Déclaration: République Démocratique du Congo: Forte pression sur les mouvements de la société civile pour la démocratie et la jeunesse après une manifestation
Front Line Defenders est préoccupée par la répression croissante des défenseur-ses des droits humains impliqués dans l'organisation et la promotion de manifestations en faveur de la démocratie le 31 décembre 2017 dans plusieurs villes de République Démocratique du Congo.
Filimbi (qui signifie sifflet en Swahili) et LUCHA (lutte pour le changement) sont d'éminents mouvements de la société civile menés par la jeunesse, qui jouent un rôle prépondérant pour mobiliser la société civile et appeler au respect de l'état de droit et des droits humains. Les membres de Filimbi et de LUCHA sont régulièrement pris pour cible par les autorités congolaises, par le biais d'arrestations, de détention, et d'acharnement judiciaire, depuis que le président Joseph Kabila a annoncé le report des élections présidentielles.
Le 29 décembre 2017, le défenseur et membre de Filimbi, Roger Katanga Mwenyemali, a été arrêté alors qu'il parlait de la manifestation à venir, organisée par des militants de l'Eglise catholique, et qui devait avoir lieu le 31 décembre 2017. Le même jour, trois militants de LUCHA, Jedidia Mabele, Zacharie Kingombe et Andy Djuma, ont été arrêtés alors qu'ils sensibilisaient le public à propos de la manifestation à Kisangani. Ils ont ensuite été accusés "d'incitation à la haine des autorités publiques". Onze autres membres ont été arrêtés à Kananga et accusés d'avoir "incité à désobéir à l'autorité publique" et de "participation criminelle". Le 30 décembre 2017, six membres de Filimbi ont été arrêtés alors qu'ils informaient le public dans la commune de N'Djili, à propos de la manifestation pacifique à venir. Arciel Beni a été libéré le lendemain alors que d'autres sont toujours en détention dans les bureaux de l'Agence nationale de renseignements – ANR. Un autre défenseur affilié à Filimbi, Palmer Kabeya, est actuellement détenu au sein de la Détection militaire des activités anti-patrie (DEMIAP), pour avoir fait la publicité de la manifestation.
La manifestation du 31 décembre 2017 était organisée par le Comité laïc de coordination (CLC) de l'Eglise catholique, un groupe de militants catholiques qui exhorte le président Kabila à quitter le pouvoir et à respecter la constitution. Selon la constitution, il existe une limite de deux mandats présidentiels, qui s'achevaient en 2016 pour le président Joseph Kabila. Les négociations, pour lesquelles l'Eglise catholique sert de médiateur, ont conduit à un accord le 31 décembre 2016. L'accord incluait que le président Kabila s'engage à ne pas se présenter à un 3e mandat, qu'il n'y aurait aucun changement de la constitution ni aucun référendum, et que des élections seraient organisées avant fin 2017. Cet accord a été signé par des représentants de la coalition majoritaire, l'opposition et des organisations de la société civile.
Les militants ont passé la plus grande partie de 2017 à réclamer la publication d'un calendrier électoral et à appeler Joseph Kabila à honorer l'accord du 31 décembre 2016. En novembre 2017, le Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a appelé les autorités congolaises à respecter les droits humains et à autoriser la libre expression pendant les manifestations pro-démocratie.
La manifestation a eu lieu le 31 décembre 2017 et a été violemment reprimée par les forces de sécurité congolaises occasionant la mort d'au moins 5 manifestants, 92 blessés et 180 arrêtés la plupart ayant désormais été libérés, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Le Cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa et responsable de l'Eglise catholique en RDC, a pris la parole après les manifestations, dénonçant les violences policières et les taxant de "barbares". Le Haut commissariat aux droits de l'Homme (HCDH) n'a pas été en mesure d'observer la situation des droits humains dans le cadre de cette marche, car les forces de sécurité ont empêché ses représentants d'accéder à des lieux clés, tels que les morgues et les centres de détention. Les défenseur-ses des droits humains craignent que huit membres du CLC de l'Eglise catholique soient pris pour cible par les autorités.
Depuis juillet 2017, Front Line Defenders a documenté plusieurs cas d'acharnement judiciaire contre des groupes de la société civile. Cela inclut l'arrestation du militant de LUCHA, Nicolas Mbiya, arrêté le 14 juillet 2017 et détenu jusqu'au 29 septembre 2017. Quatorze membres de LUCHA ont été arrêtés le 24 octobre 2017 pour avoir mobilisé des étudiants afin qu'ils participent aux manifestations pacifiques organisées dans toute la RDC, et détenus pendant deux jours. Le 19 septembre 2017, onze défenseur-ses des droits humains affiliés à Filimbi ont été arrêtés alors qu'ils étaient en train de planifier une manifestation pacifique, et détenus pendant quatre jours. Le 30 septembre 2017, 33 membres de LUCHA ont été arrêtés lors d'une manifestation pacifique, et placés en détention pendant cinq jours, jusqu'au 3 octobre 2017. Le 28 novembre 2017, le défenseur Ghislain Muhiwa a été arrêté et placé en détention avec 21 autres personnes, pendant sept jours, pour avoir participé à une manifestation pacifique. Le 19 décembre 2017, un autre membre de Filimbi, Sony Ndjeka Olela, a été arrêté alors qu'il manifestait pacifiquement et il est toujours détenu dans les bureaux de l'ANR.
Le travail des défenseur-ses est crucial pour documenter les violations des droits humains et le respect du droit international relatif aux droits humains. Front Line Defenders appelle les autorités congolaises à abandonner immédiatement toutes les charges portées contre les défenseur-ses des droits humains et à les libérer immédiatement et sans condition, ainsi qu'à garantir leur droit à la libre expression et à la liberté de rassemblement. Front Line Defenders exhorte les autorités congolaises à garantir que les défenseur-ses des droits humains puissent mener à bien leur actions légitimes et pacifiques, notamment les campagnes en faveur de la démocratie et du respect de la constitution, ainsi que la surveillance des actions de la police et des forces de sécurité, sans craindre de menaces pour leur sécurité et sans crainte de représailles, y compris l'acharnement judiciaire.