Inquiétude concernant la possible criminalisation des défenseurs des droits humains accusés par Energy & Palma en Équateur
Front Line Defenders est profondément préoccupée par l’audience en deuxième instance prévue le 8 juin 2022 dans le cadre de l’affaire des leaders afro-descendants et défenseurs des droits humains et de l’environnement Nestor Caicedo, Andrés Arce, Luis Quintero et Samir Mina, à Barranquilla San Javier en Équateur. Les défenseurs des droits humains et de l’environnement ont été reconnus coupables et condamnés en première instance le 8 septembre 2021 pour avoir exercé leur droit de manifestation et de défense collective du territoire et de l’environnement. Nous craignons en particulier que l’issue de cette audience crée un précédent qui entrave l’exercice du droit de défendre pacifiquement les humains et l’environnement en Équateur.
La commune afro-équatorienne de Barranquilla de San Javier est située dans le canton de San Lorenzo, dans la province côtière d’Esmeraldas. La région est composée de la forêt tropicale humide du Chocó et est considérée comme l’une des zones les plus biodiversifiées de la planète, c’est pourquoi elle a été et continue d’être d’un grand intérêt économique national et international1. Malheureusement, les besoins de la population à majorité afro-descendante qui habite et défend historiquement le territoire continuent d’être ignorés.
Barranquilla de San Javier a été établi en tant que commune en 1997 et ses habitants se sont organisés jusqu’en 2000, lorsqu’ils ont obtenu un titre de propriété collective sur 1500 hectares de territoire communautaire. Cependant, depuis 2005, les sociétés d’exploitation forestière et d’huile de palme ont entamé un processus d’accaparement des terres communautaires afin d’extraire les bois tropicaux et d’utiliser ensuite les terres pour les plantations d’huile de palme. L’une d’elles, la société Energy & Palma, qui fait partie du groupe La Fabril, a progressivement accaparé une partie de ce qui est légalement reconnu comme la propriété collective de la commune de Barranquilla. Les sources traditionnelles de subsistance liées à la forêt des membres de la commune de Barranquilla sont affectées. De plus, les membres de la communauté affirment que les rivières sont polluées par les effluents de la plantation d’huile de palme et de l’usine, ce qui a des répercussions permanentes sur la santé de la population et de la faune locale.
En novembre 2019, après des tentatives de dialogue contrariées avec la société Energy & Palma, la communauté a commencé à occuper pacifiquement pendant trois mois l’une des routes de la zone ; cet acte de protestation pacifique a été violemment réprimé en février 2020 par au moins 120 policiers et des hélicoptères qui ont pris d’assaut le camp. La commune a dénoncé l’usage excessif de la force et les dégâts infligés aux biens de plusieurs membres de la commune 2.
La société Energy & Palma a intenté une action en justice contre sept dirigeants communautaires et défenseurs des droits humains, les accusant des dommages prétendument causés par l’occupation pacifique, et exigeant le paiement de 351 000 dollars. Lors du procès en première instance en septembre 2021, le juge a ordonné à Nestor Caicedo, Andrés Arce, Luis Quintero et Samir Mina de verser 150 000 $ à l’entreprise. Plus de deux ans après le début de la procédure judiciaire, l’audience d’appel en deuxième instance des quatre dirigeants poursuivis à Barranquilla aura lieu le 8 juin 2022.
L’audience aura lieu dans un contexte complexe en Équateur. D’une part, le pays connaît d’importants progrès institutionnels vers la reconnaissance de la légitimité de la lutte pour les droits humains, depuis que l’Assemblée nationale a accordé une amnistie à 268 activistes sociaux et défenseur·ses criminalisés dans le pays en mars 2022 3. D’autre part, les poursuites pénales contre les défenseur·ses des droits humains se multiplient dans tout le pays, car c’est l’une des principales stratégies utilisées pour freiner la résistance des communautés face à l’avancement des projets d’extraction qui ont un impact sur leurs terres, territoires et modes de vie 4.
Le système judiciaire doit garantir le respect les droits territoriaux collectifs des communautés. De plus, le système judiciaire doit répondre aux affaires lorsque les communautés dénoncent le non-respect de la législation socio-environnementale existante qui doit être respectée par les entreprises lors de l’installation d’un projet ayant des impacts socio-environnementaux. Le système judiciaire ne devrait pas être utilisé comme un outil pour harceler et intimider les défenseur⸱ses des droits humains. Il convient de noter qu’en mai 2020, l’Équateur a ratifié l’Accord d’Escazú, s’engageant ainsi à respecter le droit à l’accès à l’information, à la participation du public et à l’accès à la justice en matière d’environnement.
Front Line Defenders condamne le recours à la force publique et à l’acharnement judiciaire contre les défenseur⸱ses des droits humains et appelle les autorités à enquêter rapidement et efficacement sur les graves dégâts causés à l’environnement et aux droits humains dans le cadre des opérations d’Energy & Palma.
Front Line Defenders appelle les autorités équatoriennes à s’abstenir d’actions répressives et harcelantes contre les défenseur⸱ses des droits humains et condamne l’impact disproportionné qu’une procédure judiciaire peut avoir sur les leaders communautaires de Barranquilla et leurs familles, ainsi que l’effet intimidant que la décision aura sur les défenseur⸱ses des droits humains en Équateur.
Enfin, Front Line Defenders appelle les autres acteurs de la société civile, les autorités équatoriennes et la communauté internationale à se joindre aux efforts pour que le commune de Barranquilla obtienne justice et que l’intégrité de leur territoire soit garantie, en participant à la diffusion et la visibilité de l’affaire et en assistant à l’audience.
1https://es.mongabay.com/2020/12/palma-en-esmeraldas-ecuador-comunidad-af...
2https://wambra.ec/defensores-san-lorenzo-denuncian-criminalizacion/
3https://www.swissinfo.ch/spa/ecuador-justicia_el-parlamento-de-ecuador-c...