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14 Août 2023

Libérez l’avocat en droits humains Gao Zhisheng et mettre fin à la pratique des disparitions forcées

Nous, les organisations soussignées, appelons les autorités chinoises à libérer immédiatement et sans condition l’éminent avocat en droits humains Gao Zhisheng (高智晟) avant le sixième anniversaire de sa disparition, le 13 août. 

À l’approche de la « Journée internationale des personnes disparues », le 30 août, nous condamnons également l’utilisation par le gouvernement chinois des disparitions forcées comme tactique pour réduire au silence et contrôler les militants, les praticiens religieux, les Ouïghours et les Tibétains, et même les célébrités, les entrepreneurs et les fonctionnaires les plus en vue.

Gao Zhisheng : Disparu depuis six ans

Gao Zhisheng a été l’un des premiers avocats spécialisés dans les droits humains à émerger au début des années 2000 et il est devenu un leader important du mouvement de défense des droits en Chine. Il s’est occupé d’affaires pour aider les travailleurs migrants et défendre les praticiens spirituels, notamment les adeptes du Falun Gong et les chrétiens. Gao a écrit des lettres ouvertes aux principaux dirigeants politiques chinois pour attirer l’attention sur le sort des adeptes du Falun Gong et sur les mauvais traitements qu’il avait subis en les défendant. 

En 2006, Gao a été condamné à trois ans de prison pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, il a disparu à plusieurs reprises pendant de longues périodes et a été torturé par la police entre 2007 et 2011. En décembre 2011, les médias d’État ont rapporté que Gao avait été emprisonné dans la région ouïghoure pour purger sa peine après avoir enfreint les conditions de sa libération conditionnelle. Il a ensuite été libéré en 2014, mais est resté assigné à résidence.

Les proches de Gao en Chine, ainsi que ses collègues avocats et militants des droits humains, qui étaient restés en contact avec lui, n’ont pas de nouvelles depuis le 13 août 2017. Depuis lors, les autorités chinoises affirment, de manière peu crédible, que M. Gao ne fait l’objet d’aucune « mesure pénale coercitive ».   

Au cours des six dernières années, Gao est donc victime de disparition forcée. 

L’épouse de Gao Zhisheng, Geng He, bien qu’elle vive aux États-Unis, a continué à plaider en sa faveur, suppliant le gouvernement chinois de permettre au monde de « le voir s’il est vivant, ou de voir son cadavre s’il est mort » (活要见人,死要见尸). Plus récemment, elle a demandé qu’il soit jugé s’il est coupable, et qu’au minimum, ses avocats soient autorisés à le rencontrer et que les membres de sa famille puissent bénéficier d’appels vidéo. 

Cependant, le gouvernement chinois n’a même pas fourni à Geng He ce minimum d’informations. 

À plusieurs reprises, des organes des Nations unies et des experts en droits humains ont demandé des informations sur le statut de Gao Zhisheng, mais le gouvernement chinois a refusé de clarifier sa situation. Plus récemment, en 2020, le gouvernement chinois a répondu à une lettre de six rapporteurs spéciaux des Nations unies en affirmant « qu’en août 2014, M. Gao a été libéré après avoir purgé sa peine. Depuis sa libération, les autorités chargées de la sécurité publique n’ont pris aucune mesure coercitive à son encontre ».

Le cas de Gao Zhisheng a été traité dans le cadre du mandat humanitaire du groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires (cas n° 10002630). Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire avait également rendu un avis en 2010 indiquant que la détention de M. Gao était arbitraire au regard du droit international et demandant sa libération immédiate, mais M. Gao est toujours sous le contrôle des autorités depuis lors.

Disparitions forcées d’autres défenseur⸱ses des droits humains

Si l’affaire de Gao Zhisheng est sans doute le plus célèbre et le plus documenté des cas de disparition forcée prolongée en violation flagrante du droit international, plusieurs autres cas méritent d’être signalés : 

Yu Wensheng (余文生), ancien avocat en droits humains, et son épouse Xu Yan (许艳) ont été arrêtés en avril 2023 alors qu’ils prenaient le métro pour assister à un événement organisé par la délégation européenne à Pékin. Ils ont été arrêtés et inculpés d’« incitation à la subversion de l’État », mais les autorités ont empêché les avocats de leur rendre visite, et leur fils de 18 ans est assigné à résidence. 

Le militant Jia Pin (贾榀) est porté disparu depuis le 24 septembre 2022. Il aurait été vu pour la dernière fois lors d’un déplacement vers Beihai, Guangxi. Ses amis ne savent pas où ils se trouvent bien que certains soupçonnent qu’il ait été arrêté par la police provinciale du Henan.

Le manifestant Peng Lifa (彭立发) a été emmené par les autorités le 13 octobre 2022 après avoir manifesté seul sur le pont Sitong dans le district de Haidian à Pékin contre les mesures strictes du COVID en Chine et contre le régime de Xi Jinping. Aucune information n’a été communiquée sur le lieu de détention de Peng Lifa.

Tao Hong (陶红), défenseuse des droits humains basée à Jiangsu, est victime d’une disparition forcée depuis le 9 septembre 2022, après avoir signé une pétition ouverte exprimant son inquiétude au sujet de la mort de Mao Lihui, un pétitionnaire qui, selon la police, serait mort par auto-immolation alors qu’il était détenu dans un hôtel. Avant d’être arrêtée, Tao Hong a dit à ses amis sur WeChat qu’elle « ne se suiciderait absolument pas » — un avertissement préventif de ne pas croire les autorités au cas où elle serait mystérieusement retrouvée morte.

Le journaliste Yang Zewei (杨泽伟), connu sous le pseudonyme de Qiao Xinxin, a vraisemblablement été enlevé au Laos le 31 mai lors de ce que l’on pense être une opération conjointe des polices chinoise et laotienne. Plus tôt dans l’année, il avait lancé une campagne pour demander le démantèlement du Grand Firewall de Chine, une action qu’il avait baptisée le mouvement #BanGFW. Avant d’être placé en détention, Yang avait tweeté que les autorités harcelaient ses proches dans sa ville natale, et il avait également déclaré qu’il ne se suiciderait pas en détention. Le 8 août, il a été confirmé qu’il avait été renvoyé en Chine et qu’il était incarcéré au centre de détention de Hengyang, province du Hunan.

Chen Yang (陈阳) et Cao Zhimin (曹志敏), deux adeptes du Falun Gong originaires de la province du Hunan, sont détenus au secret depuis octobre 2020, après avoir été arrêtés alors qu’ils étudiaient des écritures sacrées avec d’autres croyants. Yang avait déjà été emprisonné pendant quatre ans pour ses activités militantes et Cao avait été détenue avec sa fille de cinq ans dans un centre de détention extrajudiciaire en 2010. Selon la fille du couple, aujourd’hui adolescente et étudiante aux États-Unis, leurs proches en Chine n’ont pas pu les rencontrer depuis qu’ils ont été placés en détention et les avocats engagés n’ont pas été autorisés à représenter le couple. Ils auraient été condamnés à une peine de prison en novembre 2022, mais la durée de la peine reste inconnue, aucune notification officielle n’a été envoyée à la famille et aucune nouvelle n’est disponible concernant leur état de santé en détention. 

Disparitions forcées de Ouïghours et de Tibétains

Le parti communiste chinois, composé uniquement de fonctionnaires chinois Han aux plus hauts niveaux décisionnaires, continue d’utiliser les disparitions forcées systématiques de groupes non Han pour les contrôler, les intimider et les réduire au silence.

Dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, également connue sous le nom de région ouïghoure ou de Turkistan oriental par les Ouïghours, des centaines de milliers d’Ouïghours sont probablement victimes de détentions arbitraires et de disparitions forcées dans le cadre du système judiciaire. En 2022, le parquet populaire supérieur du Xinjiang a déclaré que 540 826 personnes ont été poursuivies dans la région depuis 2017. En novembre 2022, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a exhorté la Chine à « libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement dans la région autonome du Xinjiang et à fournir aux proches des personnes détenues ou disparues des informations détaillées concernant leur statut et leur bien-être ».

Comme l’a noté le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), il n’existe pratiquement aucune donnée publique sur le système de justice pénale dans la région depuis 2020 et le gouvernement n’a pas rendu publics les verdicts pénaux ni fourni d’informations pertinentes au HCDH. En outre, selon un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) dans une décision de 2022 constatant que trois Ouïghours — Qurban Mamut, Ekpar Asat et Gulshan Abbas — avaient été détenus arbitrairement et victimes de disparition forcée, aucun verdict n’a jamais été rendu public et le gouvernement chinois n’a répondu à l’ONU avec aucune information concernant les procédures, « il n’est pas clair s’ils ont effectivement été jugés ».  Dans une autre affaire datant de 2022, le Groupe de travail a rendu un avis selon lequel Abdurashid Tohti, Tajigul Qadir, Ametjan Abdurashid et Mohamed Ali Abdurashid avaient été détenus arbitrairement. Le gouvernement chinois a refusé de fournir toute information sur la détention ou sur les procédures judiciaires engagées à leur encontre, et le GTDA s’est dit « troublé par le secret total qui semble entourer le sort des quatre personnes et le lieu où elles se trouvent ».

Au Tibet, le Panchen Lama, Gedhun Choekyi Nyima, est porté disparu depuis le 17 mai 1995. En 2022, les experts des Nations unies ont fait part de leurs préoccupations concernant l’arrestation, la détention et la disparition forcée de l’écrivain tibétain Lobsang Lhundup (nom de plume de Dhi Lhaden), du musicien Lhundrup Drakpa et de l’enseignante Rinchen Kyi, dans le cadre de leurs activités culturelles en faveur de la langue et de la culture tibétaines. Dhi Lhaden et Rinchen Kyi ont été libérés.

Le 10 août, les experts de l’ONU ont exhorté les autorités chinoises à clarifier la situation de neuf défenseur·ses de l’environnement tibétains qui sont emprisonnés, et notamment de fournir des informations sur les raisons de leur emprisonnement, leur lieu de détention et leur état de santé actuel. Les neuf défenseur·ses sont Anya Sengdra, Dorjee Daktal, Kelsang Choklang, Dhongye, Rinchen Namdol, Tsultrim Gonpo, Jangchup Ngodup, Sogru Abhu et Namesy. 

Les disparitions, une forme de gouvernance

Même les personnes puissantes et célèbres en Chine ne sont pas à l’abri des disparitions : 

L’ancien ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang a été vu pour la dernière fois en public le 25 juin 2023. Mystère et spéculation ont entouré son absence en public jusqu’à ce qu’une déclaration concise parue dans Xinhua indique simplement que « Qin Gang a été démis du poste de ministre des Affaires étrangères qu’il occupait ». 

Des membres de la Force des fusées de l’Armée populaire de libération, qui supervise l’arsenal nucléaire chinois, ont disparu ces dernières semaines, notamment son ancien chef Li Yuchao et son adjoint, le général Liu Guangbin. Le 31 juillet, un nouveau général, Wang Houbin, a été nommé à la tête de la Force des fusées.  

Bao Fan, fondateur et PDG de China Renaissance, une banque d’investissement cotée à Hong Kong et fortement impliquée dans l’industrie technologique chinoise, a disparu en février. Après avoir mystérieusement disparu pendant trois mois, en juin, un média continental a rapporté que des fonctionnaires de la Commission centrale d’inspection de la discipline (CCDI) enquêtaient sur Bao pour corruption. 

De manière plus générale, les autorités chinoises semblent avoir de plus en plus adopté les disparitions comme forme de gouvernance. En 2012, le gouvernement a modifié le code de procédure pénale pour permettre à la police de détenir des suspects dans des lieux qui ne sont pas des centres de détention pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois, privant ainsi les personnes faisant l’objet d’une enquête pour atteinte à la sécurité nationale de l’accès à un avocat, aux membres de leur famille ou à d’autres détenus — une pratique connue sous le nom de « Résidence surveillée dans un lieu désigné » (RSLD). Le gouvernement continue d’utiliser les RSLD, bien que de nombreux experts indépendants des Nations unies aient demandé son abolition parce qu’il s’agit d’une forme de détention secrète et de disparition forcée, et donc incompatible avec les obligations de la Chine en matière de droits humains, et bien que d’innombrables cas de torture et d’autres mauvais traitements commis en RSLD aient été révélés au grand jour. 

En 2018, la loi sur la supervision nationale a créé un système de « rétention en détention » (ou liuzhi) permettant de soumettre les membres du Parti communiste chinois et les fonctionnaires à une détention au secret pouvant aller jusqu’à six mois en cas d’infractions disciplinaires et de manquement présumé au devoir, y compris, mais sans s’y limiter, en cas de corruption. Le système est géré par un organe non judiciaire et non chargé de l’application de la loi, la Commission nationale de surveillance (NSC), et précède la détention et l’arrestation formelles. 

À l’approche du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), nous demandons instamment au gouvernement chinois de prendre au sérieux les principes fondamentaux des droits humains inscrits dans la DUDH.

Libérer immédiatement et sans condition Gao Zhisheng et toutes les autres victimes de disparition forcée et, dans l’attente de cette libération, permettre à Geng He et aux autres membres de sa famille, ainsi qu’aux avocats de Gao Zhisheng, de communiquer avec lui par le biais de visites en personne et/ou de vidéoconférences.

Fournir aux autres familles des personnes détenues ou disparues des informations détaillées sur leur statut et leur bien-être.

Mettre fin à la pratique des disparitions forcées, qui a de graves répercussions sur certains des droits fondamentaux énoncés dans la DUDH, tels que le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit de ne pas être soumis à une arrestation ou à une détention arbitraire, et même le droit à la vie. 

Abolir la RSLD (articles 72-75 de la loi de procédure pénale) et les liuzhi (article 22 de la loi sur la surveillance nationale), ainsi que toute autre loi ou réglementation prévoyant des pratiques équivalentes à des disparitions forcées.

Cosigné, par ordre alphabétique :

ARTICLE 19

Campaign For Uyghurs

China Aid

China Against the Death Penalty (CADP)

Chinese Human Rights Defenders (CHRD)

Christian Solidarity Worldwide (CSW)

Committee for Freedom in Hong Kong Foundation

Dialogue China

European Criminal Bar Association 

FIDH —Fédération internationale des droits de l’homme

Freedom House

Friends of Falun Gong (FoFG)

Front Line Defenders

Hans Gaasbeek, Coordinator of the Foundation Day of the Endangered Lawyer

Human Rights in China (HRIC)

Human Rights Now

Humanitarian China

International Association of People’s Lawyers (IAPL) Monitoring Committee on Attacks on Lawyers

International Service for Human Rights (ISHR)

Judicial Reform Foundation

Lawyers’ Rights Watch Canada 

New School for Democracy Association

Observatoire International des Avocats en Danger (OIAD)

PEN America

Pen International

Safeguard Defenders

Symone Gaasbeek-Wielinga, President of the Dutch League for Human Rights

Taipei Bar Association Human Rights Committee 

Taiwan Bar Association Human Rights Protection Committee

Taiwan Support China Human Rights Lawyers Network

Tencho Gyatso, President of The International Campaign for Tibet 

Tibetan Centre for Human Rights and Democracy 

The Rights Practice

The World Uyghur Congress (WUC)

Uyghur Human Rights Project (UHRP)