Stop aux assassinats de défenseur-ses des droits humains aux Philippines
Nous, organisations de la société civile soussignées et partenaires du réseau Mémorial des DDH, souhaitons exprimer notre préoccupation constante concernant les assassinats persistants de défenseur-ses des droits humains (DDH) et l’impunité dont jouissent les auteurs aux Philippines.
Le Memorial des DDH a recueilli et vérifié des informations sur les meurtres de 25 défenseur-ses des droits humains en 2020 aux Philippines. Au cours des six premiers mois de 2021 seulement, 15 DDH ont déjà été tués dans le pays. Chacun de ces 40 assassinats1 perpétrés au cours de ces 18 mois, de janvier 2020 à juin 2021, est odieux, et la tendance est d’autant plus inquiétante que ces assassinats sont commis en toute impunité.
Parmi les défenseur-ses tués au cours des 18 derniers mois figurent Zara Alvarez (38 ans), para-juriste au sein du groupe de défense des droits humains Karapatan et chargée de recherche et de plaidoyer du Negros Island Health Integrated Programme, et Randall « Ka Randy » Echanis (72 ans), leader paysan de longue date et consultant pour la paix. Leurs meurtres suivent un schéma de violence et du « marquage rouge » des DDH dans le pays. En 2018, leurs deux noms figuraient sur une liste d’au moins 600 personnes que le ministère de la Justice des Philippines a demandé à un tribunal de déclarer comme des « terroristes », et bien que leurs noms aient été retirés par la suite, ce type de harcèlement contre les militants, qui se voient taxés de « communistes », « terroristes » et « sympathisants » par des responsables de l’administration Duterte, a clairement des conséquences mortelles. Douze mois après leurs meurtres, aucun suspect n’a été arrêté ou inculpé.
Les défenseur-ses du droits à la terre et de l’environnement ainsi que des droits des communautés autochtones courent de graves risques aux Philippines alors qu’ils tentent de défendre pacifiquement leurs terres et de s’opposer à de grands projets industriels. Ces DDH sont représentés de façon disproportionnée dans les statistiques des DDH tués au cours des 18 derniers mois. Le 30 décembre 2020, le défenseur des droits autochtones Roy Giganto faisait partie des neuf agriculteurs et DDH tués lors d’un massacre perpétré dans plusieurs villages de l’île de Panay dans le cadre d’une opération policière et militaire coordonnée. Avant le massacre, ces dirigeants avaient été « marqués rouge » et accusés par les militaires d’être membres et partisans du Parti communiste des Philippines-Nouvelle armée populaire (CPP-NPA). En fait, ils étaient tous les leaders de l’organisation Tumanduk, une alliance de communautés autochtones dans les provinces de Capiz et d’Iloilo, et ils s’opposaient systématiquement aux violations des droits humains dans leurs localités et plaidaient pour la protection de leurs droits en tant que peuple autochtone. Avant cette attaque, ils s’opposaient activement et retardaient les avancées du projet de méga barrage multifonctionnel sur la rivière Jalaur, un projet conjoint des gouvernements philippin et sud-coréen qui risque d’entraîner le déplacement d’au moins 17 000 membres du peuple autochtone Tumandok2.
Sous l’administration Duterte, les auteurs — policiers, militaires ou non — savent qu’ils peuvent s’en tirer lorsqu’ils tuent des défenseur-ses des droits humains aux Philippines. Les meurtres de DDH font rarement l’objet d’enquêtes, ce qui accroît la vulnérabilité des DDH qui demeurent actifs, tout en sapant la confiance de la communauté des droits humains envers le système judiciaire. De plus, la loi antiterroriste adoptée à la hâte en juillet 2020 aggrave la situation précaire des DDH car elle officialise légalement le « marquage rouge » des défenseur-ses des droits humains en définissant le terrorisme de façon trop large et vague.
Aujourd’hui, en solidarité avec la communauté des droits humains aux Philippines, nous appelons tous les gouvernements à condamner les assassinats de DDH aux Philippines et à envoyer un message à l’administration Duterte pour exiger des enquêtes impartiales et indépendantes sur les 40 meurtres qui ont eu lieu au cours des 18 derniers mois, et pour que l’administration s’engage à traduire les coupables en justice. En outre, nous appelons les gouvernements à prendre des mesures longtemps attendues au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et à soutenir une enquête internationale sur les meurtres illégaux et autres violations graves aux Philippines. Ces meurtres font partie d’une persécution générale de la communauté des droits humains dans le pays, et doivent être contestés par des enquêtes immédiates, par l’abrogation de la Loi antiterroriste de 2020, et un engagement de l’administration Duterte à promouvoir et protéger les DDH.
Signé :
ACI Participa (Honduras)
Amnesty International
Comité Cerezo México
El Programa Somos Defensores (Colombia)
FIDH, dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains
Front Line Defenders
Global Witness
Justiça Global (Brésil)
KARAPATAN (Philippines)
Red Nacional de Organismos Civiles de Derechos Humanos "Todos los Derechos para Todas y Todos" Red TDT (composé de 85 organisations dans 23 états de la république du Mexique)
Organisation Mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains
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1 Les noms des 40 DDH tués aux Philippines entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021 sont : Jennifer Tonag, Jay-ar Mercado, Emerito Pinza, Romy Candor, Marlon Maldos, Nora Apique, John Farochilin, Jose Reynaldo Porquia (Jory), Allan Aguilando (Mano Boy), Carlito Badion (Karletz), Froilan Reyes (Kawing), Jose Jerry Catalogo, Randall Echanis, Zara Alvarez, Armando Buisan, Ignacio Jr. Arevalo (Tukoy), Roy Giganto, Reynaldo Katipunan, Galson Catamin, Eliseo Jr. Gayas, Maurito Diaz, Artilito Katipunan, Mario Aguirre, Jomar Vidal, Rolando Diaz, Aldren Enriquez, Vernel Mondreal, Antonio Arellano, Romeo Torres, Lucresia Tasic, Ana Mariz Evangelista, Ariel Evangelista, Emmanuel Asuncion, Melvin Dasigao, Mark Bacasno, Miguel Dandy, Jesus Jr. Pason, John Heredia, Willy Rodriguez et Lenie Rivas.
2 Une autre série de raids coordonnés a eu lieu le 7 mars 2021, deux jours seulement après que le président Duterte a ordonné à la police nationale des Philippines (PNP) et à l’armée des Philippines (AP) de « faire fi des droits humains », de « tuer » et d'« en finir avec » les rebelles communistes en cas de rencontre armée avec eux. Neuf membres présumés de « groupes communistes et terroristes » ont été tués dans ce massacre, dont cinq défenseur-ses des droits humains