Les organisations internationales de défense des droits humains demandent au président Mirziyoyev d’opposer son veto à la loi sur les étrangers « indésirables »
Les organisations internationales de défense des droits humains soussignées expriment leur profonde inquiétude face à l’approbation récente d’une nouvelle loi par l’Oliy Majlis, la chambre basse du Parlement ouzbek, concernant le statut juridique des citoyens étrangers et apatrides. Ces amendements représentent une violation flagrante des normes internationales en matière de liberté d’expression et risquent fortement d’isoler le pays. Nous demandons instamment au président d’opposer son veto à cette proposition et de défendre les droits humains fondamentaux.
Le 25 juin 2024, l’Oliy Majlis a approuvé un projet de loi régissant le statut juridique des citoyens étrangers et des apatrides en Ouzbékistan. L’Oliy Majlis, qui a procédé rapidement aux deuxième et troisième lectures requises du projet de loi, a adopté des amendements à la législation existante qui donneront aux autorités le pouvoir de désigner les citoyens étrangers « indésirables » en Ouzbékistan et d’imposer des interdictions de voyager pendant cinq ans à tout étranger pour des infractions vaguement définies telles que « l’atteinte à l’honneur, à la dignité ou à l’héritage historique du peuple d’Ouzbékistan ». La législation va maintenant être soumise à l’approbation du Sénat, avant d’arriver sur le bureau du président Mirziyoyev pour signature.
Nous, les organisations internationales de défense des droits humains soussignées, sommes profondément préoccupées par le fait que les autorités ouzbèkes pourraient exploiter la nouvelle loi pour refuser arbitrairement l’accès au pays aux défenseur⸱ses des droits humains, aux journalistes, aux universitaires, aux juristes et aux chercheurs internationaux. Nous craignons que cette législation interdise effectivement tous ceux et celles qui défendent les droits humains en Ouzbékistan et qui rendent compte des violations des droits, de la corruption, des abus de pouvoir, du paysage sociopolitique, des droits des femmes, de l’environnement et d’autres questions politiquement sensibles. L’adoption de dispositions visant à imposer des interdictions d’entrée aux étrangers qui font la lumière sur la situation des droits humains dans le pays représente un changement radical par rapport aux politiques récentes du président Mirziyoyev pour mettre fin à l’isolement du pays et en matière de réforme, d’ouverture et d’engagement auprès de la communauté internationale.
Nous soulignons que ces amendements sont en contradiction avec les obligations internationales de l’Ouzbékistan en matière de droits humains et de liberté d’expression. Si ils sont promulgués par le président, ils pourraient restreindre considérablement la liberté de circulation et les échanges internationaux, contribuer à isoler de nouveau l’Ouzbékistan sur la scène internationale et compromettre le dialogue constructif avec les défenseur⸱ses des droits humains, les journalistes, les universitaires internationaux et d’autres personnes dont les contributions sont essentielles pour garantir la viabilité des réformes politiques du président Mirziyoyev. De telles mesures nuiraient également à la réputation internationale de l’Ouzbékistan. Nous demandons au président Mirziyoyev d’opposer son veto à cette loi et de veiller à ce que l’Ouzbékistan reste ouvert à la communauté internationale.
Selon un communiqué du service de presse de l’Oliy Majlis, les amendements ont été introduits pour « prévoir des mesures visant à garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ouzbékistan dans un contexte moderne et mondialisé ». Parmi les actions susceptibles d’être qualifiées d’« indésirables » figurent les discours publics, les déclarations ou autres actions qui « portent atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l’Ouzbékistan », l’incitation à la « haine inter étatique, sociale, nationale, raciale ou religieuse » et « l’atteinte à l’honneur, à la dignité ou à l’héritage historique du peuple d’Ouzbékistan ».
Tout citoyen étranger ou apatride, qu’il se trouve sur le territoire de l’Ouzbékistan ou à l’étranger, peut être désigné comme « indésirable », ce qui entraîne une interdiction d’entrer en Ouzbékistan. Les restrictions supplémentaires comprennent l’interdiction d’ouvrir des comptes bancaires, d’acquérir des biens immobiliers, de participer à la privatisation des actifs de l’État et de nouer des relations financières et contractuelles en Ouzbékistan, pour une période de cinq ans. Si des citoyens étrangers sont désignés comme « indésirables », cela peut conduire à la révocation de leurs droits de résidence légale et à leur expulsion du pays.
La législation proposée définit également les motifs et la procédure d’expulsion des personnes jugées « indésirables ». Après avoir été informés par le ministère des Affaires étrangères de leur désignation, les étrangers devront quitter volontairement l’Ouzbékistan dans un délai de 10 jours. Le non-respect de cette obligation entraînera une déportation, c’est-à-dire une expulsion forcée du pays.
Le projet de loi a été introduit dans un contexte de détérioration générale de la situation des droits humains en Ouzbékistan. Bien qu’il y ait eu quelques progrès initiaux en matière de protection des droits humains après l’arrivée au pouvoir du président Mirziyoyev en 2016, ces dernières années, les autorités ouzbèkes répriment de plus en plus la liberté d’expression et la liberté des médias, emprisonnant les critiques pacifiques, et les défenseur⸱ses des droits humains signalent régulièrement des actes d’intimidation et de harcèlement. Dans le classement mondial de la liberté de la presse 2024 de Reporters sans frontières, l’Ouzbékistan est classé 148e sur 180, ce qui représente un net recul par rapport à 2023. Il y a deux ans, les autorités ont fait un usage excessif de la force pour réprimer des manifestations dans la région autonome du Karakalpakstan, en Ouzbékistan, où les libertés fondamentales sont soumises à une pression particulière et où le journalisme se désintègre en raison d’une répression croissante.
Ces dernières années, les autorités ont également interdit arbitrairement l’entrée dans le pays à certains journalistes, chercheurs et défenseur⸱ses des droits humains, y compris des ressortissants ouzbeks résidant à l’étranger et des étrangers.
Les autorités ouzbèkes ont arbitrairement interdit l’entrée dans le pays à certains journalistes, chercheurs et défenseur⸱ses des droits humains, y compris ressortissants ouzbeks résidant à l’étranger et à des étrangers. En 2018, des agents frontaliers ont refusé l’entrée à Mukhiddin Kurbanov, un réfugié de 60 ans, invoquant la révocation de sa citoyenneté ouzbèke. Cependant, d’autres n’ont pas reçu d’explications de la part des autorités ouzbèkes sur les refus d’entrée. En 2019, les autorités ont refusé l’entrée au traducteur et chercheur en langue ouïghoure Evgeny Bunin, qui avait déjà travaillé sur les violations des droits humains au Xinjiang, en Chine, et au journaliste de Radio Ozodlik (service ouzbek de Radio Free Europe/Radio Liberty — RFE/RL) Umid Bobomatov, dans les deux cas sans expliquer les raisons de ce refus. Toujours en 2019, les autorités ont interrogé et expulsé l’écrivain et ancien député Nasrullo Saidov à son arrivée à l’aéroport international de Tachkent.
En 2021, les autorités ouzbèkes ont suspendu l’accréditation de la journaliste polonaise Agnieszka Pikulicka-Wilczewska, connue pour sa collaboration avec de grands médias anglophones tels que The Guardian, Al-Jazeera The Diplomat et Eurasianet, au motif que ses reportages auraient « dégradé l’honneur et la dignité des citoyens de l’Ouzbékistan », avant de l’expulser du pays et de prononcer une interdiction d’entrée en Ouzbékistan. L’année suivante, le nombre de personnes interdites d’entrée sans aucune justification a augmenté de manière significative. En 2023, plusieurs postes de contrôle frontaliers en Ouzbékistan ont refusé l’entrée à la journaliste britannique d’origine ouzbèke Shakhida Tulaganova, au militant et réfugié politique Isokjon Zakirov et au défenseur des droits humains kazakh Galym Ageleulov, qui documentait les violations des droits humains au Karakalpakstan. Les autorités ont également interdit au journaliste du service ouzbek de RFE/RL, Umid Bobomatov, d’entrer en Ouzbékistan une deuxième fois.
Signé par :
Norwegian Helsinki Committee
Civil Rights Defenders
International Partnership for Human Rights
Helsinki Foundation for Human Rights (Pologne)
Freedom for Eurasia
Freedom Now
Minority Rights Group Europe
Article 19
Association for Human Rights in Central Asia
Reporters sans frontières (RSF)
Lawyers for Lawyers (L4L)
Uzbek-German Forum for Human Rights
Kazakhstan International Bureau for Human Rights and Rule of Law
Public Association ‘Bir Duino-Kyrgyzstan’
Human rights center ‘Viasna’ (Biélorussie)
Public Association ‘Dignity’ (Kazakhstan)
People in Need
Turkmen Helsinki Foundation for Human Rights
Swedish OSCE Network
Albanian Helsinki Committee
Macedonian Helsinki Committee
Human Rights Centre (HRC) Géorgie
Freedom Files (Pologne)
Austausch e.V. —For a European Civil Society
Human Rights Centre ZMINA, Ukraine
Public Verdict, Russie
Human Rights Defense Center Memorial
Promo-Lex Association