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24 Février 2021

Tunisie : Violences policières contre des défenseur-ses des droits humains et des manifestants pacifiques

Front Line Defenders est profondément préoccupée par l’augmentation des violences policières et par le nombre toujours plus élevé d’arrestations, de détentions et de poursuites judiciaires de défenseur-ses des droits humains et de manifestants pacifiques lors des récentes manifestations nationales en Tunisie. Front Line Defenders condamne en outre l’utilisation des réseaux sociaux comme plateforme par les syndicats de police pour inciter à la haine contre les défenseur-ses des droits humains et stigmatiser leur travail.

Le 15 janvier 2021, au lendemain du 10e anniversaire de la révolution en Tunisie, des troubles sociaux généralisés ont éclaté dans tout le pays. Bien qu’aucun groupe ne revendique la direction des manifestations, plusieurs organisations de la société civile et militants indépendants ont utilisé les réseaux sociaux pour organiser des manifestations contre le ralentissement économique, la corruption et l’impunité qu’ils estiment endémiques au sein du gouvernement. Les manifestants appelaient aussi à la dissolution du gouvernement et à la fin de la répression policière. Un groupe de la société civile a publié une liste de revendications sur Facebook qui incluait la libération immédiate des détenus liés aux manifestations, la mise en place d’un mécanisme judiciaire pour les plaintes pour violences policières, une série d’avantages financiers pour les groupes vulnérables et l’augmentation du salaire minimum.

Les manifestations pacifiques ont été organisées pour protester contre la crise économique chronique et l’incapacité du gouvernement à réagir face au chômage et à la pauvreté. La réaction violente des forces de sécurité aux manifestations est considérée par beaucoup comme excessive. La police est extrêmement violente pour disperser les manifestations pacifiques ; elle utilise des gaz lacrymogènes et des matraques pour charger les manifestants. Une telle violence policière rappelle l’ère Ben Ali, ce qui a poussé encore plus de monde à descendre dans la rue pour protester contre cette brutalité policière.

Le 1er février 2021, la situation dans le pays s’est encore aggravée après que les syndicats de police ont publié une déclaration dans laquelle ils ont tenté d’interdire les rassemblements publics et menacé d’intensifier leur recours à la violence contre les manifestants et les défenseur-ses des droits humains. En réponse, la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) a publié une déclaration appelant les autorités gouvernementales à se prémunir contre les exactions de la police et à protéger le droit des citoyens à la liberté d’expression et de réunion, qui est garanti par la constitution tunisienne.

Le 4 février 2021, la défenseuse des droits humains Yasmine Mbarki et son enfant de quatre ans étaient sur le chemin du retour après une manifestation lorsqu’elle a été arbitrairement arrêtée, laissant son enfant seul dans la rue. Yasmine Mbarki a été conduite au poste de police de Bouchoucha et détenue pendant plus de 24 heures. Pendant ce temps, elle a été soumise à de graves violences physiques ; son avocat a indiqué qu’elle avait perdu une dent et qu’elle avait plusieurs ecchymoses au corps. La défenseuse des droits humains est accusée d’avoir « insulté les forces de sécurité » et sa première audience est prévue le 25 février 2021 devant le tribunal de première instance de Tunis. Yasmine Mbarki est non seulement victime d’acharnement judiciaire, mais elle est victime de diffamation et d’abus de la part d’inconnus soupçonnés d’être liés à des syndicats de police sur les réseaux sociaux à cause de son travail de promotion des droits des femmes à Tunis.

Le 30 janvier 2021, l’avocat et défenseur des droits humains Yassine Azaza, qui représente légalement des manifestants pacifiques, a fait l’objet d’une campagne de diffamation en ligne au cours de laquelle plusieurs comptes Facebook publics de syndicats de police ont publié ses informations personnelles, y compris son numéro de téléphone, et l’ont accusé d’incitation à la violence contre l’État et les forces de sécurité. Le 6 février, l’avocat a participé à une manifestation pacifique, à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de Chokri Belaid, pour protester contre les violences policières et la répression des droits humains en Tunisie. Après la manifestation, Yassine Azaza et son collègue ont été attaqués par des personnes qui, selon eux, avaient été engagées par la police pour briser la manifestation de manière agressive. Selon l’avocat de Yassine Azaza, les forces de sécurité ont d’abord filmé l’attaque au lieu de tenter d’intervenir et de la stopper. Le défenseur a été blessé à la bouche, à la tête et au dos, et il a été transféré à l’hôpital. Bien que le parquet ait ouvert une enquête sur cette attaque, aucun des auteurs n’a été inculpé.

L’utilisation des réseaux sociaux par la police pour diffuser des messages à contenu homophobe qui incitent à la haine et à la violence contre la communauté LGBTIQ+ et qui stigmatisent les défenseur-ses des droits humains en Tunisie a été dénoncée par plusieurs organisations de la société civile, dont la LTDH. Le défenseur des droits humains et avocat Zoubair Elwhichi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme dans le nord de Sfax, promeut et défend les droits des LGBTIQ+ à Sfax. Le 2 février 2021, Zoubair Elwhichi a fait l’objet d’une campagne de diffamation sur Facebook ; plusieurs publications de comptes liés aux syndicats de la police ont été utilisées pour stigmatiser son travail en faveur des droits LGBTIQ+.

 

En décembre 2020 et janvier 2021, des membres et du personnel de l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (Damj) qui participaient activement aux manifestations pacifiques ont été arrêtés et détenus en vertu de chefs d’accusation passibles de lourdes peines de prison. Les défenseurs des droits humains et membres de Damj Saif Ayadi et Hamza Nasri sont en attente de jugement et sont accusés de « dommages matériels » suite à leur participation à une manifestation pacifique en décembre 2020. Dans le but de les intimider, les bureaux de Damj ont été placés sous surveillance policière constante au cours des derniers mois et, en raison de cette pression, l’organisation a vidé ses bureaux en janvier et transféré tous les documents confidentiels vers un autre endroit.

Le 18 janvier 2021, le défenseur des droits humains Hamza Nasri a été arrêté pour avoir participé à la manifestation pacifique contre la détérioration de la situation économique dans le pays. Le procureur du commissariat de police de Bab Souika a accusé Hamza Nasri d’avoir « commis un acte qui porte atteinte à la moralité publique » après que le défenseur a levé le majeur pendant la manifestation pacifique, et a ordonné sa détention pendant 48 heures. Le 21 janvier 2021, le défenseur a été traduit devant le tribunal de première instance de Tunis. Le procureur a ordonné sa libération conditionnelle et a en outre inculpé le défenseur des droits humains pour « insulte à un fonctionnaire ». La date de l’audience d’Hamza Nasri n’a pas encore été fixée.

Les poursuites contre les défenseur-ses des droits humains et des manifestants pacifiques, ainsi que l’utilisation des réseaux sociaux par la police afin de stigmatiser les défenseur-ses des droits humains qui ont participé à des manifestations pacifiques, défendu les droits des manifestants et exercé leur liberté d’expression, est incompatible avec l’obligation de la Tunisie de respecter le droit à la liberté d’expression en vertu de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et en vertu des dispositions de la constitution tunisienne. La brutalité policière qui est exercée pour étouffer les manifestations est également inconstitutionnelle et les autorités tunisiennes doivent condamner ces violences et mettre en place un mécanisme judiciaire pour gérer les plaintes pour violences policières. En outre, le rôle des syndicats de police doit se limiter à défendre les salaires et les conditions de travail de la police et ne pas être utilisé comme une organisation pour harceler, intimider et cibler les défenseur-ses des droits humains.

Front Line Defenders condamne le harcèlement des défenseur-ses des droits humains tels que Yasmine Mbarki, Yassine Azaza, Zoubair Elwhichi, Saif Ayedi et Hamza Nasri, car il semble qu’ils soient ciblés en représailles contre leur travail en faveur des droits humains et leur participation à la récente vague de manifestations pacifiques dans le pays. Front Line Defenders demande la libération de toutes les personnes arrêtées lors des récentes manifestations et exhorte les autorités à tenir les policiers qui ont agi illégalement responsables de leurs actes. Front Line Defenders exhorte les autorités tunisiennes à respecter le droit à la liberté d’expression des défenseur-ses des droits humains et des manifestants et à cesser de recourir à une force excessive contre les manifestations pacifiques. Enfin, Front Line Defenders appelle les autorités tunisiennes à garantir qu’en toutes circonstances, tous-tes les défenseur-ses des droits humains dans le pays puissent mener à bien leur travail légitime, sans craindre ni restrictions ni représailles.