Déclaration conjointe en réponse au dialogue UE-Inde sur les droits humains : appel à l’UE pour lutter contre les représailles à l’encontre des défenseur⸱ses des droits humains en Inde
Selon cinq organisations de défense des droits humains, le communiqué de presse conjoint de l’Union européenne (UE) et de l’Inde, qui résume les sujets abordés lors du 10e dialogue UE-Inde sur les droits humains qui s’est tenu le 15 juillet 2022 à New Delhi, ne s’attaque pas de manière adéquate aux problèmes urgents de sécurité et de représailles auxquels sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains (DDH) en Inde. Les organisations ont exprimé leur déception devant l’apparente incapacité de l’UE à faire part de ses préoccupations concernant les attaques systématiques contre les acteurs de la société civile en Inde.
Alors que les deux parties ont réitéré leur engagement en faveur de la promotion et de la protection des droits humains dans le communiqué de presse conjoint UE-Inde, aucune mesure concrète n’a été mentionnée pour assurer la fin des représailles et de la persécution contre les DDH, la libération des défenseur·ses emprisonnés et pour empêcher l’adoption et le recours abusif de lois restrictives, notamment des lois contre le terrorisme.
Le communiqué de presse conjoint UE-Inde sur le dialogue mentionne spécifiquement « l’importance de sauvegarder la liberté, l’indépendance et la diversité des acteurs de la société civile, y compris les défenseur⸱ses des droits humains et les journalistes, et de respecter la liberté d’association et de réunion pacifique ». Bien qu’il s’agisse d’une reconnaissance importante, elle doit être appuyée par des mesures correspondantes pour mettre fin à la persécution et libérer immédiatement les DDH emprisonnés.
Les défenseur·ses indiens ont besoin d’un soutien immédiat et de la fin des attaques systématiques, des menaces et des arrestations arbitraires. Sur les 16 défenseur·ses arrêtés dans l’affaire Bhima Koregaon, 13 sont toujours en prison. Le 5 juillet 2021, Stan Swamy, 84 ans, est décédé en détention en raison d’un manque de soins médicaux. Il n’y a eu aucune reconnaissance publique de la complicité de l’État dans son incarcération et sa mort. Sur les personnes arrêtées pour avoir participé à la campagne pacifique contre la loi sur la modification de la citoyenneté, six défenseur·ses sont toujours en prison. En novembre 2021, le défenseur des droits humains cachemiri Khurram Parvez a été arrêté et il est toujours incarcéré en vertu de fausses accusations. En juin 2022, Teesta Setalvad a été emprisonnée en représailles directes à sa campagne, qui réclamait des compte et justice pour les victimes des émeutes de 2002 dans le Gujarat. De nombreux autres défenseur·ses, y compris des femmes autochtones qui demandent justice, sont emprisonnés et taxés de terroristes en raison de leur travail en faveur des droits humains. Le communiqué de presse conjoint UE-Inde n’aborde aucun de ces cas ni ne reconnaît l’aggravation générale de la situation des droits humains en Inde.
Le ciblage des DDH est bien connu et a un impact direct sur leur sécurité, leurs familles et les communautés qu’ils représentent. Des engagements vagues en matière de droits humains et de protection des libertés et des défenseur·ses ne suffisent plus. L’ampleur de la violence et des sanctions contre ceux qui défendent pacifiquement les droits humains en Inde exige une réponse proportionnée et publique ainsi que des comptes à ceux qui commettent ces violations continues. Face au mépris flagrant des normes nationales et des engagements internationaux, particulièrement important compte tenu de la place mondiale de l’Inde et de son adhésion au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, l’UE doit prendre publiquement position sur ces schémas de représailles et sur les cas individuels.
Le communiqué de presse conjoint UE-Inde reconnaît également « l’importance de renforcer les mécanismes nationaux et internationaux pour la protection et la promotion des droits humains et le rôle important des institutions nationales des droits humains, des acteurs de la société civile et des journalistes ». Cependant, il ne mentionne pas les lois en Inde qui sont couramment utilisées pour cibler les défenseur⸱ses des droits humains, et l’incapacité de la Commission nationale indienne pour les droits humains à intervenir de manière proactive dans les cas où les DDH sont ciblés. L’utilisation de l’Illegal Activities Prevention Act — UAPA (loi sur la prévention des activités illégales) et de la Foreign Contributions Regulation Act — FCRA (loi sur la régulation des contributions étrangères) et leur impact sur la capacité des DDH à travailler en toute sécurité nécessitent une attention plus directe et publique. La FCRA est utilisée pour bloquer des fonds indispensables, geler des comptes bancaires et soumettre les ONG à des enquêtes, créant un effet paralysant pour la société civile.
Nous considérons que le dialogue UE-Inde sur les droits humains est une occasion pour les deux parties de s’exprimer sur des questions importantes relatives aux droits humains. Cependant, la reconnaissance du travail des défenseur⸱ses des droits humains et des communautés marginalisées dans le pays sera visible en fonction de résultats tangibles, notamment des déclarations publiques qui reflètent des points de référence clairs en matière de droits humains. Ne pas le faire est une occasion manquée et pourrait servir à encourager l’Inde à bafouer les droits humains en toute impunité.
Nous appelons l’UE et les États membres à assurer un suivi solide du dialogue et à s’engager à tenir l’Inde responsable de la façon dont elle traite les défenseur⸱ses des droits humains dans le pays. Le ciblage des DDH par le recours aux institutions nationales, y compris les arrestations arbitraires et l’acharnement judiciaire, doit être fermement condamné et les cas individuels doivent être publiquement soulevés. L’UE doit également soutenir les défenseur⸱ses des droits humains en observant les procès et en leur rendant visite en prison. Pour protéger efficacement les défenseur⸱ses des droits humains, il faut adhérer à des normes concrètes et prendre des mesures au-delà du dialogue annuel sur les droits humains entre les parties.
Signé :
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
CIVICUS : World Alliance for Citizen Participation (Alliance mondiale pour la participation citoyenne)
Front Line Defenders
Organisation Mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains
La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains