La répression policière contre les communautés autochtones et paysannes "Mingas" bafoue le droit à la liberté d'association dans le Cauca
La semaine dernière, les défenseur-ses des droits humains autochtones et paysans qui forment les camps Minga social por la Defensa de la Vida, el Territorio, La Democracia, la Justicia y la Paz (Minga pour la défense de la vie, du territoire, de la démocratie, de la justice et de la paix), dans la région du Cauca, ont été victimes de perquisitions, menaces et de violence armée de la part des membres de l'Escuadrón Móvil Antidisturbios -ESMAD (escadron mobile antiémeutes) à plusieurs occasions. En Colombie, les "Mingas" désignent les marches et les manifestations liées à la revendication des droits des groupes indigènes.
Les récentes attaques policières ont été perpétrées dans les camps de Cajibio, Caldono et Santander de Quilichao, où les groupes autochtones se mobilisent depuis le 16 mars. Les groupes demandent que le gouvernement respecte les accords passés avec les organisations sociales du Cauca et qu'il applique les accords de paix négociés avec les FARC-EP. L'une des principales revendications de ces groupes est que le président Ivan Duque se rende dans la région pour parler directement avec les communautés. La semaine dernière, plusieurs actes de harcèlement et agressions ont été signalés contre des défenseur-ses des droits humains et des manifestants, et des centaines de membres de l'armée nationale, de l'ESMAD et d'autres groupes sont présents aux abords des camps. Des agents de l'ESMAD ont plusieurs fois abordé les défenseur-ses des droits humains et posé des questions sur leur travail et ils leur ont demandé de se présenter.
Depuis le 20 mars, les défenseur-ses des droits humains ont indiqué que plusieurs inconnus rodaient autour des camps et des explosions ont été entendues à proximité. Dans l'après-midi du 19 mars, les forces de l'ESMAD ont tenté d'évacuer les membres des camps installés à Santander de Quilichao. La police antiémeute a tiré sans distinction sur les manifestants, faisant au moins trois blessés, dont un membre du contingent d'aide humanitaire qui apportait une aide médicale aux membres du camp.
Le 16 mars 2019 vers 10h, des escadrons de l'ESMAD ont tenté d'évacuer simultanément les camps de Cajibio et de Caldono. Les membres de l'ESMAD ont détruit et brûlé les cambuches (tentes) des défenseur-ses des droits humains et des manifestants, ainsi que leurs effets personnels et leurs réserves de nourriture. D'autre matériel, dont des motos, a été saisi. L'ESMAD a également lancé du gaz lacrymogène et tiré du plomb sans distinction, blessant plusieurs défenseur-ses des droits humains.
Lors de la tentative d'expulsion du Cajibio, 10 femmes et 20 hommes ont été détenus pendant plus d'une heure et menacés avec des armes à feu. La communauté a également indiqué qu'avant le raid, la police les a surveillés à l'aide d'un drone, qui a été vu en train de survoler les camps juste avant l'attaque et les jours précédents.
Lors du dernier raid, le 19 mars, un commandant de l'ESMAD a affirmé que la tentative d'évacuation était due au fait que le groupe autochtone avait envahi une propriété pour y construire le camp. Cependant, l'ESMAD n'a pas présenté de mandat, n'a pas reconnu la nature pacifique du mouvement et a fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestants. Les organisations de défense des droits humains et les collectifs, dont Cima, Ordeurca, Acaami, Acader, Acaragro et Proceso de Playarrica Huisitó étaient présentes sur place. Suite à ces incidents, une commission composée d'institutions locales et internationales est arrivée dans les camps pour documenter de possibles violations des droits humains.
Les populations et les paysans autochtones qui participent aux manifestations sont en train de négocier avec les autorités nationales de Monterilla, Caldono, où leurs porte-paroles demandent que le gouvernement leur fournisse une aide humanitaire et mette en place des politiques pour sauvegarder les droits des populations autochtones et paysannes dans la région du Cauca.
Les camps "Minga" pour la défense de la vie, du territoire, de la démocratie, de la justice et de la paix, sont la cible d'une campagne de stigmatisation orchestrée par les autorités nationales, notamment le ministère de la Défense, qui a publiquement affirmé que le mouvement est infiltré par des membres de la guérilla.
Dans son rapport de fin de mission sur la situation des droits humains en Colombie en 2018, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseur-ses des droits humains, Michel Forst, a exhorté le pays à "renforcer ses efforts pour prévenir toute forme d'usage excessif de la force par des membres des forces de sécurité, et à assurer que toutes les allégations d'usage excessif de la force fassent l'objet d'une enquête rapide, approfondie et impartiale, et que les coupables soient poursuivis et punis". Le Rapporteur spécial a également exhorté les autorités colombiennes à garantir que ses forces de police agissent dans le respect des principes fondamentaux relatifs à l'usage de la force et des armes à feu par les forces de l'ordre, et à garantir le droit à la liberté de rassemblement, d'opinion et d'expression, et le droit à la liberté de participer aux affaires publiques.
Front Line Defenders est préoccupée par les violences policières perpétrées contre les populations et les paysans autochtones qui participent à des manifestations publiques dans la région du Cauca, et attire l'attention sur les campagnes de répression et d'atteintes aux droits à la liberté de rassemblement pacifique en Colombie. Front Line Defenders est aussi préoccupée par les attaques contre les défenseur-ses des droits humains qui participent aux Mingas et exhorte les autorités nationales à ouvrir une enquête approfondie sur les attaques et à s'abstenir de stigmatiser le travail des défenseur-ses des droits humains en Colombie.