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24 Mai 2023

L’UE doit répondre à l’ampleur de la crise des droits humains à Cuba lors du Conseil conjoint

Lettre Conjointe

24 mai 2023

Monsieur le Représentant Borrell,

L’UE DOIT RÉPONDRE À L’AMPLEUR DE LA CRISE DES DROITS HUMAINS À CUBA LORS DU CONSEIL CONJOINT

À la veille du prochain Conseil conjoint Union européenne (UE) — Cuba le 26 mai, nos organisations vous demandent instamment de veiller à ce que les droits humains restent au centre même des relations de l’UE avec Cuba, à un moment crucial pour les défenseur⸱ses des droits humains du pays.

Nos organisations continuent de documenter1 la répression continue des autorités cubaines contre les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association dans le pays, qui étouffe les voix dissidentes et cible les défenseur⸱ses des droits humains. Les défenseur⸱ses des droits humains cubains font face au harcèlement et à la répression des autorités cubaines et restent exclus des espaces où les acteurs internationaux et le gouvernement cubain prennent des décisions qui affectent leur travail et la situation des droits humains dans le pays.

L’approche du gouvernement cubain est depuis longtemps marquée par des lois restrictives, la censure et des tactiques d’intimidation, avec des mécanismes de plus en plus nombreux pour contrôler les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, tandis que les personnes qui défendent les droits humains font face à des procès inéquitables et à des détentions arbitraires. Cette tendance n’a fait qu’augmenter avec le ciblage des manifestants depuis les manifestations des 11 et 12 juillet 2021, lorsque des milliers de personnes sont descendues dans les rues de l’île d’une manière qui n’avait pas été observée depuis des décennies pour exiger un changement des conditions de vie à Cuba.

Les autorités cubaines ont refusé de permettre aux diplomates de l’UE et des États membres, aux médias internationaux ou aux organisations de défense des droits humains de surveiller les procès des personnes détenues lors des manifestations du 11 juillet. Les membres des familles et les détenus ont signalé diverses violations des procédures requises, tandis que les artistes, les intellectuels et d’autres personnes ayant des idées alternatives sont soumis à des niveaux alarmants de surveillance et de restrictions de leur liberté de mouvement. Des policiers et des militaires ont réprimé d’autres manifestations pacifiques en septembre et octobre 2022. Cuba a étendu l’accès à Internet, mais dans le cadre d’une politique gouvernementale visant à réduire la dissidence au silence, les autorités contrôlent et coupent l’accès à Internet à des moments politiquement sensibles, bloquant régulièrement les applications de messagerie en violation du droit international relatif aux droits humains.

Trois éminents militants, Luis Manuel Otero Alcántara2, Maykel « Osorbo » Castillo Pérez et Jose Daniel Ferrer Garcia3, sont toujours emprisonnés à Cuba en mai 2023 uniquement en raison de leurs convictions et pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains. Justicia 11J, un groupe formé en réponse à la répression des manifestants en juillet 2021, recense 1812 personnes arrêtées depuis le début des manifestations, dont 768 sont toujours en prison le 11 mai 2023.

Avant le Conseil conjoint, la société civile cubaine a également soulevé bon nombre de ces préoccupations, notamment concernant la situation de la société civile indépendante, les prisonniers d’opinion et d’autres détenus pour des raisons politiques, le respect des droits à la liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de circulation, ainsi que la participation politique à Cuba et la participation de la société civile indépendante aux relations UE-Cuba.

En mars 2022, l’UE a réagi aux « peines disproportionnées » prononcées contre les manifestants de juillet 2021, appelant les autorités à garantir et à protéger le droit d’exprimer leur dissidence et de manifester. Dans sa déclaration sur le premier anniversaire des manifestations, l’UE exprimait également son inquiétude concernant l’application régulière de la loi et les peines disproportionnées en réponse aux manifestations, et exhortait les autorités cubaines à libérer toutes les personnes détenues uniquement en raison de l’exercice de leurs droits, et à dialoguer avec le peuple cubain au sujet de ses préoccupations légitimes tant au sujet de la détérioration des conditions de vie que de leurs droits humains.

Lors de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) en novembre 2022, l’UE a réitéré ces appels, exhortant Cuba à accorder à ses citoyens tous leurs droits, à ratifier les Pactes des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), à lancer une invitation permanente à toutes les procédures spéciales de l’ONU et à ouvrir des espaces pour un dialogue constructif et inclusif, sans condition préalable, avec l’ensemble des acteurs de la société civile sur l’île.

Selon l’Accord de dialogue politique et de coopération (PDCA) de 2016 entre l’UE et Cuba, le Conseil conjoint s’emploie à « surveiller la réalisation des objectifs du présent accord et à en superviser la mise en œuvre », notamment : « le respect et la promotion des principes démocratiques, le respect de tous les droits humains et des libertés fondamentales tels qu’ils sont énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans tous les principaux instruments relatifs aux droits humains et leurs protocoles facultatifs applicables aux parties, et le respect de l’état de droit qui constitue un élément essentiel de cet accord ». La répression des droits humains à Cuba, et en particulier le ciblage des manifestants et des défenseur⸱ses des droits humains depuis juillet 2021, contredit clairement ces engagements.

L’ampleur de la crise des droits humains à Cuba doit s’accompagner d’une réponse proportionnelle de l’UE et de ses États membres pour faire face à l’étendue et à la gravité de la situation et établir des repères concrets en matière de droits humains dans leurs relations avec Cuba.

Lors du Conseil conjoint, nous vous demandons instamment de conduire l’UE et ses États membres à s’engager fermement auprès des autorités cubaines afin de :

Libérer immédiatement et inconditionnellement toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leurs droits humains, notamment leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. L’UE et ses États membres devraient soulever les cas de José Daniel Ferrer Garcia, Luis Manuel Otero Alcántara, Maykel « Osorbo » Castillo Pérez, Aymara Nieto, Sissi Abascal Zamora, Donaida Pérez Paseiro et des artistes dissidents Richard Zamora Brito « El Radikal », Maria Cristina Garrido Rodriguez et Randy Arteaga-Rivera.

Mettre fin à la surveillance continue et aux détentions arbitraires des défenseur⸱ses des droits humains, des activistes et des journalistes, y compris cesser d’assigner à résidence les voix dissidentes.

Mettre fin à l’usage excessif de la force et aux détentions arbitraires pendant les manifestations et s’abstenir d’appliquer toute interruption d’Internet, car cela entrave les droits à la liberté de réunion pacifique, d’expression et d’accès à l’information. Les autorités doivent faciliter de façon proactive les rassemblements pacifiques, protéger les manifestations pacifiques, mettre fin à tout recours illégal à la force contre les manifestants pacifiques et garantir la sécurité des manifestants.

Établir un cadre législatif national pour garantir le droit de manifester ; en parallèle, abroger et modifier les infractions répressives et/ou formulées de façon vague dans le nouveau Code pénal, ainsi que les lois qui sont utilisées à mauvais escient contre les défenseur⸱ses des droits humains, les activistes, les manifestants et les membres de la société civile indépendante.

Prévenir et combattre toute forme de discrimination et promouvoir le respect, la protection et la garantie des droits humains de tous, y compris les femmes, les afrodescendants et la communauté LGBTIQ+.

Adopter rapidement une loi globale sur la violence sexiste qui définisse des protocoles pour prévenir et traiter le problème croissant des féminicides et de la violence à l’égard des femmes et des filles à Cuba ; y compris un mécanisme institutionnel efficace, public et transparent de protection et de sécurité des survivantes.

Garantir l’accès aux organisations indépendantes de défense des droits humains pour surveiller la situation des droits humains et faire des rapports à ce sujet, et adresser des invitations permanentes aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, en particulier ceux qui se concentrent sur la liberté d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association, et sur la situation des défenseur⸱ses des droits humains, en facilitant leurs visites dès que possible.

Répondre aux besoins de la population en matière d’accès à la nourriture et aux médicaments et agir pour respecter les droits économiques, sociaux et culturels de la population — des préoccupations liées aux droits humains qui étaient au cœur des récentes manifestations et des manifestations en cours. L’UE et ses États membres devraient appeler les autorités cubaines à intensifier leurs efforts pour garantir ces droits et soutenir de véritables efforts en ce sens.

Ratifier le PIDCP, le PIDESC et la Convention interaméricaine des droits de l’homme dès que possible, en profitant du prochain Examen périodique universel (EPU) du bilan du pays en matière de droits humains pour réaffirmer les engagements de Cuba à l’égard de tous les droits.

Saisir l’occasion du prochain sommet UE-CELAC en juillet pour intensifier l’engagement en matière de droits humains avec Cuba et à travers l’Amérique latine et les Caraïbes, conformément aux appels de la société civile dans la région et dans l’UE.

Veiller à ce que les organisations indépendantes cubaines et européennes des droits humains et de la société civile soient pleinement consultées et à ce que leur participation soit activement facilitée dans toutes les prises de décision qui les concernent — y compris les événements de la société civile liés au dialogue UE-Cuba sur les droits humains, la coopération bilatérale et la mise en œuvre du PDCA.

Utiliser pleinement les mécanismes définis dans le PDCA pour garantir que le gouvernement cubain respecte ses engagements en matière de respect des droits humains.

Nous vous remercions à l’avance de votre action pour garantir le respect de tous les droits humains pour tous à Cuba en ce moment crucial.

Signataires :

Amnesty International

Civil Rights Defenders

FIDH, la Fédération internationale des droits de l’homme, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains

Front Line Defenders

Human Rights Watch

Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains

People in Need

Race and Equality

1 Amnesty International, Cuba : Lettre ouverte au Président Miguel Díaz Canel sur les droits des prisonniers de conscience, 18 mai 2023 ; Amnesty International, Cuba : Escalated repression: Amnesty International : Soumission à la 44e session du groupe de travail sur l’EPU, 5 novembre 2023, 30 mars 2023 ; Human Rights Watch, World Report 2023: Cuba, 12 janvier 2023 ; Human Rights Watch, Report, Prison or Exile: Cuba’s Systematic Repression of July 2021 Demonstrators, 11 Juuillet; Human Rights Watch, Report, Cuba: Peaceful Protesters Systematically Detained, Abused, 19 octobre 2021; Race and Equality, Cuba: How to Understand July 11 and November 15, 2021 in Light of International Human Rights Standards – An Intersectional Focus, Mars 2022.

2 Voir Cuba : Remarks by the High Representative/Vice-President Josep Borrell at the EP Plenary, 8 juin 2021.

3 voir Cuba : Statement by the Spokesperson on the case of José Daniel Ferrer, 27 février 2020; European Parliament on Cuba, the case of José Daniel Ferrer, 28 novembre 2019.