Déclaration Conjointe - Iran: Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU doit organiser une session spéciale sur l’Iran
Nous rédigeons cette déclaration afin d’exprimer nos vives inquiétudes face à la mobilisation par les autorités iraniennes de leur machine répressive bien rôdée pour réprimer de manière impitoyable les manifestations d’ampleur nationale.
Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies doit agir de toute urgence en organisant une session spéciale et – compte tenu de la gravité des crimes relevant du droit international et des graves violations des droits humains perpétrés en Iran et de l'impunité systémique qui prévaut – doit mettre en place un mécanisme indépendant d'enquête, d'établissement de rapports et d’obligation de rendre des comptes
Le mouvement de contestation est né de l’indignation qu’a suscitée la mort en détention de Mahsa (Jina) Amini, jeune femme de 22 ans membre de la minorité kurde, le 16 septembre 2022, quelques jours après son arrestation par la « police des mœurs » pour infraction à la loi discriminatoire et abusive sur le port obligatoire du voile, qui perpétue la violence contre les femmes et les filles en Iran et les prive de leurs droits à la dignité et à l’autonomie corporelle. Les manifestations se sont rapidement étendues à des revendications plus larges pour englober des demandes de changements politiques et sociaux fondamentaux en faveur de la protection et de la réalisation des droits humains.
Les éléments de preuve recueillis par plusieurs organisations signataires de cette déclaration révèlent que les forces de sécurité iraniennes ont délibérément et illégalement tiré des balles réelles et des plombs métalliques, y compris des grenailles, sur les manifestants et les passants, dont des enfants. Les organisations signataires font état d'un nombre croissant de victimes, certaines recensant déjà plus de 200 morts, dont au moins 23 mineur∙e∙s identifiés, au Sistan et au Baloutchistan, au Kurdistan et dans d'autres provinces d'Iran, ainsi que des centaines de blessés, dans le cadre de la répression en cours. Toutefois, les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés et sont en hausse. Depuis le 18 septembre, plus d'un millier de manifestants, de défenseur·ses des droits humains, de militants de la société civile, de journalistes, d'étudiants et d’élèves ont été arrêtés et détenus arbitrairement, certains étant déjà accusés d’« avoir agi contre la sécurité nationale ». Ce cycle de répression meurtrière face à des contestations est quasiment devenu la norme en Iran ces dernières années. Lors des précédentes vagues de manifestations, notamment en décembre 2017-janvier 2018, novembre 2019, juillet 2021, novembre 2021 et mai 2022, plusieurs organisations ont constaté des pratiques similaires généralisées de crimes relevant du droit international et d'autres violations graves des droits humains, tels que des homicides illégaux résultant d'un usage injustifié de la force, y compris de la force meurtrière, des arrestations et détentions arbitraires massives, des disparitions forcées, des actes de torture et mauvais traitements, et des condamnations à de longues peines de prison et à la peine de mort à l'issue de procès manifestement inéquitables.
Sans une action collective concertée de la communauté internationale allant au-delà des déclarations de condamnation et des appels lancés depuis longtemps aux autorités iraniennes en faveur de la tenue d’enquêtes, de nombreux hommes, femmes et enfants risquent d'être tués, mutilés, torturés, agressés sexuellement et jetés derrière les barreaux, et les preuves de crimes graves risquent de disparaître. Les autorités iraniennes n’ont jamais pris en compte les appels du secrétaire général des Nations unies, du haut-commissaire aux droits de l'homme, des multiples procédures spéciales des Nations unies, des États membres et de l'Assemblée générale de l’ONU, qui leur demandent de cesser d’user illégalement de la force, notamment la force meurtrière, contre les manifestants et les passants, et de mener des enquêtes efficaces sur les responsables d'homicides illégaux, d’actes de torture et de mauvais traitements en vue de les poursuivre en justice. Pour dire les choses simplement, toutes les voies de recours permettant d’amener les responsables à rendre des comptes sont bouchées au niveau national.
Ce dernier cycle d’effusion de sang en marge des manifestations en Iran trouve son origine et son essor dans un schéma ancré et ancien d'impunité systémique pour les crimes les plus graves au regard du droit international, que le Conseil des droits de l'homme des Nations unies n'a pas suffisamment pris en compte, étant donné l'ampleur et la gravité des violations passées et actuelles.
Dans ce contexte, nous engageons le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à organiser de toute urgence une session spéciale. Lors de cette session, il doit mettre sur pied un mécanisme indépendant doté de fonctions d’enquête, de compte-rendu et d’obligation de rendre des comptes, afin de traiter les crimes les plus graves au regard du droit international et les autres violations flagrantes des droits humains perpétrés en Iran, notamment dans le contexte des vagues successives de répression des manifestations. Ce mécanisme doit mener des investigations sur ces crimes et violations en vue d’amener les responsables à rendre des comptes, en particulier lorsque les violations s’apparentent aux crimes les plus graves au regard du droit international. Il doit être doté d’un mandat et de ressources suffisantes afin de recueillir et de préserver les preuves, et de les transmettre aux tribunaux et aux instances administratives au niveau national, régional et international qui peuvent faire valoir leur compétence. Ses rapports publics doivent comporter une analyse de la politique qui se traduit par des crimes et des violations des droits humains, ainsi que l’identification des auteurs.
Il importe de mettre en place sans délai un mécanisme doté de ces fonctions afin de compléter le mandat du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Iran, étant donné la gravité et l'ampleur des crimes commis en toute impunité dans le pays. Le rapporteur spécial a souligné qu’il est urgent de « demander des comptes au sujet des événements emblématiques de longue date qui se sont heurtés à une impunité persistante, notamment les disparitions forcées et les exécutions sommaires et arbitraires de 1988 et les manifestations de novembre 2019 ».
Dans sa déclaration devant la Troisième commission de l'ONU en octobre 2021 et dans son rapport de janvier 2022, le rapporteur spécial a évoqué « les obstacles structurels à l’établissement des responsabilités » et noté l’absence de toute avancée ou volonté politique en matière d’investigations, et bien plus encore d’établissement des responsabilités. Il a souligné que dans le cadre du système de gouvernement actuel en Iran, il est évident que parvenir à l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains « devient, au mieux, arbitraire, au pire, impossible » et a insisté sur le fait qu’il « devient impératif que la communauté internationale utilise d’autres canaux existants, notamment lors des forums internationaux […] pour demander des comptes [...] Sans l’implication de la communauté internationale, ces graves violations se poursuivront. »
Les familles de nombreux défenseur·ses des droits humains ont été menacées, alors que les défenseur·ses sont arrêtés avec violence et leurs logements perquisitionnés. Les défenseur·ses et les proches de victimes se font l’écho d’une frustration croissante face à l’incapacité de la communauté internationale à prendre des mesures énergiques pour endiguer les vagues successives d’homicides en marge des manifestations en Iran. Le père de Milan Haghigi, jeune homme de 21 ans tué par les forces de sécurité le 21 septembre, a déclaré : « Les gens attendent des Nations unies qu'elles nous défendent, nous et les manifestant·e·s. Moi aussi, je peux condamner [les autorités iraniennes], le monde entier peut les condamner, mais à quoi ça sert ? » Il est plus que temps pour la communauté internationale d’agir fermement, notamment en mettant sur pied un mécanisme indépendant d'enquête, de rapport et d’obligation de rendre des comptes.
Signataires:
- Abdorrahman Boroumand Center for Human Rights in Iran
- The Advocates for Human Rights
- All Human Rights for All in Iran
- Amnesty International
- Article18
- Article 19
- Arseh Sevom
- Association for the human rights of the Azerbaijani people in Iran (AHRAZ)
- Association for Women’s Rights in Development (AWID)
- Baloch Activist Campaign
- Balochistan Human Rights Group (BHRG)
- Cairo Institute for Human Rights Studies
- Center for Human Rights in Iran
- Centre for Supporters of Human Rights
- CIVICUS
- Ensemble Contre la Peine de Mort
- FEMENA
- Freedom from Torture
- Front Line Defenders
- Global Centre for the Responsibility to Protect
- Gulf Center for Human Rights
- Haalvsh
- Hengaw Organization for Human Rights
- Human Rights Activists in Iran (HRA)
- Human Rights Watch
- Impact Iran
- International Commission of Jurists
- Fédération Internationale des droits de l'homme (FIDH)
- International Service for Human Rights (ISHR)
- Iran Human Rights
- Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC)
- Justice for Iran
- Kurdistan Human Rights Association-Geneva (KMMK-G)
- Kurdistan Human Rights Network
- Kurdpa Human Rights Organisation
- League for the Defence of Human Rights in Iran
- Miaan Group
- Minority Rights Group International (MRG)
- Rasank
- Siamak Pouzand Foundation
- 6Rang (Iranian Lesbian and Transgender Network)
- Women’s International League for Peace and Freedom
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT)