Déclaration conjointe – Colombie : la défenseuse des droits humains Milena Quiroz Jiménez persécutée et criminalisée depuis plus de 2000 jours dans la région de Sur de Bolivar, en Colombie
Déclaration conjointe – Colombie : Plus de 2000 jours de criminalisation et de persécution contre Milena Quiroz Jiménez, défenseuse des droits humains dans la région de Sur de Bolivar, en Colombie
Le 1 août, une audience aura lieu devant le premier tribunal de Carthagène, qui décidera de la légalité des preuves que les procureurs colombiens utilisent pour criminaliser la défenseuse afro-colombienne des droits humains (FDDH) Milena Quiroz Jimenez.
Le Service international des droits de l’Homme (ISHR), Front Line Defenders (FLD), l’Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains (OMCT/FIDH), Robert F. Kennedy Human Rights (RFKHR) et Dejusticia appellent les autorités à mettre fin à la criminalisation contre la FDDH et à garantir son droit à défendre les droits humains.
Milena Quiroz Jiménez est porte-parole de la Comisión de Interlocución del Sur de Bolivar, Centro y Sur del Cesar, représentante légale de la Cooperativa Multiactiva de Arenal (Comuarenal) et du Consejo Comunitario de Comunidades Negras « Resistencia Cimarrona Casimira Olave Arincon Amela ». Elle est également membre de la Fundación Rescate Cultural (FUREC), et fait partie de la station radio communautaire « La Negrita de Arenal » dans la municipalité d’Arenal, département de Bolivar.
Le mandat d’arrêt contre Milena Quiroz a été délivré en 2017 par le 3e Parquet du Circuit Spécialisé de la ville de Carthagène. Elle a été accusée de « rébellion », de « complot visant à commettre un crime » et de « financement de groupes terroristes », en raison des manifestations qu’elle a organisées en tant que leader social. Lorsque Milena a été provisoirement libérée, avec d’autres DDH détenus, le premier juge pénal du circuit de Cartagena, Freddy Machado, a souligné qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour étayer les accusations, et a remis en question les actions du parquet, déclarant qu’il s’est précipité “pour générer de la publicité et une couverture médiatique au lieu de structurer une mise en accusation plus raisonnable” 1.
Milena Quiroz, ainsi que 11 autres leaders et habitants de Sur de Bolivar, subit des représailles à cause de ses actions de protestation et pour la défense des droits humains : détentions arbitraires, un long processus de criminalisation entaché d’irrégularités, des retards injustifiés, un manque de preuves, et le non-respect des garanties d’application régulière de la loi.
Un juge de contrôle à Carthagène a statué que Milena ne pouvait pas rester dans sa région, elle a donc été contrainte de s’établir en dehors de Sur de Bolivar. Le juge a fait valoir que Milena aurait autrement continué à avoir de l’influence dans sa municipalité, qu’elle aurait été en mesure d’appeler à des marches et qu’elle est “un danger pour la société”. La FDDH a ainsi été assignée à résidence loin de sa famille et de son territoire, ce qui l’empêche de continuer à défendre les droits humains de sa communauté.
En outre, ses audiences ont été reportées à plus de 10 reprises, le parquet a tenté de la stigmatiser en la liant à des groupes de guérilla — ce qui augmente le risque qu’elle soit attaquée — et ses avocats ne sont pas autorisés à accéder à certaines preuves ni à interroger des témoins à charge, ce qui porte atteinte à son droit à bénéficier d’un procès équitable.
La défense de Milena dénonce constamment ces irrégularités, et une enquête criminelle et disciplinaire contre le procureur qui a soutenu cette criminalisation est en cours. Cependant, depuis le 28 mai 2020, il y a plus de deux ans, nous attendons que le juge se prononce sur la dissimulation des témoins et sur le rejet ou non de la preuve du procureur. À ce jour, cela ne s’est toujours pas produit, principalement pour des raisons imputables au parquet et au tribunal de première instance. Nous espérons que lors de la prochaine audience, le 1er août 2022, cette décision sera annoncée, soulignant l’illégalité de la preuve destinée à être utilisée contre Milena et le respect de ses droits.
La poursuite des procédures accentuerait encore la stigmatisation subie par la FDDH ainsi que le risque de nouvelles attaques contre elle, comme en témoigne la tentative d’assassinat dont elle a été victime en décembre 2019, malgré les mesures de protection de l’Unité nationale de protection (UNP), ou le meurtre lamentable de Teófilo Manuel Acuña le 1er mars 2022, qui était lui aussi criminalisé comme Milena.
Le cas de Milena s’inscrit dans un contexte plus large de persécution et de violence contre les DDH en Colombie. Selon Front Line Defenders, en 2021, 138 leaders sociaux et DDH ont été tués dans le pays, ce qui en fait le pays le plus meurtrier au monde pour celles et ceux qui exercent le droit à la défense des droits humains. Les défenseuses et les dirigeantes vivent dans une situation particulièrement risquée et, ces dernières années, il y a eu une augmentation des homicides, des actes de torture, de la violence sexuelle et des menaces contre les dirigeantes et les défenseuses2
Compte tenu de ce qui précède, les organisations soussignées :
Appellent les autorités judiciaires colombiennes à examiner en détail et prendre en compte les vices de procédures signalés contre Milena Quiroz et, par conséquent, abandonner les accusations et les poursuites judiciaires contre la défenseuse.
Appellent le gouvernement colombien à assurer un environnement favorable au travail des DDH, en garantissant leur intégrité physique et en évitant qu’ils soient stigmatisés et criminalisés pour leurs actions.
Appellent la presse nationale et internationale à assister aux audiences afin d’observer les procédures arbitraires intentées contre Milena à cause de ses activités en faveur des droits humains.
Appellent la communauté internationale, les délégations diplomatiques et les ambassades en Colombie à suivre ces procédures et à faire une déclaration appelant à mettre fin à la criminalisation, la violence et la persécution de Milena Quiroz Jimenez et des personnes qui défendent les droits humains dans le pays.
1 Première cour criminelle du circuit de Carthagène, chargée des audiences, 7 novembre 2017, dossier no 13001-60-01129-2015-03910-00, transcription non officielle.
2 Commission interaméricaine des droits humains, Rapport sur la situation des défenseur⸱ses des droits humains et des dirigeants sociaux en Colombie, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 262, 6 December 2019, para. 69.