Des organisations soudanaises et internationales appellent à la fin des attaques contre les défenseuses des droits humains soudanaises et les manifestants
Depuis le début du coup d’État militaire du 25 octobre 2021, les femmes défenseuses des droits humains (FDDH) soudanaises et les manifestants pacifiques font face à de plus en plus de violations. Une coupure d’Internet depuis le début des protestations augmente les risques auxquels sont confrontés les FDDH au Soudan et restreint sévèrement leurs efforts pour surveiller et documenter les violations commises par les forces militaires et les forces de sécurité contre les défenseur-ses des droits humains et les civils au Soudan. Les groupes de défense des droits des femmes travaillent dans le contexte d’une fermeture complète de l’espace civil et de restrictions des déplacements et des communications. Les FDDH au Soudan font face à une répression sans précédent alors que les leaders du coup d’État ciblent les journalistes, les membres des comités de résistance, les dirigeants syndicaux, les avocats, les étudiants et les militants de la société civile.
Pendant et après les manifestations dans plusieurs quartiers de Khartoum et d’autres villes, des vidéos de femmes soudanaises passées à tabac par des membres des Forces de soutien rapide (RSF) et d’autres forces de sécurité reflètent l’ampleur de la violence à l’encontre des femmes dans les rues. Des manifestantes ont été battues et victimes de violences verbales par les forces conjointes. Durant la première nuit du coup d’État, les forces militaires ont attaqué les dortoirs des étudiantes de l’Université de Khartoum. Ces jeunes femmes ont été frappées, agressées verbalement et forcées d’évacuer le dortoir au milieu de la nuit. L’une des étudiantes a dit : « Nous avons été choquées de voir les soldats armés de fusils et de bâtons, qui nous ont battues en pillant nos biens. Ils nous ont insultées et ordonné d’évacuer les dortoirs. Nous ne savions pas où aller, car Internet était coupé et nous ne pouvions pas contacter nos familles. C’était une nuit d’horreur pour nous toutes ».
Siti Alnfor Ahmed Bakr, une infirmière de 24 ans et FDDH, a été tuée le 17 novembre 2021 lors d’une manifestation à Bahry. Les forces de sécurité lui ont tiré dans le menton. Des dizaines de manifestantes ont été blessées lors des manifestations du mercredi contre le coup d’État. Neuf manifestantes ont été arrêtées à Khartoum et transférées à la prison pour femmes d’Omdurman. Selon les lois d’urgence, elles doivent rester en prison pendant une semaine sans procès et sans accusations claires. Deux autres manifestantes ont été arrêtées à Madani, dans l’État d’Al Jazirah. Les violations commises contre des manifestants pacifiques au cours de la marche du 17 novembre 2021 comprenaient des arrestations de professionnels de la santé et des raids contre des hôpitaux et des maisons de civils. Des quartiers du nord de Khartoum ont été assiégés et des ambulances ont été empêchées d’entrer dans la zone pour évacuer les manifestants blessés. Les communications locales et l’électricité ont été coupées à Khartoum pendant des heures.
Sept personnes ont été tuées et des dizaines de femmes ont été blessées lors des manifestations qui ont eu lieu le 13 novembre 2021. Remaz Hatim, une jeune fille de 13 ans, a reçu une balle dans la tête alors qu’elle se tenait devant sa maison. Elle est décédée à l’hôpital le 4 novembre 2021. À Nayala, au Darfour du Sud, au moins 12 femmes ont été arrêtées pendant les manifestations, et 6 autres femmes auraient été détenues à Omdurman.
Les femmes au Soudan sont actuellement confrontées à une militarisation croissante de l’État dans la vie quotidienne. Le mouvement des droits des femmes dans l’espace public est menacé par le déploiement massif de troupes autour de Khartoum et dans tout le Soudan. Les travailleuses, en particulier les vendeuses de rue, vivent constamment dans la peur du harcèlement et de la violence lorsqu’elles travaillent dans la rue. Une vendeuse de rue a dit : « Nous sommes intimidées par le nombre de soldats dans les rues, nous ne nous sentons plus en sécurité lorsque nous travaillons tôt le matin ou l’après-midi. »
La paix et la sécurité des femmes au Soudan sont gravement menacées par le déploiement croissant des forces armées dans différentes villes et par le contrôle des déplacements par les militaires, y compris par le biais de points de contrôle et la fermeture constante des ponts et des routes, et les passages à tabac et le harcèlement sexuel dans les rues. Par conséquent, la liberté de circulation des femmes soudanaises est restreinte au cours des trois dernières semaines. Les femmes dans les zones de conflit et les camps de déplacés font face à une accentuation des menaces de violence sexuelle en l’absence de services de protection et de soutien dans ces régions. La restriction des déplacements et la fermeture d’Internet entravent l’accès des femmes à l’information, aux soins de santé et à la protection contre la violence sexuelle.
Des dizaines de manifestantes ont été blessées lors des manifestations du 30 octobre 2021 en raison de l’usage excessif de la force par les forces conjointes, dont la police, les RSF et l’armée. Parmi elles, deux femmes à Omdurman et trois femmes à Alfao, dans l’État d’Al Qadarif, dans l’est du Soudan. À Omdurman, la FDDH Anisa Digna a été blessée par balle à l’épaule, et Taysir Ahmed a été blessée à la jambe par une bombe lacrymogène. Dans une déclaration faite le 6 novembre 2021, le Comité des médecins a annoncé que « bon nombre de ces blessées sont dans un état critique et que certaines d’entre elles ont une incapacité permanente ».
Les forces conjointes ont arrêté plusieurs membres du comité de résistance la semaine dernière. Une femme membre du comité de résistance à Khartoum a été détenue pendant 3 jours du 25 au 27 octobre 2021. Elle a été libérée après avoir été mise en garde de ne pas poursuivre son activisme. Des militantes soudanaises qui vivent hors du Soudan ont signalé des menaces et des interrogatoires contre leurs familles restées au Soudan.
Trois militantes syndicales de l’autorité de l’eau de Khartoum ont été arrêtées le 4 novembre 2021, notamment la présidente du Comité de direction des travailleurs de l’autorité de l’eau de l’État de Khartoum, Rasha Al-Moubarak, et deux autres militantes syndicales, Asmaa Osman et Huda Khidir. Le 30 octobre 2021, Sawakin Ishaq, membre du comité de résistance de Zalinji au Darfour central, a été arrêtée, violemment passée à tabac et agressée verbalement par les forces de sécurité.
Amna Almaki, gouverneure de l’État du Nil, est assignée à résidence depuis le 26 octobre 2021. Elle est l’une des deux premières femmes gouverneures de l’histoire du Soudan. Pendant sa détention, elle a reçu plusieurs menaces de la part de membres de l’ancien régime. Elle continue de courir de graves risques de mauvais traitements ; ces derniers jours, des rapports ont confirmé son transfèrement en détention aux services de renseignement militaire.
À Alfao, dans l’État d’Al Qadrif, trois défenseuses des droits humains et manifestantes, dont Tahlil et Qawarir AbdAlrahaman, ont été arrêtées par les forces conjointes de la ville. Le 9 novembre 2021, le Dr. Nazeifa Awad du Comité central des médecins et deux autres FDDH ont été arrêtées lors de manifestations dans la ville d’Alobied, au Kordofan du Nord. Mme Nazeifa Awad a signalé avoir été harcelée sexuellement par des agents de sécurité lors de son arrestation.
Iman Quraini, membre du Comité de Pilotage du Syndicat des Travailleurs de la Banque Saoudienne, a été licenciée pour sa participation à l’organisation de la grève et pour désobéissance civile. D’autres militants syndicaux et travailleurs ont également été licenciés ou intimidés par les autorités pour avoir participé à la désobéissance civile.
Par ailleurs, la WHRD MENA and North Africa Coalition a documenté les violations suivantes : des descentes aux domiciles et des arrestations de femmes et d’hommes, des coupures d’Internet et des lignes téléphoniques, l’utilisation de munitions réelles contre les manifestants, le passage à tabac violent de manifestants et les actions ciblées contre les femmes. Les leaders de Forces of Freedom and Change, notamment l’avocat Taha Othman, Hamza Farouk et Sherif Mohamed Aly, ont été arrêtés le 4 novembre après avoir rencontré un représentant de l’ONU. Le 7 novembre 2021, plus de 90 enseignants ont été arrêtés par l’armée soudanaise, dont 48 enseignantes. Ils ont été arrêtés après que le Comité des enseignants a mené une manifestation pour rejeter le coup d’État. Les enseignants arrêtés ont dénoncé l’utilisation de la violence et des passages à tabac par la police et les forces conjointes. Une enseignante a fait une fausse couche, tandis que la police a cassé les jambes de deux autres enseignants, dont Rihab Hassan. Le Comité des médecins a signalé plusieurs blessures parmi les manifestants enseignants. Les enseignants ont été libérés après avoir passé 5 jours en détention dans des conditions inhumaines. Après leur libération, ils ont été forcés de signer des déclarations indiquant qu’ils cesseraient de participer à des manifestations ou à des activités politiques.
40 personnes ont été tuées au Soudan depuis le début du coup d’État militaire, tandis que plus de 500 personnes ont été blessées. Lors des manifestations du 13 novembre 2021, plus de 215 personnes ont été blessées et 7 ont été tuées. Les forces de sécurité soudanaises ont arrêté 140 manifestants le 13 novembre 2021 dans différentes zones de Khartoum. Parmi elles, 10 enfants ont été détenus à Omdurman, et la police a refusé de les libérer sous caution. Au cours de la manifestation du 17 novembre 2021, environ 150 personnes ont été blessées, mais les chiffres réels n’ont pu être confirmés en raison des coupures de communications.
Nous, les organisations soussignées, appelons :
Le gouvernement soudanais à libérer immédiatement les manifestantes et les FDDH emprisonnées et à fournir des soins aux personnes blessées ;
Le gouvernement soudanais à mettre immédiatement fin aux actions ciblées contre les FDDH, les groupes de défense des droits des femmes et les manifestantes et à protéger les droits des FDDH à défendre et promouvoir les droits des femmes et les droits humains ;
Le Conseil de sécurité des Nations Unies à prendre des mesures pour assurer la protection des femmes dans les zones de conflit et à exhorter les parties concernées par l’accord de paix de Juba à se conformer aux dispositions de l’accord relatives au CSNU no 1325, notamment en assurant une participation efficace, significative et authentique des FDDH, des militantes et des femmes qui assurent le construction de la paix à l’accord de paix ;
Adama Dieng, l’expert nouvellement nommé sur le Soudan, à mener une enquête immédiate sur les violations et les violences sexistes contre les femmes manifestantes et les FDDH, et à engager des consultations inclusives et larges avec la société civile, y compris avec les défenseuses des droits humains ;
Les procédures spéciales de l’ONU pertinentes, en particulier la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes, le Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits humains et le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et d’association, à demander à effectuer une visite au Soudan et à publier une déclaration condamnant les violations croissantes contre les FDDH, les manifestantes et les groupes de défense des droits des femmes au Soudan.
Signé :
Sudanese Women Rights Action
Regional Coalition for Women Human Rights Defenders in MENA
International Service for Human Rights (ISHR)
Association for Women's Rights in Development (AWID)
Sisters Trust, Canada
Front Line Defenders