait lui nuire et s’être fait promettre d’obtenir une libération anticipée. Plus tard, la victime a été contrainte de signer un rapport d’enquête qu’elle n’a pas eu le droit de lire. Le rapport d’enquête, que le Barreau de Tripoli a pu consulter, affirme faussement que la victime a été bien traitée en prison, qu’il n’a été témoin d’aucun passage à tabac par les officiers, et qu’il n’était pas au courant que Mohammed Sablouh avait déposé une plainte de torture en son nom.
Le 28 septembre, le procureur militaire, le juge Akiki, a adressé une lettre au Barreau de Tripoli demandant l’autorisation de poursuivre Mohammed Sablouh en vertu de l’article 403 du Code pénal libanais, qui sanctionne les fausses accusations. Le 5 octobre, le Barreau de Tripoli a officiellement informé Mohammed Sablouh de cette demande et a ouvert une enquête.
Le traitement des réfugiés syriens
En outre, Mohammed Sablouh a été intimidé alors qu’il défendait des réfugiés syriens détenus par la Direction générale de la sécurité libanaise (les autorités chargées de l’immigration) et qui risquaient d’être expulsés vers la Syrie, tout en documentant des cas de torture présumée.
En mars 2021, Amnesty International a publié un rapport sur les réfugiés syriens arbitrairement détenus en vertu d’accusations liées au terrorisme et torturés au Liban, qui comprenait des informations fournies par Mohammed Sablouh.
À la suite de la publication du rapport, le ministre de la Justice a convoqué une réunion le 14 avril 2021 avec les chefs des agences de sécurité et les membres des barreaux de Beyrouth et de Tripoli. Mohammed Sablouh a assisté à la réunion en tant que rapporteur du Comité des Prisons du Barreau de Tripoli. Au cours de la réunion, Mohammed Sablouh a mentionné qu’il avait fourni à Amnesty International des informations sur les violations des droits humains, y compris pour leur dernier rapport, et qu’il l’avait fait après avoir épuisé toutes les voies dans le pays, en vain. À la fin de la réunion, un haut fonctionnaire de la Sécurité générale a informé M. Sablouh qu’il « ne devrait pas communiquer avec les ONG internationales » et a ajouté qu’il était accusé de « haute trahison ».
Dans un autre cas, Mohammed Sablouh a été intimidé alors qu’il défendait deux réfugiés syriens détenus par la Direction générale de la sécurité et qui risquaient d’être expulsés vers la Syrie. Après avoir été condamnés par la justice libanaise pour des infractions liées au terrorisme qui auraient été commises en Syrie, les dossiers des deux réfugiés ont été transférés à la Direction générale de la sécurité, qui a émis des ordres d’expulsion contre eux sans autorisation judiciaire et sans leur accorder le droit de se défendre ou de contester les ordres. Le 2 octobre, Al Modon a publié un article sur le traitement des réfugiés syriens par la Sécurité générale, y compris le cas susmentionné du client de Mohammed Sablouh. Cet article citait largement M. Sablouh.
En réponse au tollé médiatique autour de l’affaire, la Direction générale de la sécurité a répondu le 4 octobre, déclarant que l’État libanais ne pouvait plus supporter la présence de « terroristes » sur son territoire après toutes les opérations terroristes menées par la population « qui se dissimulent sous la cape du déplacement syrien ». Se référant spécifiquement au rôle de Mohhamed Sablouh dans l’affaire, la Direction générale de la sécurité a ajouté que « le droit de la défense exige que le dossier syrien soit suivi par des moyens juridiques, mais l’avocat n’a pas le droit de rendre des jugements ou de diffuser des informations acquises illégalement et inexactes. »
Liste des signataires :
Access Center for Human Rights (Wousoul)
Amnesty International
Act!ve Lebanon
Association for Victims of Torture in the UAE (AVT-UAE)
Cairo Institute for Human Rights Studies
Ceasefire Centre for Civilian Rights
Economic Development Solutions S.A.R.L
EuroMed Rights
FIDH, within the framework of the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders
Front Line Defenders
Impunity Watch
Khiam Rehabilitation Center for Victims of Torture
Lawyers for Lawyers
Lebanese Center for Human Rights (CLDH)
Legal Agenda
MENA Rights Group
Rights for Peace
Shams Beirut
Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM)
The Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP)
World Organisation Against Torture (OMCT), within the framework of the Observatory for the Protection of Human Rights Defenders
Zaza Consulting