Mettez fin aux représailles contre les défenseur-ses des droits humains
Les autorités biélorusses mènent une campagne ciblée d’intimidation contre la société civile afin de faire taire tous les détracteurs du gouvernement. Après l’élection présidentielle contestée du 9 août 2020, des centaines de milliers de personnes à travers le pays sont descendues dans la rue pour protester contre le résultat annoncé. Les manifestations pacifiques se poursuivent et les représailles contre les manifestants se poursuivent également, avec une régularité effrayante et une gravité croissante. La police antiémeute utilise une force illégale et arrête des milliers de personnes. Les allégations de torture et autres mauvais traitements en détention sont très répandus. Plus de 33 000 personnes ont été arbitrairement arrêtées pour avoir participé à des manifestations pacifiques ou pour avoir exprimé leur désaccord, et un nombre croissant de personnes sont poursuivies en vertu de fausses accusations criminelles et condamnées à des peines de prison.
Les défenseur-ses des droits humains jouent un rôle important pour documenter ces violations, fournir une assistance juridique et conseiller les gens à propos de leurs droits. Les autorités biélorusses intensifient désormais la pression sur les défenseur-ses des droits humains en proférant des accusations criminelles sans fondement, en ouvrant de fausses enquêtes criminelles et en effectuant des descentes et des perquisitions en représailles au travail légitime de ces défenseur-ses. Certains sont en détention provisoire ou assignés à résidence et ils auraient été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. Les autorités ont contraint les avocats de la plupart de ces militants à signer des accords de non-divulgation qui les empêchent de partager des informations sur l’enquête.
Office for the Rights of People with Disabilities (Bureau des droits des personnes en situation de handicap)
En janvier 2021, les autorités ont pris pour cible le Bureau des droits des personnes en situation de handicap, et son directeur, Syarhei Drazdouski, et son avocat, Aleh Hrableuski, sont désormais respectivement assignés à résidence et en détention provisoire. Le Bureau est une ONG respectée qui soutient les personnes en situation de handicap en leur offrant des conseils juridiques et en plaidant pour le respect de la Convention sur les droits des personnes handicapées.
Le 21 janvier, le Département des enquêtes financières de la Commission nationale de contrôle de Biélorussie s’est rendu simultanément aux bureaux et aux domiciles de Syarhei Drazdouski et Aleh Hrableuski (prétendument pour inspecter les lieux du crime). Les agents ont saisi les ordinateurs, les téléphones et certains documents. Ils ont aussi pris les dépositions des deux hommes.
Le 21 janvier, le Département des enquêtes financières a publié un message sur son site Web officiel lançant un processus de vérification des activités des membres du Bureau des droits des personnes en situation de handicap dans le cadre d’une enquête sur « une éventuelle acquisition inappropriée de fonds reçus sous la forme de contributions caritatives et de soutien international dans la période de 2020 à aujourd’hui, dans le but de fournir une assistance aux citoyens biélorusses handicapés ».
Dans un message posté sur Facebook le 3 février, Siarhei Drazdouski indiquait :
« Nous avons soi-disant soutenu les personnes accusées d’avoir participé aux actions de protestation. En fait, nous avons conseillé plusieurs victimes [de violations des droits humains] — handicapées ou non — afin qu’elles cherchent l’aide d’avocats ». 1.
Allégations de torture et de mauvais traitements
Le 2 février 2021, Syarhei Drazdouski et Aleh Hrableuski ont été interrogés pendant plusieurs heures au département des enquêtes financières. Les avocats n’ont pas été autorisés à les accompagner et ils ont été victimes de mauvais traitements.
Selon Syarhei Drazdouski, les interrogateurs, qui ne se sont pas présentés, l’ont ouvertement traité de « criminel, de fraudeur, de menteur et de complice ». Tandis que l’interrogatoire s’est en grande partie déroulé poliment, plusieurs autres personnes sont venues, l’ont insulté et lui ont parlé de manière agressive.
Aleh Hrableuski a rapporté que, alors qu’il continuait de refuser de leur donner les informations qu’ils demandaient, il avait été retenu, déshabillé de force et obligé de s’asseoir nu sur une chaise sans lever les yeux. Les enquêteurs ont fini par le libérer.
Le 3 février 2021, les deux hommes ont été de nouveau interrogés, mais cette fois, Aleh Hrableuski a été placé en détention préventive et Syarhei Drazdouski, a été assigné à résidence. Leurs avocats ont été contraints de signer des accords de non-divulgation, comme c’est de plus en plus courant en Biélorussie, et très peu d’informations sont disponibles sur les charges retenues contre eux.
Viasna
Le 16 février 2021, les autorités biélorusses ont mené simultanément des descentes dans tout le pays au domicile du personnel et dans les bureaux de l’Human Rights Centre Viasna, de la Belarusian Association of Journalists et du syndicat indépendant REP. Les raids ont été menés à Minsk, Homel, Mahilyou, Vitsebsk et Brest dans le cadre de procédures pénales infondées ouvertes en vertu de l’article 342 du Code pénal de Biélorussie (organisation et préparation d’actions portant gravement atteinte à l’ordre public), que les autorités ont lancé pour cibler les militants de la société civile, les journalistes et les observateurs des droits humains. Selon la commission d’enquête, l’enquête vise à « établir les circonstances du financement des manifestations » 2.
Dzmitry Salauyou
Dzmitry Salauyou, défenseur des droits humains et membre du conseil d’administration de l’Human Rights Centre Viasna, figurait parmi les personnes dont les domiciles ont été perquisitionnés le 16 février. Des agents des forces spéciales et des agents du Département pour la prévention du crime organisé et de la corruption, une unité de police également impliquée dans le harcèlement des manifestants, ont enfoncé la porte de son appartement pour entrer et effectuer la perquisition. Ils ont confisqué des ordinateurs et des téléphones et ont exigé que sa femme leur dise le mot de passe de son téléphone portable. Ils ont menacé que si elle n’obéissait pas, elle irait en prison et leur enfant de 13 ans serait placé sous la garde de l’État. Dzmitry Salauyou a été arrêté et affirme avoir été battu par les forces spéciales dans le minibus alors qu’il se rendait au centre de détention provisoire. Des rapports médicaux ultérieurs ont mis en évidence un traumatisme crânien compatible avec un coup à la tête, une augmentation de la pression intracrânienne et des lésions suspectées des vertèbres cervicales.
Le 18 février, il a été condamné à 12 jours de détention administrative pour avoir organisé un « piquet de grève illégal ». La condamnation reposait uniquement sur le fait que la maison dans laquelle vit Dzmitry Salauyou est ornée d’une frise en béton représentant les armoiries historiques de la Biélorussie, Pahonie, adoptées comme l’un des symboles du mouvement de protestation. Selon le juge, la Pahonie est considérée comme un symbole de protestation et pourrait être considérée comme une preuve de « l’organisation d’un piquet d’une personne ». Dzmitry Salauyou a déclaré devant la cour que la frise avait été installée lors de la construction de la maison il y a environ huit ans.
Le 1er mars, au lendemain de sa libération, Dzmitry Salauyou a été arrêté à l’aéroport de Minsk alors qu’il tentait de quitter le pays avec sa famille. La commission d’enquête l’a interrogé dans ses locaux en tant que suspect dans une affaire pénale en vertu de l’article 342, paragraphe 2, du Code pénal de Biélorussie (« formation ou autre préparation d’individus à participer à des actions de groupe qui portent gravement atteinte à l’ordre public »), qui est passible d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement. Il a été libéré, mais il est sous le coup de restrictions de ses déplacements. Dzmitry Salauyou et son avocat ont tous deux été contraints de signer un accord de non-divulgation.
D’autres membres de Viasna accusés d’infractions pénales
Marfa Rabkova, la coordinatrice jeunesse de l’Human Rights Center Viasna, a été arrêtée le 17 septembre 2020 et est depuis en détention provisoire. Le 25 septembre, elle a été inculpée en vertu de l’article 293, paragraphe 3, du Code pénal biélorusse (« formation et autre préparation des personnes à la participation à des émeutes de masse »), qui est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans. Le 11 février 2021, elle a également été inculpée en vertu de l’article 130, paragraphe 3, du Code pénal (« incitation à la haine ou à la discorde raciale, nationale, religieuse ou sociale commise par un groupe ») et en vertu de l’article 285, paragraphe 2, du Code pénal (« appartenance à une organisation criminelle ») qui est passible d’une peine maximale de 12 ans d’emprisonnement.
Andrei Chepyuk, volontaire pour l’Human Rights Centre Viasna à Minsk, a été arrêté le 2 octobre 2020 et le 9 octobre, il a été inculpé en vertu de l’article 293 (2) du Code pénal (participation à des troubles de masse). Le 28 janvier 2021, on a appris qu’il était également inculpé en vertu de l’article 285, paragraphe 2, du Code pénal (« appartenance à une organisation criminelle »). Il est détenu dans le centre de détention préventive n° 1 à Minsk.
Tatsyana Lasitsa, militante bénévole pour l’Human Rights Centre Viasna à Homel, a été arrêtée le 21 janvier. Elle avait contribué à la défense juridique des personnes détenues et condamnées à une amende pour leur participation à des manifestations. Elle a été inculpée en vertu de l’article 342, paragraphes 1 et 2, du Code pénal de Biélorussie (« organisation ou participation à des actions de groupe qui portent gravement atteinte à l’ordre public »). Elle est incarcérée dans un centre de détention préventive à Homel.
Leanid Sudalenka, directeur de l’antenne de l’Human Rights Center Viasna à Homel, a été arrêté alors qu’il se rendait au bureau le 18 janvier 2021. Il est accusé en vertu de l’article 342 du Code pénal (« organisation et préparation d’actions qui portent gravement atteinte à l’ordre public ou participation active à de telles actions »). Sudalenka a fourni une assistance juridique à des dizaines de résidents de la région de Homel qui ont été détenus et inculpés pour leur participation aux manifestations post-électorales. Il est incarcéré dans un centre de détention préventive à Homel. En 2019, il a reçu deux prix pour son travail en faveur des droits humains depuis 20 ans, le prix français pour la liberté, l’égalité et la fraternité, et le prix national biélorusse du défenseur des droits humains de l’année.
Nous appelons les autorités de Biélorussie à :
- Respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains, en tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, respecter les droits à la liberté d’association, de réunion pacifique et d’expression de tous les habitants de Biélorussie.
- Respecter et protéger pleinement le travail des défenseur-ses des droits humains et veiller à ce que chacun ait le droit de se plaindre des politiques et des actions des différents fonctionnaires et organes gouvernementaux et d’offrir et de fournir une assistance juridique professionnelle ou d’autres conseils et assistance pertinents pour la défense des droits humains et des libertés fondamentales.
- Conformément à ces obligations, libérer immédiatement et sans condition Marfa Rabkova, Andrei Chepyuk, Tatsyana Lasitsa, Leanid Sudalenka, Syarhei Drazdouski et Aleh Hrableuski car ils sont détenus pour leur travail légitime en faveur des droits humains ; abandonner les charges retenues contre eux et garantir leur droit à un recours en cas de poursuites pénales non fondées.
- Se conformer à leurs obligations internationales en matière de droits humains en vertu de la Convention des Nations Unies contre la torture, et mener des enquêtes rapides, indépendantes et impartiales sur les allégations de torture et autres mauvais traitements faites par Syarhei Drazdouski, Aleh Hrableuski et Dzmitry Salauyou.
- Respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, y compris les droits de toutes les personnes privées de liberté à bénéficier d’aménagements raisonnables et du droit à un accès effectif à la justice sur la base de l’égalité avec les autres, notamment par le biais d’aménagements procéduraux dans toutes les procédures judiciaires, y compris au stade de l’enquête et à tout autre stade préliminaire.
Signé :
Amnesty International
FIDH
Freedom House
Front Line Defenders
Helsinki Foundation for Human Rights
Human Rights House Foundation
Human Rights Watch
International Media Support (IMS)
International Partnership for Human Rights (IPHR)
Norwegian Helsinki Committee
People In Need
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1 https://www.facebook.com/sergey.drozdovsky/posts/10215466325486424