L'UE peut-elle intensifier sa diplomatie publique en faveur des DDH?
Tandis que la nature actuelle de la politique étrangère de l'UE signifie qu'elle doit construire un délicat compromis entre les 28 États membres, la plupart des observateurs sentent qu'elle est excessivement, voire inutilement, timide quant à la communication sur les questions relatives aux droits humains. Après tout, les droits humains sont à la fois une valeur fondatrice de l'UE, si importants qu'ils apparaissent dans l'article 2 du Traité de l'Union européenne, et l'un des objectifs les plus importants de sa politique étrangère (là aussi inscrits dans le traité comme le second objectif après l'éradication de la pauvreté). Elle a tant fait profil bas que dans son plus récent plan d'action sur les droits humains et la démocratie, établi pour 5 ans et adopté en juillet 2015, elle s'"engage à améliorer la diplomatie publique et la communication sur ses actions dans le domaine des droits humains".
En particulier, la qualité des déclarations de l'UE sur les défenseur-ses des droits humains est si inconséquente que l'on se demande si cela a été fait volontairement ou non. Une déclaration appelle à la libération immédiate d'un DDH emprisonné ou accusé, tandis qu'une autre appelle au respect des normes internationales dans le cadre des procédures judiciaires et ce bien que l'absence d'état de droit dans ce pays est notoire. Un communiqué demande la "proportionnalité" d'une peine pour un délit présumé, qu'importe la nature des accusations portées contre le DDH, tandis qu'un autre appelle à l'abandon des charges.
L'Human Rights and Democracy Network (HRDN), une groupe de 50 organisations de la société civile qui travaille sur la politique de l'UE et les droits humains, a décidé de se concentrer sur les engagements de l'UE relatifs à la protection des DDH durant une campagne d'un an sur les DDH appelée “Stand4HRDs”. Le bureau européen de Front Line Defenders à Bruxelles coordonne la campagne, au sein d'un groupe de travail qui inclut Human Rights Watch, Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l'Homme et Open Society Foundations. L'une des initiatives de la campagne était la distribution d'un court manuel intitulé “Do’s and Don’ts in EU public statements on HRDs,” ("Ce qu'il faut faire ou ne pas faire dans les déclarations publiques de l'UE sur les DDH"), qui met en lumière ce que nous considérons comme des éléments positifs ou négatifs qui doivent figurer ou non dans la diplomatie publique de l'UE. Il s'en est suivi une série de rencontres sur le plaidoyer avec les principaux diplomates européens.
Depuis, l'on peut observer une amélioration des déclarations. Le 5 août, la déclaration du porte-parole sur l'inculpation des avocats chinois et autres défenseurs des droits humains pour subversion de l'État, a courageusement appelé à:
"la libération immédiate de ceux qui ont été injustement condamnés et la réintégration de leur droit à exercer leur profession. Toutes les charges toujours en suspens contre les autres avocats et défenseur-ses des droits humains détenus depuis juillet 2015 doivent être abandonnées. La Chine devrait autoriser les diplomates étrangers à observer les procès".
La déclaration suggère également à la Chine de "libérer tous ceux qui sont détenus pour avoir cherché à protéger ces droits".
La déclaration va directement au but.
La déclaration souligne aussi les défauts des procédures judiciaires en Chine, et dit explicitement que les procès ont été des farces. Bien que l'UE n'aille pas aussi loin que les États-Unis en disant que les accusations ont "apparemment des motifs politiques", c'est sans comparaison avec l'époque où l'UE disait simplement qu'elle était "préoccupée" et qu'elle "attendait le résultat des procédures et qu'elle avait confiance que l'issue serait positive".
D'autres déclarations récentes reconnaissent clairement ceux qui étaient précédemment appelés "activistes" comme des "défenseur-ses des droits humains", un terme qui leur confère plus de légitimité et renforce leur protection. Les appeler DDH les aide car cela fait directement référence à la Déclaration de l'ONU sur les défenseurs des droits humains, qui reconnait et protège les DDH.
Les déclarations de l'UE reconnaissent aussi le travail et les réussites du défenseur harcelé, ce qui contribue à légitimer non seulement le défenseur, mais aussi son travail lorsqu'il est criminalisé et victime de tentatives d'assassinat perpétrées par les autorités. L'UE commence aussi également à dénoncer systématiquement les meurtres de DDH et à appeler à des "mesures urgentes et décisives des autorités pour protéger les défenseur-ses des droits humains (...) et lutter contre l'impunité".
Mais les représentants de l'UE sont toujours réticents à voir la nécessité d'une diplomatie ouverte, engagée et dynamique, en déclarant régulièrement que le travail en coulisse est "plus efficace". Ils pensent cela car ils ont souvent tendance à voir l'utilité de leur travail en terme d'impact immédiat.
Tout en reconnaissant l'importance de la "diplomatie secrète", qui a souvent été cruciale pour des actions en faveur des défenseur-ses, Front Line Defenders entend quotidiennement les défenseur-ses qui réclament des déclarations publiques pour plusieurs objectifs, notamment pour leur apporter une légitimité, une reconnaissance publique et une protection liée à la visibilité, au soutien moral et à l'estime.
Les gouvernements autoritaires mettent en œuvre de gros efforts et d'importantes ressources pour stopper, faire taire, restreindre et discréditer les défenseur-ses des droits humains et la société civile indépendante, ainsi que les médias qui critiquent les politiques gouvernementales: souvent, les seules voix qui prennent position pour eux sont étrangères.
D'autres raisons avancées pour ne pas prendre de positions publiques sont la crainte de se "mêler des affaires internes", ou de "faire la morale", "prêcher", "donner des leçons", ou que rendre une affaire publique est un "activisme" qu'il vaut mieux laisser aux médias et à la société civile. Cependant, les droits humains ne sont pas une affaire interne. Les normes internationales en matière de droits humains font partie des accords internationaux les plus signés et/ou ratifiés et leur débat dans la sphère publique est une partie explicite des accords.
Nous ne devons pas accepter que les gouvernements rejettent cette attention portée sur eux, nous devons considérer qu'il s'agit de la crainte de rendre des comptes publiquement lorsqu'ils ne respectent pas les normes internationales.
Cela inclut aussi l'UE, car aucun État n'est complètement transparent et n'accepte inconditionnellement un examen critique. Mais cela n'est pas de l'"activisme"; ce sont les gouvernements qui acceptent de se tenir pour responsables, au niveau de l'État, et de prendre leurs responsabilités. Ce n'est pas seulement pour les ONG et les médias. En effet, en aidant les citoyens d'un pays tiers à défendre leurs droits, l'UE encouragerait des solutions locales à des problèmes locaux, et non l'exportation de soi-disant "modèles occidentaux".
Lors de l'ouverture du 33e Conseil des droits de l'Homme, le Haut Commissaire aux droits de l'Homme a déclaré: "Nous demandons l'accès afin de mieux pouvoir travailler à ce que vos lois et pratiques soient conformes aux accords internationaux que vous les États aviez rédigés et ratifiés - et pour vous aider à respecter les recommandations que vous avez publiquement, et souvent hypocritement, acceptées. Les droits humains sont-ils exclusivement une question nationale?
Les gouvernements ont la responsabilité de respecter leurs obligations en matière de droits humains et les normes. Mais les droits humains de tous les peuples, dans tous les pays, requièrent indiscutablement l'attention collective. La Déclaration de Vienne, adoptée à l'unanimité il y a 23 ans, le confirme: "la promotion et la protection de tous les droits humains est une préoccupation légitime de la communauté internationale".
La nécessité d'agir publiquement en cas de risque est en effet reconnue dans les Orientations sur la liberté d'expression, où il est dit: "L'UE condamnera publiquement les assassinats, attaques, exécutions, tortures, disparitions forcées ou autres actes de violences graves ou d'intimidation contre toute personne qui exerce son droit à la liberté d'opinion et d'expression. Il faut reconnaitre ouvertement que la diplomatie privée fonctionne jusqu'à un certain point, mais aussi qu'il ne faut pas continuer quand elle ne fonctionne clairement pas, ou en cas d'urgence, lorsqu'il faut clairement tirer la sonnette d'alarme.
Les responsables de l'UE mentionnent souvent que depuis la création du Service européen d'action extérieure, le "ministère des affaires étrangères" de l'EU, les États membres ne sont que trop contents de laisser les droits humains à l'UE et de poursuivre la promotion de leurs propres affaires et autres intérêts plus juteux et moins encombrants. Cela laisse l'UE seule pour agir, sans le soutien de ses membres. Dire que défendre ouvertement les défenseur-ses des droits humains devrait être laissé à l'ONU, comme les ONG l'entendent souvent, suivrait alors la même logique et ne ferait que placer la question dans un "silo" sans effet multiplicateur.
Dans la politique de l'UE, les droits humains sont clairement cités comme l'un des objectifs stratégiques de la politique étrangère, tel que dans la toute nouvelle Stratégie globale de l'UE. Par conséquent, la Haute représentante elle-même a déclaré que les droits humains sont des éléments clés de la sécurité et du développement, qui sont nécessaires au développement de l'UE et des pays tiers, pour stabiliser le monde et en faire un lieu plus sûr. Lorsque l'UE négocie avec d'autres pays pour renforcer ses objectifs, elle le fait avec vigueur, pour le commerce, l'investissement, la migration ou la sécurité. Pourquoi n'applique-t-elle pas cette même vigueur aux droits humains?
Tandis que la diplomatie doit exister et être pratiquée avec talent, elle doit aussi avoir une direction; comme Winston Churchill l'a dit: "La diplomatie est l'art de dire aux gens d'aller en enfer de façon telle qu'ils en demandent la direction."
Les progrès doivent être reconnus et salués, mais cela va demander un suivi attentif pour voir s'il y a un réel changement dans la prise de conscience et la politique concrète en faveur des DDH en danger.