Déclaration conjointe d’ONG en solidarité avec la défenseuse des droits humains sri-lankaise Ambika Satkunanathan
Nous, les organisations de défense des droits humains soussignées, exprimons notre profonde préoccupation concernant la déclaration faite par le ministère des Affaires étrangères du Sri Lanka le 4 février 2022, dans laquelle le gouvernement a dénoncé le témoignage d’Ambika Satkunanathan, une éminente avocate en droits humains, devant le Parlement européen le 27 janvier. La déclaration du gouvernement constitue clairement un acte de harcèlement et d’intimidation. Nous condamnons les tactiques du gouvernement sri-lankais pour intimider les défenseur⸱ses des droits humains et exprimons notre pleine solidarité avec Mme Satkunanathan, une défenseuse des droits humains bien connue, respectée et courageuse. La cibler pour avoir fourni au Parlement européen un témoignage exact sur la situation des droits humains au Sri Lanka est tout à fait inacceptable et envoie un message effrayant à toute la société civile sri-lankaise, en particulier à ceux du Nord et de l’Est, qui sont déjà soumis à des contraintes considérables sous l’administration actuelle.
Les partenaires internationaux du Sri Lanka, y compris l’Union européenne, devraient condamner publiquement la déclaration du gouvernement sri-lankais et exprimer leur solidarité avec Mme Satkunanathan, qui a été ciblée pour son engagement international, et accroître leurs efforts pour collaborer avec l’ensemble de la société civile sri-lankaise.
La déclaration du ministère des Affaires étrangères contient de nombreuses fausses allégations visant à dénigrer et délégitimer une éminente défenseuse des droits humains, la mettant ainsi en danger physique, en représailles contre son travail courageux. L’affirmation du gouvernement selon laquelle son témoignage « rappelle la propagande des TLET [Tigres de libération de l’Eelam tamoul] qui a jadis attisé la haine parmi les communautés » et que « ces allégations doivent être réfutées dans l’intérêt de l’harmonie sociale » est particulièrement insidieuse et dangereuse.
La déclaration du gouvernement reflète sa pratique répétée qui consiste à confondre faussement les défenseur⸱ses des droits humains et le plaidoyer avec ceux qui ont des objectifs liés au « terrorisme ». Le vocabulaire employé dans la déclaration aligne ces allégations sans fondement avec les dispositions vagues et souvent abusives de la Loi sur la prévention du terrorisme (LPI), exposant Mme Satkunanathan à un risque accru de menaces, d’attaques et de persécution.
Mme Satkunanathan était commissaire de la Commission nationale des droits humains au Sri Lanka avant que l’indépendance de cet organisme ne soit compromise sous l’administration actuelle et elle a dirigé la première étude nationale sur les prisons sri-lankaises. Auparavant, elle a été pendant de nombreuses années conseillère juridique auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme. Elle est l’auteure d’un important rapport récent sur les abus commis pendant ladite « guerre contre la drogue ».
Nous sommes préoccupés par le fait que la déclaration du gouvernement cherche à jeter le blâme sur les défenseur⸱ses des droits humains si l’Union européenne estime que le Sri Lanka n’a pas respecté ses engagements en matière de droits humains en vertu du SPG+, le système tarifaire préférentiel. L’Union européenne devrait rappeler au gouvernement sri-lankais qu’il lui incombe de respecter ses obligations internationales en matière de droits humains. Le traitement que le gouvernement réserve aux défenseur⸱ses des droits humains reflète son manque de respect à l’égard du droit international relatif aux droits humains.
Nous soutenons le témoignage de Mme Satkunanathan devant le Parlement européen, qui a décrit avec exactitude une situation déjà dénoncée par les Nations Unies et de nombreuses organisations nationales et internationales de défense des droits humains. La réponse du gouvernement inclut de nombreuses fausses déclarations, notamment :
- Le gouvernement affirme être « engagé dans une coopération de longue date avec les mécanismes des Nations Unies et le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ». Au contraire, en février 2020, peu après son entrée en fonction, le gouvernement du président Gotabaya Rajapaksa a retiré l’appui du Sri Lanka aux résolutions consensuelles du Conseil, rejetant les engagements pris par le gouvernement précédent. Les titulaires d’un mandat relatif aux procédures spéciales du Conseil ont publié une déclaration le 5 février 2021, soulignant que leurs recommandations, notamment sur la torture, l’indépendance du pouvoir judiciaire, la détention arbitraire, les disparitions forcées, les droits des minorités, la lutte contre le terrorisme, la liberté de religion ou de croyance, ainsi que la liberté de réunion et d’association, ont été ignorées.
- Le gouvernement prétend « renforcer l’état de droit, l’accès à la justice et le fait de rendre des comptes ». Cependant, le président Rajapaksa a fait campagne sur la protection des « héros de guerre » contre les poursuites et a nommé des personnes impliquées dans des crimes de guerre à des postes de haut niveau au sein du gouvernement. Sa commission présidentielle sur la « victimisation politique » a cherché à s’ingérer dans les procédures judiciaires et à bloquer les procès et les enquêtes dans les affaires de droits humains impliquant les associés du président et le président lui-même. Le président a gracié Sunil Ratnayake, l’un des rares membres des forces armées à avoir été reconnu coupable de violations des droits humains, pour avoir assassiné huit civils tamouls, dont des enfants.
- Le gouvernement nie que l’espace civique est de plus en plus restreint, contrairement à ce que Mme Satkunanathan a décrit dans son témoignage. Pourtant, sous le gouvernement actuel, de nombreux défenseur⸱ses des droits humains ont déclaré qu’ils sont constamment victimes d’intimidation de la part du gouvernement, de surveillance intrusive et de tentatives de bloquer leur accès aux fonds. Dans une récente intervention devant le Conseil des droits de l’Homme, la Haute commissaire Michelle Bachelet a écrit que « La surveillance, l’intimidation et le harcèlement judiciaire des défenseur⸱ses des droits humains, des journalistes et des familles des disparus se sont non seulement poursuivis, mais se sont étendus à un plus large éventail d’étudiants, d’universitaires, de professionnels de la santé et de chefs religieux qui critiquent les politiques du gouvernement. » Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, dans sa déclaration de fin de mission en décembre dernier, a documenté l’intimidation de la société civile par le gouvernement et la « réduction de l’espace civique ».
- Le gouvernement affirme qu’il n’y a pas de « preuve concrète de discrimination contre les minorités ». Dans les faits, pendant près d’un an, le gouvernement a interdit l’inhumation de personnes qui auraient succombé au COVID-19, causant une immense détresse au sein de la communauté musulmane, et cela sans aucune justification médicale dans ce qui n’est qu’un exemple de discrimination contre les minorités ethniques et religieuses. Ces inhumations ne sont désormais autorisées que dans un seul site isolé. En janvier 2021, la Haute-commissaire Michelle Bachelet a constaté que « les minorités tamoules et musulmanes sont de plus en plus marginalisées et exclues dans les déclarations sur la vision nationale et la politique gouvernementale… La communauté musulmane du Sri Lanka est de plus en plus un bouc émissaire. » Les conclusions de la Haute-commissaire concordent avec les rapports d’Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres organismes selon lesquels la Loi sur la prévention du terrorisme est utilisée presque exclusivement contre les membres des communautés tamoule et musulmane. Le gouvernement continue de rejeter les efforts visant à commémorer les victimes de guerre appartenant à la communauté tamoule.
- Le gouvernement nie la façon dont Mme Satkunanathan décrit les exécutions extrajudiciaires présumées commises dans le contexte de la « guerre contre la drogue » au Sri Lanka. Cependant, ces abus sont largement documentés. En septembre, la Haute-commissaire Michelle Bachelet a déclaré : « Je suis profondément préoccupée par d’autres décès en garde à vue et dans le contexte des confrontations entre la police et des gangs présumés de narcotrafiquants, ainsi que par les signalements continus de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre. »
La déclaration du gouvernement sri-lankais attaquant Ambika Satkunanathan pour son témoignage devant la Sous-Commission des droits de l’homme du Parlement européen illustre les menaces auxquelles sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains, en particulier lorsqu’ils interagissent avec des forums étrangers et internationaux, et cela montre en outre que le gouvernement refuse de s’attaquer aux graves violations des humains qui se poursuivent dans le pays. Au lieu d’essayer de faire taire ceux qui cherchent à défendre les droits humains, le gouvernement devrait examiner sérieusement leur contribution et prendre des mesures urgentes pour veiller à ce qu’ils puissent travailler dans un environnement sécurisé, sans crainte de représailles.
- Amnesty International
- Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM ASIA)
- La FIDH, dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
- Front Line Defenders
- Human Rights Watch
- International Commission of Jurists,
- International Movement Against All Forms of Discrimination and Racism (IMADR)
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains