La société civile appelle à mettre fin aux disparitions forcées en Chine
À l’occasion de la Journée internationale des disparus, la communauté internationale doit reconnaître le recours généralisé aux disparitions forcées en République populaire de Chine et y répondre.
Il y a un peu plus de cinq ans, le 13 août 2017, l’avocat Gao Zhisheng a disparu pour la troisième fois. Gao, salué comme la « conscience de la Chine », s’est longtemps battu pour les droits de ceux qui osaient s’exprimer, qui appartenaient à des minorités religieuses, qui étaient expulsés de leurs maisons lorsque leurs terres étaient saisies ou qui protestaient contre l’exploitation. Pour cela, il n’a cessé d’être jeté en prison et séparé de sa famille pendant près d’une décennie. Depuis plus de cinq ans, sa femme et ses enfants ne savent pas où il se trouve, ni même s’il est en vie.
Le cas de Gao Zhisheng est grave et ne représente pourtant que la pointe de l’iceberg : de nombreux autres militants et avocats font face à un sort similaire, comme Tang Jitian, disparu en 2021, torturé et détenu dans un lieu secret. Dès 2011, des experts des Nations Unies, dont le Groupe de travail sur les disparitions forcées, ont tiré la sonnette d’alarme sur le recours aux disparitions forcées contre les membres du mouvement des droits humains en Chine. Les disparitions forcées sont utilisées pour faire taire celles et ceux qui défendent les droits et libertés, pour permettre des actes de torture et de mauvais traitements sans aucun contrôle et pour envoyer un message de dissuasion à toute personne qui pourrait oser critiquer le gouvernement.
Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a fait écho à cela lorsqu’il a rappelé à la communauté internationale que la disparition forcée est « comme un moyen de répression, de terreur et pour étouffer la dissidence ». Les proches, eux-mêmes victimes de ce crime, sont privés de leur droit à la justice et à connaître la vérité, ce qui constitue une forme de traitement cruel et inhumain pour la famille immédiate.
Mais peu importe la puissance d’un pays, peu importe les défis de sécurité (réels ou perçus) auxquels il peut être confronté, les experts soulignent à juste titre : « Rien ne peut justifier de faire disparaître des gens ». Les disparitions forcées sont strictement interdites par le droit international en toutes circonstances et peuvent constituer un crime contre l’humanité lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre toute population civile.
Le gouvernement chinois continue d’ignorer les appels afin qu’il ratifie la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Depuis plus de neuf ans, il ignore les demandes du Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées et involontaires pour visiter le pays, y compris la plus récente, le 7 janvier 2022. Entre-temps, le nombre de cas de personnes disparues présentés au Groupe de travail a grimpé en flèche, atteignant 214 en 2021, dont 98 restent en suspens.
Il est urgent que l’ONU, les gouvernements et la société civile du monde entier pressent la Chine à mettre fin, sans équivoque, à toutes les formes de disparition forcée.
Des experts des Nations Unies et des acteurs de la société civile documentent de nombreuses pratiques utilisées par les autorités chinoises équivalant à des disparitions forcées. Certaines sont inscrites dans le droit chinois ou dans les directives du Parti communiste chinois ; d’autres ne relèvent pas des lois chinoises. Certaines ciblent des individus pour leurs actions ou leurs paroles ; d’autres sont utilisées avec l’intention de terroriser une communauté ethnique ou religieuse particulière.
La résidence surveillée dans un lieu désigné (RSLD)
La « résidence surveillée dans un lieu désigné » est autorisée par la Loi chinoise sur la procédure pénale et autorise la détention d’une personne — avant son arrestation — jusqu’à six mois dans un lieu tenu secret. Ce « lieu » est non officiel, choisi à la discrétion de la police, et la personne est maintenue à l’isolement sans avoir accès à sa famille, à un avocat ou à des options pour faire appel de la mesure. Cela est particulièrement vrai pour les militants et les dissidents accusés de « crimes relatifs à la sécurité nationale ». Des données gouvernementales incomplètes admettent l’utilisation de la RSLD dans quelques 23 700 cas, mais la société civile estime que pour la période de 2013 à 2021, le chiffre réel est plus proche de 85 000, avec une utilisation accrue au fil du temps. Cette pratique est toujours employée même si elle a été condamnée par des experts des Nations Unies comme une « forme de disparition forcée » qui « peut en soi équivaloir à un traitement ou à une peine cruelle, inhumaine ou dégradante, voire à de la torture ». L’évaluation des experts est claire : la RSLD doit être abrogée.
Le système Liuzhi
Le système de détention extrajudiciaire liuzhi (留 置) imite la pratique de la RSLD, mais est utilisé pour punir spécifiquement tout fonctionnaire ou membre du Parti communiste chinois (PCC) qui aurait « violé ses devoirs » ou commis des « crimes économiques », atteignant potentiellement près de 300 millions de victimes. Comme pour la RSLD, les détentions de liuzhi peuvent durer jusqu’à six mois, les victimes étant détenues au secret et à l’isolement dans des lieux tenus secrets. Pourtant, les détentions sont en dehors du champ d’application des lois chinoises, y compris la Loi sur la procédure pénale, car le système liuzhi ne fait pas partie du système de justice pénale. Au lieu de cela, il est géré par le puissant chien de garde extrajudiciaire de lutte contre la corruption de la Chine, la Commission nationale de surveillance (NSC), un organisme quasi étatique qui ne relève que du PCC. Les garanties juridiques, y compris le droit à un avocat, ne s’appliquent pas aux personnes faisant l’objet d’une enquête en vertu du système liuzhi, tant et aussi longtemps que leur cas n’est pas soumis à des poursuites pénales. Des données officielles incomplètes font état de 11 000 personnes détenues sous le régime de liuzhi ; la société civile estime que les chiffres réels dépassent les 57 000 victimes disparues. Des experts des Nations Unies ont adressé une allégation générale sur cette question à la Chine en septembre 2019.
Incarcération psychiatrique (ankang)
Depuis les années 1980, le ministère de la Sécurité publique de la Chine enferme des individus ciblés pour leurs convictions politiques et religieuses dans des hôpitaux psychiatriques pour malades mentaux criminels, connus sous le nom de ankang (安 康) (« paix et santé »). Malgré des réformes légales, la police continue d’envoyer les défenseur⸱ses des droits humains dans les centres Ankang et les hôpitaux psychiatriques pour le grand public afin qu’il reçoivent un traitement obligatoire sans justification médicale. Les données de la société civile indiquent qu’il s’agit d’une pratique régulière à grande échelle, où les victimes se voient refuser tout contact avec le monde extérieur et sont souvent soumises à la torture et aux mauvais traitements, tandis que les familles ne sont pas informées de l’hospitalisation forcée de leurs proches.
Les disparitions forcées au Tibet
Les autorités chinoises continuent de faire disparaître les Tibétains, notamment les chefs religieux, les critiques et les penseurs influents, les soumettant à la torture et aux mauvais traitements, et utilisant la menace de la disparition pour instiller la peur dans tout le Tibet. En février 2022, six experts de l’ONU ont fait part de leurs préoccupations concernant le bien-être physique du musicien tibétain Lhundrup Drakpa, de l’écrivain Lobsang Lhundrub, et de l’enseignant Rinchen Kyi, arrêtés et disparus « dans le cadre de leurs activités culturelles en faveur de la langue et de la culture de la minorité tibétaine ». En juillet 2021, quatre experts des Nations Unies ont exprimé des préoccupations semblables au sujet de la disparition forcée de Rinchen Tsultrim et de Go Sherab Gyatso, signalant un « modèle inquiétant de détentions arbitraires et au secret (…) contre la minorité religieuse tibétaine, certaines d’entre elles s’apparentant à des disparitions forcées. »
Le 11e panchen-lama, Gedhun Choekyi Nyima, l’un des chefs bouddhistes tibétains les plus importants, a disparu en 1995 à l’âge de six ans. Le gouvernement chinois continue d’ignorer les appels à sa libération, les préoccupations des experts des Nations Unies ou la demande d’accès du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies pour déterminer l’endroit où il se trouve et son état de santé.
Les disparitions forcées dans la région Ouïghoure
Depuis 2017, dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang (RAOX), les Ouïghours et les musulmans turciques sont détenus au secret par des représentants du gouvernement chinois dans des camps d’internement, des camps de travail forcé et des prisons officielles où ils purgent de longues peines, et d’autres installations où ils risquent d’être soumis au travail forcé. Les signalements au Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ont augmenté de façon spectaculaire, indiquant une pratique généralisée et systématique. Bien que le gouvernement chinois appelle ces camps des « centres d’enseignement et de formation professionnels », la détention administrative dans ces lieux n’a aucun fondement en droit chinois ou international.
Des journalistes et des ONG ont rapporté d’innombrables témoignages de personnes dont les membres de la famille sont ou étaient portés disparus et soupçonnés d’être détenus dans la RAOX, mais qui n’ont aucun moyen de déterminer où se trouvent les membres de leur famille. Ils ne reçoivent presque jamais de confirmation officielle des autorités chinoises concernant le statut des membres de leur famille ; les efforts visant à recueillir des renseignements auprès des consulats ou ambassades de Chine à l’étranger sont en grande partie infructueux. Très peu de détenus sont autorisés à entrer en contact avec le monde extérieur. Même les Ouïghours « libres » qui vivent dans la RAOX se sont vu interdit de parler à leur famille ou à leurs amis à l’étranger. Les Ouïghours dans le pays et à l’étranger sont complètement privés de leur droit à connaître la vérité.
Nous, les organisations soussignées, exhortons la communauté internationale dans son ensemble à mettre en place une attention soutenue et à prendre des mesures significatives pour mettre fin à toutes les formes de disparitions forcées en Chine. Les autorités doivent libérer toutes les personnes disparues, garantir à leurs proches le droit à la vérité, à la justice, à la réparation et garantir que cela ne se reproduise plus.
Nous sommes solidaires de tous ceux qui manquent à l’appel et de leurs proches, qui désirent ardemment leur retour vivants.
Signataires :
Amnesty International
China Against the Death Penalty
China Aid Association
Chinese Human Rights Defenders
Freedom House
Front Line Defenders
Global Centre for the Responsibility to Protect
Grupo de Apoio ao Tibete Portugal
Hong Kong Democracy Council
Hongkongers in Britain
Hong Kong Watch
International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)
International Campaign for Tibet
International Commission of Jurists
International Service for Human Rights (ISHR)
International Society for Human Rights
International Tibet Network
Lawyers for Lawyers
Lawyers’ Rights Watch Canada
Northern California Hong Kong Club
Objectif Tibet, Sciez, France
PEN America
Safeguard Defenders
The Rights Practice
The 29 Principles
Tibet Initiative Deutschland
Tibet Justice Center
Tibet Support Group Ireland
Students for a Free Tibet
Swiss Tibetan Friendship Association
Uyghur Human Rights Project
World Organisation Against Torture (OMCT)
World Uyghur Congress