Kazakhstan : Abolition du registre des « financements étrangers »
Neuf organisations publient une déclaration commune sur la décision erronée du gouvernement
(Bruxelles, le 19 octobre 2023) -- Neuf organisations de défense des droits humains ont déclaré aujourd’hui que la décision du gouvernement du Kazakhstan de publier un « registre des personnes et entités recevant de l’argent ou d’autres ressources provenant d’États étrangers, d’organisations internationales et étrangères, de citoyens étrangers et d’apatrides » (« le registre des financements étrangers ») était profondément erronée et préoccupante, et qu’elle devait être immédiatement annulée et le registre aboli. En plus d’abolir cette liste stigmatisante et discriminatoire, les autorités du Kazakhstan devraient s’abstenir d’adopter toute autre mesure visant à discréditer ou à entraver le travail des défenseur⸱ses des droits humains, des journalistes et d’autres organisations indépendantes de la société civile.
Le Comité des recettes publiques du ministère des Finances du Kazakhstan a publié le « registre des financements étrangers » le 21 septembre 2023. Les organisations et les particuliers qui reçoivent des fonds provenant de l’étranger pour certains types d’activités, notamment lorsqu’ils fournissent une assistance juridique, effectuent des enquêtes et des collectes, font des analyses et diffusent des données, sont tenus depuis 2016 de déclarer aux autorités fiscales la réception et l’utilisation de ces fonds. En mars 2022, les autorités ont adopté des amendements législatifs exigeant que ces informations soient rendues publiques.
Les organisations internationales craignent que les organisations et défenseur⸱ses des droits humains au Kazakhstan fassent l’objet d’intimidations et de harcèlements de la part d’acteurs étatiques et non étatiques à la suite de la publication de la liste.
Alors que les autorités kazakhes ont décrit la publication de la liste comme une « initiative visant à instaurer la confiance », cette liste n’a en fait d’autre but que de stigmatiser, de discréditer et de discriminer les personnes qui y figurent. Parmi les 240 noms figurant sur la liste, beaucoup sont des organisations nationales et internationales de défense des droits humains très respectées et établies de longue date, le Kazakhstan International Bureau for Human Rights and the Rule of Law, l’International Foundation for the Freedom of Speech « Adil Soz, » le Youth Media Service of Kazakhstan, la Public Foundation « Ar.Rukh.Khak, » la Public Foundation « Kadyr-Kassiet, » l’International Centre for Journalism « MediaNet, » la Public Foundation « International Justice Initiative, » FemAgora, Erkindik Kanaty, la Public Association « Echo, » Taldykorgan Human Rights Center, le Legal Media Center, la Public Foundation « Nomad Rights, » la Public Foundation « Urban Forum, » l’Environmental Association « Green Salvation, » ainsi que le bureau régional du Norwegian Helsinki Committee, qui opère en Asie centrale depuis 2006, et au Kazakhstan depuis 2011. Des défenseur⸱ses des droits humains particuliers figurent également sur la liste. Le registre comprend également les numéros d’identification fiscale des personnes et des organisations qui y figurent.
La publication du « registre des financements étrangers » a déjà eu un impact négatif sur les groupes de défense des droits humains au Kazakhstan. Le 25 septembre, l’association publique Echo, qui travaille principalement sur la surveillance des élections, a reçu une demande d’une banque privée, Nurbank, à Almaty, de fournir des documents confirmant les sources de financement du groupe et l’utilisation qui en est faite. Le personnel de la Nurbank a expliqué au directeur d’Echo, Pavel Lobachev, que la banque avait demandé ces informations pour se conformer à la loi kazakhe sur la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Cependant, le 27 septembre, après que M. Lobachev a demandé des justifications supplémentaires à propos de la demande de la banque, le personnel de la Nurbank a déclaré qu’il avait décidé d’appliquer des vérifications et des mesures de contrôle supplémentaires après la publication par le gouvernement du « registre des financements étrangers ».
Les autorités du Kazakhstan ont déjà eu recours à la législation fiscale pour réprimer les groupes locaux de défense des droits humains. À l’approche des élections législatives de janvier 2021, plus d’une douzaine d’organisations non gouvernementales kazakhes actives dans le domaine des droits humains, des médias et de la surveillance électorale ont été menacées de lourdes amendes et de la suspension de leurs activités en raison d’erreurs techniques mineures qui auraient été commises dans les formulaires utilisés pour déclarer les financements étrangers aux autorités fiscales. Les allégations à l’encontre des organisations n’ont été abandonnées qu’à la suite d’un tollé national et international.
L’impact dévastateur des lois visant les organisations et les défenseurs des droits humains financés par l’étranger est bien documenté. En Russie, la « loi sur les agents de l’étranger » est particulièrement notoire et a été largement et sévèrement critiquée par les organismes internationaux de défense des droits humains en raison de ses effets néfastes sur les droits à la liberté d’association et d’expression. Adoptée pour la première fois en 2012, cette loi exige que les organisations non gouvernementales qui reçoivent des fonds étrangers et s’engagent dans des activités prétendument politiques s’enregistrent en tant qu’« agents de l’étranger » et utilisent cette étiquette stigmatisante dans leur travail, en plus d’être soumises à un contrôle renforcé de l’État et à de lourdes exigences en matière de rapports et d’étiquetage.
Depuis 2017, la loi russe a été étendue pour couvrir les médias et les individus engagés dans la sensibilisation du public. En 2020, elle a été étendue à d’autres catégories de personnes bénéficiant d’une aide étrangère ainsi qu’aux associations publiques sans personnalité juridique. Et depuis 2022, aucun financement étranger n’est nécessaire pour être considéré comme un « agent de l’étranger » — une « influence étrangère » au sens large suffit. De nombreuses organisations de défense des droits humains ont été condamnées à d’énormes amendes et contraintes de fermer leurs portes en Russie en raison de leur prétendu non-respect de cette loi répressive.
La Géorgie et le Kirghizstan ont récemment tenté d’adopter une législation similaire. Alors que les autorités géorgiennes ont retiré leur projet de loi après des protestations massives, l’examen du projet de loi sur les « agents de l’étranger » au Kirghizstan progresse actuellement au parlement (Jogorku Kenesh). Le 17 octobre, le Jogorku Kenesh a tenu sa première session sur le projet de loi hautement répressif, mais ne l’a pas soumis au vote.
Les autorités kazakhes devraient supprimer le « registre public des personnes et entités recevant de l’argent et d’autres ressources provenant d’États étrangers, d’organisations internationales et étrangères, de citoyens étrangers et d’apatrides » et abroger le décret qui exige la publication de cette liste stigmatisante, ainsi que les dispositions législatives qui établissent un système de déclaration distinct et discriminatoire pour les organisations et les personnes qui reçoivent des fonds étrangers pour certaines activités définies de manière générale.
Le gouvernement du Kazakhstan devrait également s’abstenir d’employer toute nouvelle mesure visant à soumettre les organisations de défense des droits humains et les défenseur⸱ses des droits humains financés par l’étranger à des systèmes de réglementation stigmatisants, discréditants et restrictifs, qui vont à l’encontre des obligations internationales du Kazakhstan de respecter le droit à la liberté d’association et de créer un espace civique propice. Les partenaires internationaux du Kazakhstan, y compris l’Union européenne et les États-Unis, devraient exhorter le gouvernement kazakh à supprimer le registre et à protéger la liberté d’association et d’expression. Enfin, les entreprises et les prestataires de services du Kazakhstan devraient s’abstenir de prendre des mesures discriminatoires à l’encontre des défenseur⸱ses des droits humains et de leurs organisations sur la base de leur inscription dans le « registre des financements étrangers ».
Article19
Civil Rights Defenders
Freedom House
Front Line Defenders
Helsinki Foundation for Human Rights
Human Rights Watch
International Partnership for Human Rights
Norwegian Helsinki Committee
Organisation Mondiale contre torture