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18 Juin 2024

Halte à la répression contre les groupes de défense des droits humains en Éthiopie

Les autorités éthiopiennes doivent immédiatement cesser leur répression croissante contre l’espace civique et les organisations nationales indépendantes de défense des droits humains, menée notamment par le biais de la surveillance physique et numérique, du harcèlement verbal, de l’intimidation et des menaces, ont déclaré aujourd’hui cinq organisations internationales de défense des droits humains. Ces actions envoient un signal d’alarme et empêchent les organisations de défense des droits humains de mener à bien leur travail essentiel de promotion et de protection des droits humains et en faveur de la responsabilité dans le pays.

Ces derniers mois, les forces de sécurité et de renseignement éthiopiennes ont multiplié les actes d’intimidation, de harcèlement et les menaces à l’encontre d’organisations éthiopiennes de défense des droits humains de premier plan dans le pays, notamment l’Ethiopian Human Rights Council (EHRCO), la plus ancienne organisation indépendante de défense des droits humains en Éthiopie.

Depuis février 2024, les forces de sécurité du gouvernement et le personnel des services de renseignement suivent les membres du personnel des organisations sur leur lieu de travail et à leur domicile, et leur demandent de cesser leurs investigations et leur travail dans le domaine des droits humains. Les menaces se sont multipliées ces dernières semaines. Par exemple, le 23 mai, des agents de sécurité se sont rendu dans la branche de l’EHRCO à Addis-Abeba à la recherche d’informations et ont menacé deux membres du personnel au cours de la procédure. En mai, les défenseurs des droits humains ont tiré la sonnette d’alarme sur le fait que le harcèlement et l’intimidation se poursuivaient et s’étaient encore intensifiés.

Le 6 avril 2024, deux agents de sécurité en civil se sont présenté au domicile d’un membre du personnel de l’EHRCO et l’ont sommé de cesser ses activités de défense des droits humains sous peine de subir des conséquences. Cet incident a fait suite à d’autres incidents similaires contre le personnel d’EHRCO. Le 5 janvier 2023, la police éthiopienne a arrêté et détenu arbitrairement quatre membres du personnel de l’EHRCO qui enquêtaient sur des cas d’expulsions forcées à l’extérieur d’Addis-Abeba. Le 12 janvier 2023, un tribunal d’Oromia a libéré les quatre personnes sous caution.

Le 6 septembre 2022, les forces de sécurité ont interrompu une conférence sur la paix organisée par un groupe de 35 organisations locales de la société civile à Addis-Abeba. L’événement a ensuite été organisé en ligne et le groupe a publié une déclaration conjointe appelant à la paix. Deux jours plus tard, un fonctionnaire fédéral a intimidé le groupe en insistant pour qu’il se rétracte. Toujours en septembre 2022, le directeur général de l’Autorité pour les organisations de la société civile (ACSO) — un organisme fédéral chargé de contrôler et d’enregistrer toutes les organisations de la société civile — a déclaré aux médias d’État qu’en vertu de la loi, l’agence demanderait des comptes aux organisations qui travaillent contre la souveraineté et l’intérêt public de l’Éthiopie.

Les défenseur⸱ses des droits humains ont également fait part de leurs préoccupations quant au fait que l’ACSO a cessé d’enregistrer de nouvelles organisations de la société civile de défense des droits humains depuis au moins le mois d’août 2023.

Les tentatives visant à réduire la société civile au silence sont accompagnées d’attaques continues contre les médias indépendants et les voix dissidentes. Depuis plusieurs années, l’espace pour les activités civiques et le respect des droits humains, y compris les droits à la liberté d’expression et d’association en Éthiopie, est restreint.

Depuis la proclamation de l’état d’urgence en Amhara en août 2023, au moins neuf journalistes ont été arrêtés. Par exemple, le rédacteur en chef d’Ethio News, Belay Manaye, a été détenu dans le camp militaire d’Awash Arba le 6 décembre 2023, sans accès aux soins de santé, aux visites de sa famille ou à ses avocats, et dans des conditions de détention difficiles. Après son transfert à Addis-Abeba à la fin du mois de juin, les autorités ne l’ont pas inculpé et ne l’ont pas traduit devant un tribunal. Le 17 juin, les autorités éthiopiennes ont libéré Belay.

Un nouveau rapport de l’Ethiopian Press Freedom Defenders, un collectif de professionnels des médias éthiopiens, révèle qu’environ 200 journalistes ont été arrêtés par le gouvernement éthiopien depuis 2019. Le Comité pour la protection des journalistes a déclaré qu’à la fin de l’année 2023, huit journalistes étaient toujours en prison et que quatre professionnels des médias faisaient l’objet d’allégations de terrorisme, ce qui pourrait entraîner la peine de mort en cas de condamnation. Au cours des dix derniers mois, l’accès à l’internet a également été restreint dans certaines parties de la région d’Amhara où un conflit armé est en cours.

En raison de la répression continue et croissante de l’espace civique et des organisations de la société civile, plusieurs défenseur⸱ses des droits humains et journalistes ont fui le pays au cours de l’année écoulée. Ces attaques intensifiées réduisent considérablement le contrôle indépendant et les enquêtes sur les actions du gouvernement et les violations des droits humains dans le pays. L’intolérance grandissante à l’égard des enquêtes indépendantes sur les droits humains et des critiques du gouvernement fait écho à de précédentes tactiques de harcèlement, aux raids menés dans les bureaux et aux obstacles bureaucratiques imposés par le gouvernement éthiopien contre les défenseur⸱ses des droits humains et les organisations de la société civile suite à la promulgation de la législation répressive, la Proclamation sur les organisations caritatives et la société civile en 2009. Le gouvernement a réformé en profondeur cette législation en 2019.

Selon les organisations, les autorités éthiopiennes se donnent beaucoup de mal pour étouffer toute critique et tout examen indépendants, en violation flagrante des droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’association. Les organisations de défense des droits humains en Éthiopie doivent pouvoir mener leurs activités sans crainte de représailles.

Les autorités éthiopiennes doivent respecter les obligations en matière de droits humains qui leur incombent en vertu de la Constitution éthiopienne, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, afin de respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique.

En 2022 et 2023, le Comité des droits de l’homme des Nations unies et le Comité contre la torture ont respectivement recommandé au gouvernement éthiopien de protéger les journalistes, les défenseur⸱ses des droits humains, les critiques du gouvernement et les militants contre le harcèlement, les attaques ou les ingérences indues dans l’exercice de leurs activités professionnelles, et de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les actes d’intimidation ou de représailles et promouvoir un environnement sûr et propice à l’engagement avec les Nations unies, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits humains.

Nous demandons également aux autorités de coopérer avec les procédures spéciales des Nations unies, notamment avec la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains. Les autorités devraient également coopérer avec le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme et le point focal sur les représailles en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Les partenaires internationaux et régionaux de l’Éthiopie devraient faire pression sur les autorités éthiopiennes pour qu’elles respectent les droits des opposants politiques, des journalistes, des défenseur⸱ses des droits humains et des militants ; demander que les organes des Nations unies chargés des droits humains, notamment le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, exercent une surveillance à cet égard ; et reconnaître de manière visible, notamment par des déclarations publiques, que la situation des défenseur⸱ses des droits humains en Éthiopie reste critique.

Signataires :

Amnesty International

Front Line Defenders

Human Rights Watch

La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains

Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains