L'État espagnol doit, de toute urgence, respecter le droit d'Helena Maleno et de Caminando Fronteras de défendre les droits humains
Le 31 janvier 2019, le ministre espagnol du Développement intérieur, José Luis Ábalos Meco, a fait une déclaration publique dans laquelle il accuse des organisations de défense des droits des migrants, telles que Caminando Fronteras, de favoriser l'immigration illégale et le trafic d'êtres humains au travers de leur travail humanitaire en mer Méditerranée. Helena Maleno, membre fondatrice de Caminando Fronteras, est actuellement sous le coup des mêmes charges au Maroc.
Caminando Fronteras est une organisation non gouvernementale qui œuvre pour la protection des droits des migrants depuis 16 ans. L'organisation offre une ligne de sauvetage aux migrants qui cherchent à atteindre l'Europe par la mer, à la frontière entre l'Espagne et le Maroc, souvent dans des embarcations de fortune. L'organisation reçoit des appels de migrants en danger et alerte les autorités maritimes. Caminando Fronteras apporte également une aide juridique, sociale et sanitaire aux migrants et documente les atteintes aux droits humains perpétrées des deux cotés de la frontière.
Helena Maleno est journaliste et chercheuse ; elle vit au Maroc depuis 14 ans. Elle est experte dans le domaine de la migration et du trafic d'êtres humains, et porte une attention particulière aux droits des femmes et des enfants. Son travail est reconnu au niveau international et elle a reçu plusieurs prix, dont le prix "Nacho de la Mata" (2015), décerné par le Conseil général des avocats espagnols, le le prix des droits humains de l'Asociación Pro Derechos Humanos de España (2018), et le MacBride Peace Prize (2018), décerné par l'International Peace Bureau. Les experts en droits humains de l'ONU dénoncent la criminalisation d'Helena Maleno au Maroc, notamment le Rapporteur spécial sur la situation des défenseur-ses des droits humains et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires.
Dans un discours prononcé le 31 janvier 2019, le ministre espagnol du développement intérieur, José Luis Ábalos Meco, a déclaré que "70% des alertes" reçues par les autorités maritimes espagnoles proviennent d'une "ONG du Maroc" et concernent "les bateaux de migrants qui s'apprêtent à prendre la mer". Il sous-entendait que le travail de Caminando Fronteras constitue un trafic d'êtres humains et d'aide illégale aux migrants et non un travail humanitaire. Le ministre affirmait aussi qu'il y a "un usage frauduleux des services humanitaires" dans le but de faire du trafic d'êtres humains.
Le 29 novembre 2017, Helena Maleno, ressortissante espagnole, a été citée à comparaître devant la cour d'appel de Tanger, où elle a été accusée de favoriser l'immigration clandestine et l'aide illégale au passage de migrants. Helena Maleno risque une condamnation à perpétuité au Maroc.
Les accusations portées contre la défenseuse au Maroc sont basées sur une enquête de la police espagnole en 2012, lorsqu'elle alertait les services de secours après avoir reçu des appels de détresse de migrants. Les autorités espagnoles ont rejeté l'affaire intentée contre elle en avril 2017, faute de preuve à charge, mais elles ont envoyé des documents au Maroc, ou Helena vit, afin que les autorités marocaines ouvrent une enquête contre elle.
Selon Caminando Fronteras, les accusations de trafic d'êtres humains son infondées car les alertes ne sont pas uniquement envoyées aux autorités espagnoles, mais aussi aux autorités marocaines et algériennes, et uniquement lorsqu'il y a un risque réel pour la santé et la sécurité des migrants. En vertu du droit international, les trois pays sont obligés de partager les informations, de coordonner les opérations de sécours et de décider dans quel port les migrants seront conduits.
Women's Link Worldwide, Justice Associates (JASS), Front Line Defenders, l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) sont profondément préoccupées par la déclaration du ministre espagnol du Développement intérieur. Elles pensent que non seulement cette déclaration encourage la criminalisation du travail des défenseurs des droits des migrants en Espagne et au Maroc, mais elle affecte aussi négativement l'affaire pénale intentée contre Helena Maleno. Par ailleurs, elle discrédite le travail légitime et pacifique de Caminando Fronteras.
Les organisations condamnent aussi toute tentative visant à promouvoir un discours criminalisant les défenseur-ses des droits des migrants, utilisé invariablement à travers toute l'Europe. De telles déclarations sous-entendent de manière inexacte que les fonds et les services publics sont utilisés pour soutenir l'immigration illégale, ce qui établit injustement un lien entre la criminalité et la solidarité avec les migrants.
Women's Link Worldwide, Justice Associates (JASS), Front Line Defenders, l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) exhortent les autorités espagnoles à :
1. Prendre des mesures pour garantir que les membres du gouvernement ou les autres personnalités publiques s'abstiennent de faire des déclarations stigmatisant le travail des défenseur-ses des droits humains ;
2. Prendre toutes les mesures juridiques, politiques et diplomatiques pour protéger la défenseuse des droits humains Helena Maleno, notamment en indiquant officiellement aux autorités marocaines que l'enquête sur ses activités en Espagne n'avait révélé aucune preuve de crime, car elle est poursuivie pénalement à cause de ses actions légitimes en faveur des droits humains protégés par le droit international;
3. Garantir qu’en toutes circonstances, tous-tes les défenseur-ses des droits humains en Espagne puissent mener à bien leurs actions légitimes en faveur des droits humains, sans craindre ni restrictions ni représailles, y compris l'acharnement judiciaire.