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14 Août 2024

Déclaration conjointe de l’Alliance for Human Rights in Afghanistan : Il est nécessaire de repenser d’urgence la réponse internationale à la crise des droits humains en Afghanistan

Trois ans après la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, le 15 août 2021, nous, les organisations soussignées, restons alarmées par le fait que la réponse internationale à l’aggravation des violations des droits humains commises par les talibans, en particulier à l’encontre des femmes et des jeunes filles, est de plus en plus inefficace et parfois même préjudiciable.

Les talibans imposent des politiques draconiennes et des mesures abusives qui violent clairement les obligations de l’Afghanistan en vertu du droit international, y compris le droit international relatif aux droits humains. Ces politiques ont un impact particulièrement dévastateur sur les femmes et les filles, les personnes LGBTQI+, les défenseur⸱ses des droits humains et les minorités religieuses et ethniques.

Les femmes et les jeunes filles, qui représentent la moitié de la population afghane, sont confrontées non seulement à la pauvreté, mais aussi à une violence généralisée et systématique et à des violations de leurs droits fondamentaux, notamment la liberté de circulation, la liberté d’expression et d’association, la participation à la vie publique et l’accès à l’éducation, à l’emploi rémunéré et aux pensions pour les veuves de guerre. Les talibans ont suspendu les lois et démantelé les institutions destinées à protéger les personnes confrontées à la violence sexiste. L’interdiction faite par les talibans aux filles de poursuivre leurs études au-delà de la sixième est en vigueur depuis plus de 1 000 jours et l’accès des femmes à l’université est interdit depuis plus de 500 jours, ce qui fait de l’Afghanistan le seul pays au monde où de telles interdictions sont en vigueur.

Malgré la condamnation internationale, les talibans continuent à émettre de nouvelles ordonnances abusives, notamment en annonçant, en mars 2024, que les femmes peuvent être lapidées à mort en punition de crimes présumés. Dans le même temps, ils intensifient l’application d’ordonnances et d’édits abusifs existants, laissant les Afghans dans un environnement où les règles relatives à ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire évoluent constamment vers plus de sévérité.

Les Afghans qui dénoncent les abus des talibans, notamment les défenseur⸱ses des droits humains, en particulier les femmes, les manifestantes et les journalistes, font l’objet d’arrestations arbitraires, de violences physiques et sexuelles, de détentions arbitraires et indéfinies, de tortures et d’autres mauvais traitements, et leurs familles risquent également de subir des représailles. Les hommes qui n’imposent pas les décrets des talibans à leurs parentes risquent d’être punis. Les personnes LGBTQI+ craignent pour leur vie, car les talibans tolèrent, encouragent et commettent des violences à leur encontre. Les minorités ethniques et religieuses, en particulier la communauté Hazara, sont victimes d’une profonde discrimination de la part des talibans et subissent des attaques ciblées sans espoir de protection ou d’assistance de la part des talibans.

De nombreuses personnes persécutées restent piégées et en grand danger à l’intérieur du pays. D’autres ont tenté de fuir, mais il n’existe que très peu de voies sûres et légales leur permettant de se mettre à l’abri et de se réinstaller. Nombre d’entre eux parviennent à se réfugier temporairement au Pakistan ou en Iran, où les réfugiés afghans sont également confrontés à une escalade des abus, notamment à un risque élevé et croissant d’expulsion vers l’Afghanistan sans possibilité de demander l’asile, le Pakistan n’enregistrant pas les nouveaux arrivants.

La situation est davantage compliquée par la crise humanitaire en cours. Les contributions des donateurs diminuent rapidement. Les agences d’aide sont confrontées à une ingérence intense des talibans dans leur travail. Les femmes ainsi que les ménages dirigés par des femmes sont touchés de manière disproportionnée par la crise, en grande partie à cause des interdictions et des restrictions imposées par les talibans sur l’emploi des femmes dans différents secteurs, y compris en tant que travailleuses humanitaires.

En juin 2024, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Afghanistan, M. Richard Bennett, a déclaré que le système institutionnalisé de discrimination à l’égard des femmes et des filles mis en place par les talibans « constituait en soi une attaque généralisée et systématique contre l’ensemble de la population civile de l’Afghanistan ». Il a appelé le monde à réagir en adoptant des mesures strictes de responsabilisation, notamment en demandant des comptes aux auteurs de crimes contre l’humanité et de persécutions fondées sur le sexe, et en qualifiant l’apartheid fondé sur le sexe en tant que crime au regard du droit international.

Nous avons donc été choqués par la décision de l’ONU d’organiser quelques semaines plus tard la réunion de Doha 3 (une réunion qui s’est tenue du 30 juin au 1er juillet 2024 avec des envoyés spéciaux sur l’Afghanistan du monde entier pour des pourparlers avec les talibans), au cours de laquelle les femmes et la société civile afghanes ont été exclues et l’ordre du jour de la réunion ne comprenait aucun point sur les droits humains ou les droits des femmes. Nous pensons que cette décision de l’ONU a donné aux taliban une énorme victoire sans aucun bénéfice significatif. Elle a trahi les femmes afghanes qui risquent leur vie pour défendre leurs droits et pourrait créer un précédent profondément préjudiciable à la fois à la lutte pour les droits humains en Afghanistan et à l’ordre du jour mondial relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité.

Nous appelons tous les pays à s’unir pour s’attaquer de manière plus urgente et plus efficace à la catastrophe actuelle en matière de droits humains en Afghanistan, en prenant notamment les mesures suivantes :

  1. Demander d’urgence à l’ONU et à tous les autres acteurs de se conformer à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies et de veiller à ce que les femmes afghanes participent pleinement à toutes les discussions sur l’avenir de leur pays ;
  2. Lors de la 57e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, appeler à la création d’un nouveau mécanisme international indépendant de responsabilisation des Nations unies, sur le modèle d’une mission d’enquête ou d’une MIII, afin d’enquêter, de recueillir et de préserver les preuves et de faciliter la responsabilisation pour les crimes passés et les crimes en cours en Afghanistan.
  3. Veiller à ce que la Cour pénale internationale dispose des ressources et de la coopération nécessaires pour remplir son mandat dans toutes les situations décrites au rôle de la Cour, notamment pour enquêter sur les persécutions fondées sur le sexe et d’autres crimes contre l’humanité en Afghanistan, et inciter le procureur de la Cour à examiner les crimes commis par toutes les parties au conflit ;
  4. Soutenir le renouvellement du mandat du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Afghanistan et augmenter les ressources allouées à ce bureau ;
  5. Soutenir le renouvellement de la mission de la MANUA, en conservant intégralement son mandat et ses effectifs en matière de droits humains ;
  6. Soutenir les efforts visant à saisir la Cour internationale de justice sur la base de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en ce qui concerne les violations de la convention par les talibans ;
  7. Soutenir et exercer une compétence universelle ou extra-territoriale au niveau national dans le but d’enquêter et de poursuivre les crimes relevant du droit international commis par les membres de toutes les parties au conflit, y compris les talibans, en particulier les crimes commis contre les femmes et les filles ;
  8. Soutenir les efforts pour aboutir à un traité sur les crimes contre l’humanité et envisager sérieusement la qualification de l’apartheid basé sur le genre en tant que crime contre l’humanité ;
  9. Identifier et utiliser des moyens de pression susceptibles d’influencer les talibans sans nuire au peuple afghan, tels que des sanctions ciblées ou des interdictions de voyager imposées par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, de manière coordonnée et énergique, afin de mettre un terme aux violations des droits des femmes et des jeunes filles commises par les talibans, et indiquer clairement les mesures politiques nécessaires à la levée de ces mesures ;
  10. Soutenir politiquement et financièrement le travail des défenseur⸱ses des droits humains afghans, dans le pays et dans la diaspora ;
  11. Maintenir et accroître l’aide à l’Afghanistan tout en veillant à ce qu’elle soit fournie selon des principes qui évitent de renforcer et d’enrichir les talibans et donnent la priorité à l’aide aux groupes marginalisés par les talibans, notamment les femmes et les jeunes filles, les personnes LGBTQI+, les personnes handicapées et les minorités ethniques et religieuses ; et
  12. Renforcer, élargir et créer des voies sûres et légales pour fuir et demander une protection et une réinstallation pour tous les Afghans qui sont persécutés par les talibans, notamment les défenseur⸱ses des droits humains, les femmes et les jeunes filles, les personnes LGBTQI+ et les minorités ethniques et religieuses. Considérer toutes les femmes et les filles afghanes fuyant l’Afghanistan comme des réfugiés prima facie au titre de la convention sur les réfugiés de 1951 et de son protocole de 1967, en raison de la persécution fondée sur le genre à laquelle elles sont confrontées, comme l’ont déjà fait un nombre croissant de pays et comme l’a recommandé le Rapporteur spécial. La crise des droits humains en Afghanistan, qui ne cesse de s’aggraver, n’est pas seulement un problème pour la population. En tant qu’organisations internationales de défense des droits humains, nous voyons clairement dans notre travail comment l’absence de réponse internationale significative face aux abus commis par les talibans porte atteinte aux droits humains dans le monde. Nous vous demandons instamment d’agir.

Sincères salutations,

  • Amnesty International
  • Freedom House
  • Freedom Now
  • Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)
  • Front Line Defenders
  • Human Rights Watch
  • MADRE
  • Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)
  • Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF)