Myanmar : la répression brutale et les actions ciblées contre les défenseur-ses des droits humains et la société civile continuent
Front Line Defenders, Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA), Progressive Voice, Civil Rights Defenders, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (OMCT-FIDH) et Reporters sans frontières condamnent les violations flagrantes des droits humains commises par l’armée contre les défenseur-ses des droits humains, les journalistes, les manifestants pacifiques et d’autres membres de la société civile au Myanmar, à la suite du coup d’État militaire du 1er février 2021.
L’armée mène une campagne d’attaques et d’intimidation contre les défenseur-ses des droits humains et les groupes de la société civile afin de faire taire toutes les formes de protestation et de dissidence. Après le coup d’État, des milliers de personnes à travers le pays se sont rassemblées pacifiquement pour protester contre la prise de pouvoir et pour appeler à la fin de la dictature militaire. Deux mois plus tard, alors que les manifestations appelant à la restauration d’un gouvernement civil élu se poursuivent, les représailles violentes et souvent meurtrières contre les manifestants se sont également multipliées. La police et l’armée ont recourt à une force inutile et disproportionnée, arrêtent et détiennent arbitrairement des manifestants pacifiques et soumettent nombre d’entre eux à la torture et à d’autres actes de mauvais traitements, notamment en bloquant l’accès des manifestants aux soins médicaux. Plus de 500 civils ont été tués pendant la manifestation.
Le 14 février 2021, la junte a modifié le Code de procédure pénale pour faire en sorte que plusieurs infractions ne puissent plus faire l’objet de libération sous caution et pour pouvoir mener des arrestations sans mandat. Cela inclut des dispositions qui criminalisent les manifestants pour avoir exercé leur droit fondamental à la liberté d’expression ; quiconque critique le coup d’État militaire par quelque moyen que ce soit est passible de sanctions. Ces amendements ont en outre conduit à des arrestations aveugles, avec plus de 3000 personnes détenues au cours des deux derniers mois. Si bon nombre des personnes détenues ont été inculpées, de nombreuses autres font face à des mandats d’arrêt qui n’ont pas encore été exécutés, et d’autres personnes seraient portées disparues ou ont disparu. Plusieurs sont décédées en garde à vue. Si la répression brutale des manifestations est bien documentée, les impacts sur les défenseur-ses des droits humains qui organisent les manifestations, aident les blessés et enregistrent les violations des droits humains, sont moins bien couverts.
Des organisations de la société civile, des défenseur-ses des droits humains et des journalistes qui ont documenté les atrocités commises par les militaires ont été passés à tabac, détenus, menacés de licenciement ou ont fait l’objet de perquisitions de leurs domiciles ou de leurs bureaux. L’armée a adopté une double stratégie consistant à faire taire impitoyablement les voix indépendantes tout en essayant de répandre la désinformation pour semer la confusion. Les coupures constantes d’Internet et la perturbation du service visant à décourager les manifestations et le mouvement de désobéissance civile1 ont rendu plus difficile l’accès à des informations fiables et rapides. En outre, la surveillance numérique et les couvre-feux entravent davantage les tentatives de vérification et de diffusion des informations. Les transferts de fonds étant bloqués et l’infrastructure bancaire sévèrement limitée, il est de plus en plus difficile pour les organisations de la société civile de poursuivre leur travail vital.
Les actions ciblées contre les défenseur-ses des droits humains les ont contraints de fuir leurs maisons. Des mandats d’arrêt ont été émis contre plusieurs défenseur-ses et membres de la société civile, et beaucoup ont été déclarés fugitifs. Les membres des familles des défenseur-ses des droits humains font également l’objet de menaces, d’intimidation et de harcèlement incessants de la part des autorités. Une quarantaine de journalistes qui couvraient les manifestations ont été arrêtés et plusieurs médias ont été interdits ou fermés. Les défenseur-ses des droits humains dans les zones rurales, y compris les régions de Kachin, Karen, Karenni, Chin et Mon, sont également la cible d’attaques. Les bureaux des organisations de défense des droits humains dans ces zones ont été attaqués et saccagés par les forces de sécurité et des défenseur-ses ont été arrêtés, voire tués, comme en témoigne le meurtre de la défenseuse des droits humains Ma Ah Khu de Women for Justice. Contrairement à certains de leurs collègues des centres urbains, les défenseur-ses des droits humains ont plus de mal à se déplacer vers des endroits plus sûrs, car leurs ressources sont plus limitées.
Le 27 mars 2021, jour de la Journée des forces armées, plus de 110 personnes ont été tuées par les forces de sécurité dans tout le pays, le jour le plus meurtrier depuis le coup d’État. La veille, le 26 mars, la MRTV dirigée par l’État a averti les manifestants qu’ils pourraient être « touchés par une balle dans la tête et dans le dos ». Le 30 mars, l’Association d’aide aux prisonniers politiques (AAPP) a fait état d’un bilan de 521 morts depuis le coup d’État militaire de février.
Le 25 mars 2021, dans une déclaration, le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains au Myanmar, Tom Andrews, a averti que la situation dans le pays « va probablement s’aggraver sans une réponse internationale solide et immédiate pour soutenir les personnes assiégées ».
Front Line Defenders, FORUM-ASIA, Progressive Voice, Civil Rights Defenders, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (OMCT-FIDH) et Reporters sans frontières font écho aux appels du peuple du Myanmar en faveur d’une démocratie fédérale et des droits du peuple à liberté de réunion pacifique, à la liberté d’association et à la liberté d’expression. Nous appelons à la libération immédiate de tous ceux qui ont été arbitrairement arrêtés, y compris les défenseur-ses des droits humains, les journalistes et les membres de la société civile. Nous demandons la fin des actions ciblées et des représailles spécifiques contre les défenseur-ses des droits humains, les journalistes et les membres de la société civile et leurs familles. Les militaires doivent respecter la volonté exprimée par le peuple lors des élections du 8 novembre 2020. Nous exhortons également la communauté internationale à ne pas reconnaître la junte militaire en tant que gouvernement légitime du Myanmar, à imposer un embargo mondial sur les armes au Myanmar, à soutenir le renvoi de la situation du Myanmar devant la Cour pénale internationale, à activer toutes les mesures nécessaires pour exhorter l’armée à se retirer, et à aider à protéger les droits humains dans le pays.
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1 Une résistance pacifique et un refus d'obéir aux ordres des militaires, sans recourir à la violence ou à des mesures actives d'opposition.