Lettre ouverte à M. Andrés Manuel López Obrador — Président des États-Unis du Mexique sur la criminalisation et la détention arbitraire continues de Mme Kenia Inés Hernández Montalván
À : M. Andrés Manuel López Obrador, Président des États-Unis du Mexique
Dr Adán Augusto, ministre de l’Intérieur
Mme Evelyn Salgado Pineda, Gouverneure constitutionnelle de l’État du Guerrero
M. Alfredo del Mazo, Gouverneur constitutionnel de l’État de Mexico
M. Alejandro Gertz Manero, Procureur général de la République
Genève-Paris, 11 mai 2022
Sincères salutations de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (l’Observatoire), un programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la Torture (OMCT) et de la FIDH ; la Mesoamerican Initiative of Women Human Rights Defenders (IM-Defensoras) ; Front Line Defenders (FLD) ; CIVICUS ; et la Red Nacional de Defensoras de Derechos Humanos en México, - RNDDHM (Réseau national des défenseuses des droits humains au Mexique).
À cette occasion, l’Observatoire, IM-Defensoras, FLD, CIVICUS, et le Réseau national des défenseuses des droits humains au Mexique s’adressent à vous pour exprimer notre profonde préoccupation au sujet de la criminalisation et de la détention arbitraire continues de Mme Kenia Inés Hernández Montalván, ainsi que la discrimination fondée sur son genre et son appartenance au peuple autochtone Amuzga dans les poursuites judiciaires dont elle fait l’objet.
Les organisations soussignées ont demandé à plusieurs reprises aux autorités mexicaines de libérer Mme Kenya Hernández et de mettre fin aux poursuites judiciaires contre elle, estimant que sa détention est liée à la criminalisation de la contestation sociale et des défenseur⸱ses des droits humains dans l’État du Guerrero et dans tout le Mexique1.
Kenia Hernández, femme autochtone Amuzga et avocate originaire de Xochistlahuaca, Guerrero, défend les droits des femmes, le droit à la terre et les droits des populations autochtones. En tant que coordinatrice du Collectif libertaire « Zapata Vive », cofondatrice et membre du Mouvement pour la liberté des prisonniers politiques de l’État du Guerrero (« Movimiento por la Libertad de los Presos Políticos del estado de Guerrero », MOLPEG), Mme Kenya Hernández accompagne les survivantes de violences masculines et les proches des victimes de féminicide, elle défend les droits des personnes emprisonnées injustement et des personnes affectées par les activités des sociétés multinationales d’extraction sur le territoire mexicain. Toutefois, précisément en raison de son travail légitime en faveur des droits humains, Mme Kenya Hernández est détenue à l’isolement dans la prison à sécurité maximale de l’État du Morelos depuis octobre 2020. À ce jour, pour des raisons bureaucratiques, on lui a refusé l’accès à ses représentants légaux, ainsi que la participation en personne aux audiences des diverses affaires judiciaires intentées contre elle, au motif qu’elle est une détenue à sécurité maximale. De plus, Mme Kenya Hernández s’est vu refuser le droit de visite de ses proches sous prétexte de la prévention du COVID-19. En raison de tous ces faits, Mme Kenya Hernández a fait deux grèves de la faim en mai et en octobre 2021 pendant deux mois, ce qui a accentué son état de vulnérabilité et de risque.
L’Observatoire, IM-Defensoras, FLD, CIVICUS et la RNDDHM suivent avec beaucoup de consternation les processus de criminalisation entamés depuis juin 2020 contre Mme Kenya Hernández, accusée d’avoir perpétré des « attaques sur les routes publiques en tant que membre d’un gang » et de « vol à main armée avec violence » au détriment de Caminos y Puentes Federales (CAPUFE) et Autovías Concesionaria Mexiquenses. Sur les neuf affaires criminelles ouvertes contre elle, deux sont jugées au niveau local, dans l’État de Mexico, et les sept autres au niveau fédéral, dans les États du Guerrero, Guanajuato et Morelos. Mme Kenya Hernández a été condamnée à 11 ans et 3 mois et 10 ans et 6 mois de prison, respectivement, dans deux de ces affaires. Elle a fait appel de ces deux condamnations.
Ces processus de criminalisation, liés à des sociétés d’extraction multinationales, visent à punir et à mettre fin au travail légitime de Mme Kenya Hernández en faveur des droits humains, en particulier sa participation pacifique à des manifestations exigeant l’apparition en vie de l’avocat en droits humains Arnulfo Cerón, la libération des défenseur⸱ses des droits humains membres du Conseil des ejidos et des communautés contre le barrage de La Parota (CECOP), ainsi que la protection des femmes victimes de violence masculine dans la région de Costa Chica, au Guerrero.
Il convient de souligner que le statut de Mme Kenya Hernández en tant que défenseuse des droits humains a été reconnu par le Mécanisme de protection des défenseur⸱ses des droits humains et des journalistes, qu’elle a rejoint en 2019 en raison des menaces de mort qu’elle a reçues à cause de son travail, ainsi que par la Commission nationale des droits humains (CNDH), qui a appelé à plusieurs reprises au respect de son droit à bénéficier de procédures équitables.
Les organisations signataires de cette lettre expriment leur inquiétude au sujet de la discrimination dont Mme Kenya Hernández est victime en raison de son statut de femme autochtone. Tout au long du procès, la défenseuse a demandé à plusieurs reprises qu’on lui fournisse un interprète en langue amuzgo, ce qui a été refusé par le juge en charge, qui a estimé que la traduction n’était pas nécessaire parce qu’elle avait étudié et parlé espagnol, ce qui viole l’article 2 de la Constitution politique des États-Unis du Mexique. De plus, la demande de Mme Kenia Hernández de prendre en compte la question du genre tout au long de la procédure judiciaire a été rejetée par le juge au motif que cela ne s’appliquait qu’aux « femmes soumises » ou aux femmes qui avaient été victimes de violence fondée sur le sexe dans l’environnement domestique.
De même, la privation arbitraire de liberté de Mme Kenya Hernandez, en tant que mère et seule pourvoyeuse de ses enfants mineurs, viole les Règles des Nations Unies relatives au traitement des détenues (les Règles de Bangkok), en particulier les Règles 4, 26 et 64, qui prévoient : que les prisonnières soient placées dans des centres de détention à proximité de leur domicile, compte tenu de leurs responsabilités parentales ; en leur permettant d’entrer en contact avec leur famille, y compris leurs enfants, par tous les moyens raisonnables ; et en accordant en priorité des peines non privatives de liberté aux femmes ayant des enfants à charge.
Les organisations soussignées constatent avec inquiétude les restrictions du droit à la contestation sociale et l’abus du droit pénal contre Mme Kenya Hernández, et appellent les autorités mexicaines à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à sa détention arbitraire et aux nombreuses procédures de criminalisation à son encontre.
Les organisations soussignées espèrent également que le droit à un procès équitable et impartial, avec une perspective de genre et en tenant compte des spécificités culturelles de Mme Kenya Hernández en tant que femme autochtone, sera garanti tout au long de la procédure judiciaire contre elle.
Nous vous remercions à l’avance de votre attention et nous sommes à votre disposition pour toute information complémentaire.
Nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération
– Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains
– La FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains
– CIVICUS
- Mesoamerican Women Human Rights Defenders Initiative
– Front Line Defenders (FLD)
- Red Nacional de Defensoras de Derechos Humanos en México, RNDDHM