Violences policières contre les défenseur-ses des droits humains dans les favelas de Rio de Janeiro
Les 12 et 13 janvier 2021, des opérations de police dans les favelas de Santa Marta et Complexo do Alemão ont abouti à des violences contre des défenseur-ses des droits humains qui dénonçaient sans relâche les abus et les brutalités policières dans leur communauté.
Tandy Firmino est un leader communautaire de Santa Marta dont le travail est dédié à la défense des droits de la population des favelas et des communautés marginalisées de Rio de Janeiro. Dans la matinée du 12 janvier 2021, des policiers sont entrés par effraction dans la maison du défenseur des droits humains dans la favela de Santa Marta, faisant tomber sa porte au passage. L'enfant de Tandy Firmino se trouvait également dans la maison pendant le raid. La police n'a donné aucune raison pour l'assaut du domicile du défenseur. Cette forme de harcèlement est une stratégie courante employée par la police pour intimider les défenseur-ses des droits humains et les habitants des favelas à Rio de Janeiro.
Le lendemain, le 13 janvier 2021, lors d'une opération de police à Complexo do Alemão, la police militaire a confisqué, puis détruit, le téléphone portable du défenseur des droits humains et reporter Renato Moura, alors qu'il était en train de documenter les actions de la police. L'appareil, un iPhone X, qui avait été donné au défenseur des droits humains, était utilisé par le Coletivo Voz das Comunidades (Collectif Voix des Communautés) pour documenter les violations des droits humains dans les favelas de Rio de Janeiro. La police a cherché à justifier son agression en déclarant que "La Voz (la voix des communautés) ne dénonce la police que pour renforcer sa propre réputation".
Front Line Defenders condamne les actions de la police militaire de l'État de Rio de Janeiro qui effectue des descentes illégales dans les maisons et détruit les effets personnels des défenseur-ses des droits humains et des citoyens. Malheureusement, ce ne sont pas des événements isolés ; cela fait partie d'un schéma de violations contre les habitants des favelas et des quartiers marginalisés de Rio de Janeiro, où les invasions de domicile sans mandat, les coups de feu contre des personnes non armées et la violence contre les habitants sont des pratiques normales et régulières exercées par la police.
Les actes de harcèlement contre les défenseurs des droits humains Tandy Firmino et Renato Moura ne sont que deux exemples de la réalité que subit la communauté noire à Rio de Janeiro. Le profilage racial assorti d'actes de violence perpétrés par la police est un problème récurrent au Brésil qui a un fort impact négatif sur la capacité des défenseur-ses des droits humains noirs à travailler dans un environnement sûr. Selon le Fórum Brasileiro de Segurança Pública (Forum brésilien de la sécurité publique), 79,1% des personnes tuées lors d'opérations de police sont des Noirs, et Rio de Janeiro a le taux le plus élevé de décès dus à l'intervention de la police dans le pays. En 2020, malgré les mesures de confinement mises en place en raison de la pandémie de COVID-19, 775 des personnes tuées à Rio de Janeiro ont été enregistrées comme victimes d'interventions policières.
La semaine dernière, la Cour fédérale suprême (STF) et le Bureau du procureur général (PGR) ont annoncé que des audiences publiques se tiendraient en mars et avril 2021, dans le but de collecter des données qui seront utilisées pour développer un nouveau plan de sécurité pour réduire la mortalité civile et policière dans l'État de Rio de Janeiro. Les audiences visent également à aider le Conseil national du ministère public (CNMP) à élaborer des procédures de contrôle de la police et du parquet général (MPRJ).
Les audiences font partie de l'ADPF 635, également dénommé "ADPF das Favelas". Cette action en justice a été lancée par le "Mouvement des favelas" en partenariat avec le Défenseur public de l'État de Rio de Janeiro et un certain nombre d'organisations de la société civile, également chargées d'obtenir la suspension prononcée par la Cour suprême1 des activités policières dans les favelas et les quartiers marginalisés de l'État de Rio de Janeiro pendant le confinement décrété à cause de la pandémie de COVID-19. À ce jour, le gouvernement de l'État et la police de Rio de Janeiro n'ont pas respecté la suspension à plusieurs reprises. Ce non respect accentue le schéma continu de violence et de racisme dans la mise en œuvre de la sécurité publique de l’État. Faute de respecter la suspension convenue, les défenseur-ses des droits humains risquent toujours d’être brutalisés par la police ; compte tenu de la nature de leur travail, de leur importance et de leur visibilité au sein de leur communauté, ils font les frais de la violence policière généralisée.
Front Line Defenders souligne l'importance de la responsabilité de la police et du droit des défenseur-ses des droits humains de surveiller et de dénoncer les violations des droits humains commises par la police à Rio de Janeiro. Front Line Defenders appelle les autorités brésiliennes à condamner la brutalité policière dans les favelas et les communautés marginalisées, et à garantir la mise en œuvre effective des mesures énoncées dans la décision sur l'ADPF 635. Front Line Defenders réitère sa condamnation des violences policières au Brésil et de l'impact disproportionné du profilage racial et des politiques discriminatoires sur les membres du mouvement noir et les défenseur-ses des droits humains dans le pays.
1. En 2020, le «Mouvement des favelas» de Rio de Janeiro, en partenariat avec le Défenseur public de l’État de Rio de Janeiro et un certain nombre d’organisations de la société civile, a porté une affaire relative à ces violences devant le Tribunal fédéral suprême (STF). Il appelait à une «action judiciaire de contrôle constitutionnel», communément appelée «ADPF des favelas», pour reconnaître et remédier aux graves violations de la politique de sécurité publique par l'État de Rio de Janeiro sur les populations noires et pauvres des favelas et les quartiers pauvres pendant les opérations de police. Le «Mouvement des favelas» a obtenu la suspension des activités policières dans les favelas et les quartiers pauvres dans l'État de Rio de Janeiro pendant le confinement dû à la pandémie de COVID-19. Bien que cette décision de la Cour suprême représente une victoire pour la société civile, dans les faits les mesures judiciaires de l'ADPF doivent encore être mises en œuvre ; le gouvernement de Rio de Janeiro ne les a pas respectées à plusieurs reprises. En l’absence d’une telle mise en œuvre, compte tenu de la nature de leur travail, les défenseur-ses des droits humains sont très exposés au risque de violences policières ; leur importance et leur visibilité dans les quartiers signifient qu'ils sont susceptibles de supporter le poids de cette violence généralisée.