Égypte: Intensification de l'acharnement judiciaire contre les défenseur-ses des droits humains
Entre avril et mai 2016, un nombre important d'arrestations arbitraires, de détentions abusives, de perquisitions illégales, de disparitions forcées, de violences et de procès inéquitables ciblant la société civile et les défenseur-ses des droits humains ont été recencés en Égypte. Avec plus de 300 arrestations au Caire, à Alexandrie et dans d'autres gouvernorats, la répression et les violations des droits humains perpétrées par les autorités ont atteint un niveau sans précédent. Ces arrestations ont été déclenchées par un appel à manifester lancé par les acteurs de société civile le 25 avril 2016 contre les exactions et les crimes commis par les forces de sécurité, les politiques du régime au pouvoir et la récente décision du gouvernement de céder la souveraineté de deux iles de la Mer Rouge à l'Arabie Saoudite. Suite à cela, le 14 mai 2016, des tribunaux égyptiens ont condamné, en un seul jour, 152 militants pro-démocratie à des peines pouvant atteindre 5 ans de prison.
Les défenseur-ses des droits humains, dont Negad El Borai, Mohamed Nagui, Sanaa Seif, Malek Adly et Haytham Mohamadeen, sont les cibles directes des forces de sécurité et ont été accusés dans le cadre de différentes affaires d'avoir "insulté un fonctionnaire, délibérément propagé de fausses informations dans le but de troubler l'ordre public ou l'intérêt public, appelé à manifester pour renverser le régime et participé à une manifestation illégale".
Negad El Borai est une figure reconnue du mouvement de défense des droits humains qui plaide pour la liberté d'expression, de réunion et d’association. Il est avocat et associé du cabinet "United Group - Attorneys-at-law, Legal Advisors". En janvier 2014, le défenseur a démissionné du Conseil national égyptien pour les droits humains (NCHR), en signe de protestation contre sa politisation et son approche incohérente en matière de violations des droits humains.
Le 15 mai 2016, Negad El Borai a été cité à comparaître par un juge d'instruction pour une cinquième session d'interrogatoire prévue le 17 mai. Cette audience a été reportée. L'enquête est basée sur un projet de loi contre la torture rédigé par le défenseur et présenté au président. Negad El Borai est sous le coup de plusieurs chefs d'accusation, notamment "création d'une entité non enregistrée, réception de fonds illégaux, et diffusion délibérée de fausses informations dans le but de troubler l'ordre public ou l'intérêt public".
Mohamed Nagui est un journaliste et défenseur des droits humains égyptien ; il est directeur de la section droits et libertés des étudiants au sein de l'Association for Freedom of Thought and Expression (AFTE), un cabinet légal à but non lucratif qui œuvre pour la défense et la protection de la liberté de l'esprit et d'expression. Mohamed Nagui travaille principalement pour rechercher, signaler et documenter les violations à l'encontre des étudiants, et a également organisé plusieurs campagnes de solidarité et de plaidoyer pour soutenir les étudiants emprisonnés à cause de leur activisme.
Le 14 mai 2016, le tribunal d'Agouza pour les mauvaises conduites a condamné Mohamed Nagui à cinq ans de prison et de travaux forcés pour avoir "participé à une manifestation illégale". Il a été arrêté après l'appel à manifester le 25 avril 2016, et interrogé par des enquêteurs au poste de police d'Agouza au Caire. Le 18 mai 2016, il a entamé une grève de la faim illimitée.
Sanaa Seif est une défenseuse des droits humains qui a activement participé aux manifestations pacifiques lors de la révolution égyptienne en 2011. Elle est membre de No to Military Trials for Civilians (Non aux procès militaires pour les civils) et a fondé le journal indépendant Al-gornal, dans lequel elle aborde les questions soulevées par la révolution, notamment les violations des droits humains et les conditions de détention.
Le 14 mai 2016, Sanaa Seif s'est rendue aux autorités pour purger sa peine de six mois de prison à laquelle elle a été condamnée le 4 mai 2016 pour avoir insulté un fonctionnaire. Sanaa Seif est actuellement détenue dans la prison pour femmes Qanatar au Caire et n'est pas autorisée à recevoir de visites de sa famille pendant un mois. Dans le cadre d'une autre procédure, le 27 avril 2016, la défenseuse a été convoquée devant le parquet du sud du Caire pour une audience relative à des accusations de complot visant à renverser le régime et distribution de tracts appelant à manifester.
Malek Adly est un avocat en droits humains renommé; il est directeur du réseau d'avocats au sein de l'Egyptian Centre for Economic and Social Rights (ECESR). Il a fondé le Front de défense des manifestants en Égypte, un groupe composé de trente-quatre organisations de défense des droits humains et de plusieurs avocats, qui répertorie les pratiques illégales perpétrées par les forces de police contre les manifestants pacifiques, et qui aide les manifestants et les prisonniers, notamment les victimes de torture et de disparitions forcées.
Lors de son arrestation le 5 mai 2016 dans le district de Maadi au Caire, il a été accusé d'avoir tenté de renverser le régime et transféré dans la prison Tora, où il est toujours détenu. Une session d'interrogatoire prévue le 18 mai a été reportée au 1er juin. Il aurait été maltraité et frappé en prison, et n'a pas été autorisé à voir sa famille ni son avocat. Sa famille lui a apporté de la nourriture, des vêtements et des médicaments, car cela ne lui avait pas été donné en prison, mais il n'a pas été autorisé à les avoir. Sa santé se détériorerait rapidement.
Haytham Mohamadeen est avocat et défend le droit du travail; il offre une aide juridique gratuite aux travailleurs. Il est membre du El-Nadim Center for the Rehabilitation of Victims of Violence, une ONG égyptienne qui lutte contre la torture et apporte une aide médicale et juridique aux victimes de violations des droits humains.
Haytham Mohamadeen a été arrêté chez lui le 22 avril 2016 après l'appel à manifester le 25 avril. Il est actuellement détenu et attend son prochain interrogatoire prévu le 1er juin 2016; il est accusé d'avoir "rejoint un groupe interdit, d'avoir participé à une manifestation illégale et de complot dans le but de renverser l'État".
En outre, le défenseur des droits humains Ahmed Abdullah est toujours emprisonné le temps de l'enquête pour "terrorisme, pour avoir menacé la sécurité nationale et appelé à renverser le régime", tout comme le journaliste Amr Badr, arrêté le 1er mai 2016 en lien avec l'appel à manifester et accusé d'être "affilié à une organisation interdite" et pour "promotion de fausses informations". L'avocat en droits humains et directeur des programmes de l'Egyptian Commission for Rights and Freedoms Mina Thabeta, a été arrêté chez lui au Caire dans la matinée du 19 mai par des policiers en civil, et transféré dans un lieu inconnu.
Front Line Defenders réitère ses profondes préoccupations concernant la répression lancée par le gouvernement égyptien contre les défenseur-ses des droits humains et concernant la criminalisation de la société civile, et appelle à la fin immédiate des persécutions contre les défenseur-ses des droits humains.