L'arrestation et l'expulsion d'un journaliste américano-autrichien montre l'escalade de la pression contre la liberté de la presse au Nicaragua
ARTICLE 19, Front Line Defenders, Freedom of the Press Foundation, et Reporters sans frontières appellent le gouvernement nicaraguayen à cesser immédiatement le harcèlement et la répression des journalistes et à enquêter sur les menaces de mort, le harcèlement et le doxxing du journaliste Carl David Goette-Luciak. Nous exhortons les autorités nicaraguayennes à respecter la liberté d'expression des journalistes, y compris les journalistes étrangers et indépendants, au Nicaragua, et à enquêter immédiatement, de façon indépendante et transparente sur les menaces de mort, la diffusion d'informations personnelles (doxxing) et le harcèlement du journaliste indépendant américano-autrichien Carl David Goette-Luciak pour son travail journalistique au Nicaragua et à mettre en place des mesures pour la protection de tous les journalistes.
Le 1er octobre 2018, Carl David Goette-Luciak a été arrêté chez lui à Managua et ses effets personnels ont été saisis. Aucune explication n'a été donnée pour son arrestation ou les charges ; il a été interrogé avant d'être expulsé. Carl David Goette-Luciak est journaliste indépendant qui était au Nicaragua pour couvrir les évènements pour plusieurs médias internationaux. Son arrestation et son expulsion font suite à deux semaines de campagne en ligne contre lui, notamment par le biais de doxxing (diffusion de l'adresse de son domicile) et d'appels à son enlèvement, son emprisonnement ou son meurtre parce qu'il couvre la crise qui secoue actuellement le pays. Pendant l'interrogatoire on lui a demandé s'il est un agent de la CIA et son matériel électronique a été fouillé sous la contrainte.
Carl David Goette-Luciak a déjà été la cible d'une campagne en ligne sur Facebook et Twitter qui a débuté en septembre 2018. Cette campagne a été alimentée par de fausses déclarations à son encontre, notamment qu'il est un agent de la CIA qui travaille au Nicaragua et qui aide directement les groupes rebelles et qui travaille avec des groupes d'opposition ; cela a entrainé une intense campagne de doxxing et d'appel à la violence contre lui. Des messages posés en ligne ont commencé à plaider pour son arrestation, son agression ou des actes de torture. ARTICLE 19, Front Line Defenders, Freedom of the Press Foundation et Reporters sans frontières considèrent que ces messages constituent une incitation à la violence et une menace directe contre la vie de Carl David Goette-Luciak, et les organisations sont vivement préoccupées par l'absence d'enquête. Lorsque la campagne a commencé Carl David Goette-Luciak a été contraint de déménager pour sa sécurité. Des signent laissent penser que la campagne a pu conduire à son arrestation, sa détention et son expulsion par les autorités du Nicaragua.
Les attaques contre les journalistes sont perpétrées en toute impunité au Nicaragua et l'expulsion forcée d'un journaliste sur la base de son travail contribue également au climat de peur, de censure et à la culture de l'autocensure.
Le 1er octobre, Edison Lanza, Rapporteur spécial pour la liberté d'expression de la CIDH a écrit: "la nouvelle de l'expulsion de Carl David Goette-Luciak met en lumière la réalité d'un régime qui marche inexorablement vers l'oppression et la censure de toutes les voix qu'il estime être contre ses intérêts". Dans une conférence de presse, le Rapporteur spécial Lanza avait déjà condamné "la persistance des menaces constantes contre la sécurité des journalistes, la surveillance et la pression politique sur les médias au Nicaragua". Le bureau du Rapporteur spécial a lancé un "appel urgent" à l'État du Nicaragua pour "stopper ces actions et garantir le fonctionnement libre et indépendant des médias dans le pays".
Le droit international relatif aux droits humains requiert que les autorités nicaraguayennes protègent les journalistes contre les menaces de violence. De tels actes devraient être considérés comme particulièrement graves lorsqu'ils visent à dissuader une personne d'exercer ses droits fondamentaux, notamment la liberté d'expression. ARTICLE 19, Front Line Defenders, Freedom of the press Foundation et Reporters sans frontières constatent que les journalistes étrangers qui parlent de la lutte politique depuis l'intérieur du pays sont particulièrement vulnérables à ces formes de censure par intimidation, harcèlement et menaces directes.
L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipule que l'État doit protéger le droit à la libre expression, notamment celui des journalistes et du personnel des médias, dont la capacité à travailler et essentielle pour garantir l'accès à l’information du public et protéger les libertés fondamentales explicitement reconnues dans l'Objectif 16 des Objectifs pour un développement durable. Les États sont également obligés de promouvoir un environnement sûr et favorable afin que les journalistes puissent exercer leur métier de façon indépendante et sans interférence indue, en prenant des mesures adaptées pour prévenir la violence, les menaces et les attaques contre les journalistes et garantir des enquêtes impartiales, rapides, minutieuses, indépendantes et efficaces sur toutes les menaces de violence présumées ou avérées conformément à leur juridiction. Leaders et représentants doivent s'abstenir de stigmatiser ou contribuer à la stigmatisation des journalistes ou d'autres médias professionnels.
Le harcèlement en ligne et le doxxing de Carl David Goette-Luciak constituent une incitation à la violence et devraient immédiatement faire l'objet d'une enquête en tant que telle. Son arrestation arbitraire et son expulsion sont des actes profondément préoccupants perpétrés par l'État du Nicaragua, auxquels ce dernier doit également remédier.
Nous rappelons que la déclaration conjointe de 2012 adoptée par les mandats internationaux et régionaux sur la liberté d'expression condamne les "crimes contre la liberté d'expression". La déclaration conjointe appelle les autorités à condamner sans équivoque les attaques telles que celles subies par Carl David Goette-Luciak. La déclaration fixe les obligations des États pour prévenir et interdire de telles attaques et pour assurer la protection des personnes susceptibles d'être ciblées pour exercer leur droit à la liberté d'expression. Elle fixe aussi l'obligation de garantir des enquêtes indépendantes, rapides et efficaces, ainsi que des réparations pour les victimes.
L'intimidation des journalistes n'est pas un fait nouveau au Nicaragua et le harcèlement et l'arrestation de Carl David Goette-Luciak soulignent une augmentation de la répression contre le journalisme. Depuis le début de la crise en juin 2018, de nombreux journalistes sont la cible d'intimidations, menaces et violences. Plusieurs journalistes ont été grièvement blessés et l'un d'eux, Angel Gahona, a été tué alors qu'il couvrait une manifestation. Le 27 août 2018, la réalisatrice brésilienne Emilia Mello a également été expulsée après voir été arrêtée en train de filmer les manifestations au Nicaragua.
"Carl David Goette-Luciak est journaliste freelance pour The Guardian et a contribué à couvrir les récentes violences au Nicaragua. Nous trouvons que la campagne en ligne contre Carl David Goette-Luciak est extrêmement troublante. Nous exhortons les autorités nicaraguayennes à enquêter afin de déterminer qui est coupable de ces actes et pour garantir la sécurité de Carl David et de tous les journalistes qui travaillent" a déclaré le porte-parole de The Guardian News & Media. Le Guardian, l'un des principaux journaux pour lesquels Carl David Goette-Luciak écrit, a aussi été ciblé par une campagne pour sa couverture de la crise au Nicaragua.
ARTICLE 19, Front Line Defenders, Freedom of the Press Foundation et Reporters sans frontières réitèrent leur appel en faveur de l'ouverture d'une enquête indépendante et transparente sur les menaces, le doxxing et le harcèlement contre Carl David Goette-Luciak et les autres journalistes au Nicaragua, afin que les coupables rendent des comptes et que Carl David Goette-Luciak bénéfice de réparations. Nous appelons aussi le gouvernement du Nicaragua à agir pour protéger les journalistes dans le pays contre le harcèlement et la violence ainsi qu'à mettre en place des mesures pour protéger les droits des journalistes qui travaillent dans le pays.