Pour marquer une année d’oppression, de nouveaux appels sont lancés en faveur de la suppression de la loi sur la cybercriminalité
Cette semaine marque le premier anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi draconienne sur la cybercriminalité en Jordanie. Cette loi s’avère être un outil de répression employé par l’État pour étouffer la dissidence et restreindre les droits humains des individus sur internet, y compris les droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et au respect de la vie privée. La loi crée un environnement d’autocensure et de peur, fermant l’un des derniers moyens dont disposent les Jordaniens pour s’engager dans le débat public et critiquer les politiques et les autorités publiques.
Nous, les organisations locales et internationales de défense des droits humains soussignées, demandons instamment au nouveau Parlement jordanien d’abroger ou de modifier substantiellement la nouvelle loi sur la cybercriminalité et de veiller à ce que toute législation relative à la cybercriminalité soit pleinement conforme au droit international relatif aux droits humains et aux normes relatives à la liberté d’expression, au respect de la vie privée et des procédures régulières. Nous demandons également aux autorités jordaniennes d’abandonner toutes les charges et de libérer les journalistes, les défenseur·ses des droits humains et les personnes qui ont été arrêtées et poursuivies uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.
La loi sur la cybercriminalité a été adoptée à la hâte par le Parlement jordanien le 27 juillet 2023, sans consultation suffisante de la société civile, des journalistes ou des partis politiques. Elle est entrée en vigueur le 12 septembre 2023, malgré la condamnation générale des groupes de défense des droits humains. La nouvelle loi introduit des amendements à la loi jordanienne de 2015 sur la cybercriminalité. Elle a notamment élargi le champ des infractions pénales avec de nouvelles dispositions pénalisant la « diffusion de fausses informations », « l’incitation à l’immoralité », « l’assassinat en ligne d’une personnalité », la « provocation de conflits », la « menace pour la paix sociale » et le « mépris des religions ». Ces dispositions larges et vaguement définies ne sont pas conformes à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui exige que toute restriction à la liberté d’expression soit conforme aux principes de légalité, de légitimité, de nécessité et de proportionnalité. Au contraire, ces dispositions accordent aux autorités des pouvoirs étendus pour punir les individus qui exercent leur droit à la liberté d’expression.
Les organisations de défense des droits humains ont documenté comment, au cours de l’année écoulée, les autorités se servent de la nouvelle loi sur la cybercriminalité comme une arme contre les journalistes, les défenseur⸱ses des droits humains, les personnes qui expriment des avis dissidents ou des critiques à l’égard des autorités. Selon Amnesty International, les autorités jordaniennes ont inculpé des centaines de personnes au titre de la loi sur la cybercriminalité entre août 2023 et août 2024, notamment des journalistes pour des messages sur les réseaux sociaux dans lesquels ils exprimaient une solidarité pro-palestinienne, critiquaient la politique des autorités à l’égard de Gaza ou appelaient à des manifestations pacifiques. Par exemple :
En février 2024, l’avocat et défenseur des droits humains Moutaz Awad a été arrêté pour avoir publié sur X (anciennement Twitter) des messages critiquant les accords commerciaux des pays arabes avec Israël. En juillet 2024, il a été accusé de « provocation à la sédition ou à la discorde » en vertu de l’article 17 de la loi sur la cybercriminalité et condamné à une amende de 5 000 dinars jordaniens (environ 7 000 USD).
En mars 2024, un journaliste a été interrogé par le département de la sécurité générale, puis par l’unité de lutte contre la cybercriminalité, au sujet de ses activités en ligne et de ses reportages sur les manifestations pro-palestiniennes. Le journaliste a ensuite été acquitté.
En juin 2024, la journaliste Hiba Abu Taha a été condamnée à un an de prison par un tribunal pénal d’Amman en vertu de la loi sur la cybercriminalité pour avoir critiqué « le rôle de la Jordanie dans la défense de l’entité ennemie » dans un article publié en avril 2024. L’article traitait des roquettes iraniennes interceptées au-dessus de l’espace aérien jordanien et visant des sites israéliens. Le tribunal a reconnu Hiba Abu Taha coupable de « diffusion de fausses informations, d’insulte ou de diffamation à l’égard d’une autorité gouvernementale ou d’un organisme officiel », ainsi que d’« incitation à la discorde ou à la sédition, de menace à la paix sociale ou d’incitation à la haine ou à la violence ».
En juillet 2024, le journaliste Ahmad Hassan Al-Zoubi a été arrêté sur la base d’une décision de la cour d’appel datant d’août 2023, dans laquelle il avait été reconnu coupable d’« incitation à la discorde » à la suite d’un post Facebook critiquant la réaction des autorités face aux manifestations contre le prix des carburants fin 2022.
Un an plus tard, il est clair que la loi jordanienne sur la cybercriminalité continue de porter atteinte aux droits humains.
Nous demandons aux autorités jordaniennes de cesser d’utiliser la loi sur la cybercriminalité pour cibler et punir les voix dissidentes et de mettre fin à la répression de la liberté d’expression. Nous demandons également au nouveau Parlement d’abroger ou de modifier substantiellement la loi sur la cybercriminalité et toutes les autres lois qui violent le droit à la liberté d’expression et de les mettre en conformité avec le droit international relatif aux droits humains.
Signataires :
- Ahel (Jordanie)
- Access Now
- American Center for Justice (ACJ)
- Amnesty International
- ARTICLE 19
- Center for Defending Freedom of Journalists (Jordanie)
- Electronic Frontier Foundation
- Front Line Defenders
- Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
- Justice Center for Legal Aid (JCLA – Jordanie)
- Organisation européenne saoudienne pour les droits humains (ESOHR)
- SMEX
- Tamkeen for Legal Aid and Human Rights (Jordanie)