Déclaration — Tadjikistan : Les autorités de la République du Tadjikistan devraient cesser de persécuter les défenseur⸱ses des droits humains dans la région autonome de Gorno-Badakhshan
Front Line Defenders est profondément préoccupée par la recrudescence des attaques contre les défenseur⸱ses des droits humains, les avocats et les journalistes dans la région autonome de Gorno-Badakhshan (GBAO) au Tadjikistan. Front Line Defenders est profondément préoccupée par la détention de la défenseuse des droits humains Ulfatkhonim Mamadshoeva et du membre de la « Commission 44 » Manuchehr Kholiknazarov, ainsi que par le manque de transparence du gouvernement du Tadjikistan quant aux raisons de leur détention.
Ulfatkhonim Mamadshoeva est une éminente défenseuse des droits humains dans la région de Gorno-Badakhshan. Elle représente le groupe minoritaire Pamiri et est journaliste indépendante. Elle travaille avec « Asia Plus », « Argumenti Nedeli » et collabore avec « Ferghana ». Ces dernières années, Ulfatkhonim Mamadshoeva a fondé l’ONG « Nomus va Insof », qui se concentre sur les droits des enfants, l’éducation et les droits des femmes. Manuchehr Kholiknazarov est un avocat en droits humains ; il dirige la Pamir Lawyers Association, membre de la Coalition de la société civile contre la torture et l’impunité au Tadjikistan et de la « Commission 44 ».
La situation à GBAO s’est détériorée depuis novembre 2021. Le 25 novembre 2021, l’assassinat d’un civil a déclenché des manifestations pacifiques exigeant, entre autres, une enquête sur les circonstances de l’assassinat. Lors des manifestations pacifiques, deux manifestants ont été tués et 17 ont été blessés par des tirs des forces de sécurité contre la foule. Suite aux violences policières de Gorno-Badakhshan, un groupe de 44 avocats, défenseur⸱ses des droits humains et militants a mis sur pied la « Commission 44 », une initiative de la société civile visant à enquêter sur la mort d’un civil et sur les événements de Khorog, conjointement avec les autorités, et à poursuivre les négociations avec les gouvernements central et régional.
Les autorités ont réagi aux manifestations en coupant Internet. Internet a été « restauré » le 22 mars 2022, après près de 4 mois de coupure pour les résidents de Gorno-Badakhshan. Cependant, il semble que la connexion Internet reste inaccessible ou fortement réduite.
Depuis le 16 mai 2022, des manifestations pacifiques ont éclaté en raison de l’absence d’enquête efficace sur les homicides perpétrés par la police en novembre 2021. Au début des manifestations pacifiques, l’armée et les forces spéciales tadjikes ont violemment dispersé les manifestants, faisant plus de 10 morts et plus de 100 détenus. Internet a de nouveau été coupé par les autorités dans toute la région GBAO. Les 17 et 18 mai 2022, les forces de sécurité ont poursuivi leurs attaques contre des civils, utilisant des grenades lacrymogènes et des balles réelles. Le 18 mai 2022, le ministère de l’Intérieur du Tadjikistan a annoncé le début d’une opération « antiterroriste » à Gorno-Badakhshan.
Le 17 mai 2022, le ministère de l’Intérieur du Tadjikistan a publié un communiqué accusant la défenseuse des droits humains et journaliste Ulfatkhonim Mamadshoeva d’avoir co-organisé un « rassemblement illégal » et incité à la violence le 16 mai 2022 dans le Centre administratif de la GBAO, à Khorog. L’appartement d’Ulfatkhonim Mamadshoeva à Douchanbé a été perquisitionné, et son téléphone et son ordinateur portable ont été saisis. De plus, les appartements de ses proches ont également été perquisitionnés, et l’ex-mari de la défenseuse a été placé en détention. Le 18 mai 2022, Ulfathonim Mamadshoeva a été arrêtée arbitrairement par la Commission d’État pour la sécurité de l’État du Tadjikistan et des membres du parquet général. Le 20 mai 2022, la défenseuse des droits humains a été accusée d’avoir lancé des « appels publics à un changement violent de l’ordre constitutionnel », en vertu de l’article 307, partie 2, du Code pénal de la République du Tadjikistan. Le 24 mai 2022, la télévision publique tadjike a diffusé une vidéo d’Ulfatkhonim Mamadshoeva, dans laquelle elle avoue publiquement avoir organisé les manifestations pacifiques à Khorog avec le soutien d’un leader de l’opposition en exil.
Le 28 mai 2022, le parquet de Khorog a interrogé le défenseur des droits humains et avocat Manuchehr Kholiknazarov au sujet de la « réception présumée d’argent provenant de la National Alliance of Tajikistan », une organisation interdite. Le défenseur a été arbitrairement incarcéré dans un centre de détention provisoire du ministère de l’Intérieur. Le 6 juin 2022, Manuchehr Kholiknazarov a été transféré dans le centre de détention du Comité de sécurité nationale du Tadjikistan. Le défenseur est accusé de « participation à une association criminelle » en vertu de la partie 2 de l’article 187 du Code pénal. On ignore actuellement si le défenseur a accès à une assistance juridique. Plus de 10 membres de la Commission 44 auraient été interrogés au sujet des manifestations pacifiques.
Front Line Defenders est profondément préoccupée par la répression des manifestations pacifiques orchestrée par les autorités tadjikes. La violence, les menaces, la criminalisation, la détention arbitraire et les fausses accusations qui sont utilisées contre les journalistes, les avocats et les défenseur⸱ses des droits humains font partie d’une tendance inquiétante au Tadjikistan. Front Line Defenders pense qu’ils sont uniquement pris pour cible en raison de leur travail légitime et non violent en faveur des droits humains et contre l’impunité, notamment leur travail pour couvrir les manifestations pacifiques qui se déroulent actuellement. Front Line Defenders condamne fermement les détentions arbitraires et l’acharnement judiciaire contre les défenseur⸱ses des droits humains, et appelle les autorités à mettre immédiatement fin à l’usage violent, excessif et illégal de la force contre les défenseur⸱ses des droits humains au Tadjikistan.