Un nouvel amendement des règles sur les technologies de l’information qui menace les libertés de la presse doit être retiré
Déclaration conjointe à l’occasion de la Journée de la liberté de la presse
Nous, les organisations soussignées, sommes alarmées par le renforcement du contrôle que le gouvernement a sur le contenu en ligne par le biais de l’amendement des règles draconiennes sur les technologies de l’information — RTI (Intermediary Guidelines and Digital Media Ethics Code) 2023 (The IT Rules, 2023), qui modifie les RTI de 2021 qui étaient déjà problématiques.
Le 6 avril 2023, le ministère de l’Électronique et des Technologies de l’information (MeitY) a annoncé l’amendement autorisant une « unité de vérification des faits du gouvernement central » à identifier le contenu en ligne « concernant toutes activités du gouvernement central » comme étant « faux ou trompeur ». Les intermédiaires en ligne, notamment les plateformes de réseaux sociaux et les fournisseurs d’accès à Internet, seront tenus de retirer tout contenu de ce type. Si les intermédiaires ne suppriment pas ce contenu, ils risquent de perdre leurs protections « safe harbor » (sphère de sécurité), et peuvent être tenus responsables dans une procédure judiciaire pour toute information de tiers hébergés sur leur plateforme. Les règles ont été annoncées sans consultation adéquate et significative avec les journalistes, les organes de presse et les organisations de la société civile.
Les RTI confèrent au gouvernement des pouvoirs de censure arbitraires trop étendus et incontrôlés qui menacent les droits à la liberté d’expression et d’opinion inscrits dans la Constitution indienne et dans le droit international relatif aux droits humains. Cela comprend le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer librement des informations. Ces règles menacent gravement la liberté de la presse et la capacité des journalistes, des écrivains, des activistes, des organisations de la société civile, des défenseur⸱ses des droits humains, des artistes, des politiciens et d’autres à parler librement sur internet. Sous prétexte de lutter contre la désinformation en ligne, le gouvernement indien s’octroie le pouvoir de décider quels renseignements affichés en ligne sont faux ou trompeurs — des termes qui sont intrinsèquement subjectifs et qui n’ont pas de définition juridique claire. En effet, le gouvernement se permet d’être le seul arbitre de la vérité sur Internet.
Le droit international relatif aux droits humains exige que toute restriction à la liberté d’expression et d’opinion ait un but légitime, qu’elle soit prévue par la loi, soit nécessaire et proportionnée. Il est clair que les RTI de 2023 étouffent la dissidence, en utilisant des termes vagues qui vont à l’encontre de l’obligation que les lois soient formulées avec clarté. Bien que les répercussions de la désinformation en ligne sur les droits humains soient importantes, les normes internationales en matière de droits humains indiquent clairement que les interdictions générales de diffusion de l’information, fondées sur le fait qu’il peut s’agir de « fausses nouvelles », ne peuvent être des motifs admissibles de restreindre le contenu. Les RTI de 2023 ne répondent pas à ces critères de but légitime, de légalité, de nécessité et de proportionnalité, et sont contraires aux obligations de l’Inde en vertu du droit international relatif aux droits humains.
Les RTI de 2021 ont largement été critiquées pour leur effet préjudiciable sur la liberté d’expression, la liberté des médias et le manque de responsabilité du gouvernement. Le dernier amendement ne fait qu’exacerber ces préoccupations. Ces règles font l’objet de plusieurs contestations judiciaires devant les tribunaux indiens, et certaines dispositions ont été suspendues parce que, comme l’a indiqué la Haute Cour de Madras, le « mécanisme de surveillance des médias par le gouvernement peut priver les médias de leur indépendance, et le quatrième pilier de la démocratie ne sera peut-être pas là du tout. » Les règles, qui régulent les intermédiaires comme les plateformes de réseaux sociaux et les éditeurs d’informations, sont des tactiques musclées de répression numérique visant à contrôler entièrement le contenu en ligne et les informations numériques en Inde. Les règles conduisent déjà à des signalements de cas de censure excessive du contenu en ligne.
Ces règles sont entrées en vigueur à une période où la liberté de la presse et la sécurité des journalistes sont gravement menacées en Inde. Les journalistes sont victimes de harcèlement, d’intimidation, de campagnes de diffamation, de censure, d’attaques et d’emprisonnement en vertu de lois draconiennes. Les médias font l’objet de raids et de « sondages » de la part d’organismes financiers centraux qui sont employés comme des « armes » pour réprimer les médias indépendants et la société civile. Les perquisitions dans les bureaux de la BBC et l’enquête subséquente lancée contre la maison des médias en sont le dernier exemple ; ces actions ont été intentées après que la BBC a publié « India: The Modi Question », un documentaire en deux parties critique à l’encontre du Premier ministre indien. Des agences financières et d’enquête ont déjà perquisitionné les bureaux des organisations de presse NewsLaundry, The Quint, Greater Kashmir , entre autres.
En outre, la surveillance des journalistes et des militants se poursuit en toute impunité. Ceux qui sont visés par des logiciels espions attendent d’être tenus responsables des violations passées. En 2021, suite aux révélations d’Amnesty International dans le projet Pegasus sur le logiciel espion produit par la société israélienne NSO, la Cour suprême de l’Inde a mis en place un comité technique pour enquêter sur les abus liés au logiciel. En 2022, le comité a terminé son enquête, mais le tribunal n’a pas rendu publiques les conclusions du rapport. La Cour a aussi ajouté que les autorités indiennes “n’ont pas coopéré” aux enquêtes du comité technique.
Dans ce climat de répression et d’impunité croissantes, les RTI, avec ce récent amendement, auront sans aucun doute un effet paralysant sur la société civile, et étoufferont sérieusement les libertés journalistiques. Les règles peuvent être utilisées pour étouffer toute critique légitime du gouvernement indien et de ses politiques.
À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2023, nous exhortons les autorités indiennes à :
Retirer immédiatement l’amendement de 2023 des règles sur les technologies de l’information (Intermediary Guidelines and Digital Media Ethics Code). (The IT Rules, 2023)
Examiner et retirer les dispositions trop vagues de la RTI 2021, qui confèrent des pouvoirs excessifs au gouvernement et mènent à une censure incontrôlée.
Prendre un engagement significatif pour protéger les libertés des médias et veiller à ce que les journalistes puissent faire leur travail librement et sans crainte de persécution.
Veiller à ce que toutes les lois ou réglementations relatives à la gestion des contenus en ligne soient élaborées en consultation avec toutes les parties prenantes, y compris la société civile et les journalistes, et tout en accordant la priorité au droit fondamental à la liberté d’expression.
Signé par :
Access Now
Amnesty International
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
Center for Democracy & Technology
Centre for Law and Democracy
Committee to Protect Journalists (CPJ)
Digital Rights Kashmir
Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
Front Line Defenders
Global Witness
Human Rights Watch
Index on Censorship
India Civil Watch International
International Service for Human Rights (ISHR)
International Press Institute (IPI)
Internet Freedom Foundation (IFF)
Reporters sans frontières (RSF)