Lettre conjointe des ONG à propos de l’Inde au Haut-Commissaire
À
M. Volker Türk
Haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’Homme
Haut commissariat aux droits de l’Homme
Palais des Nations
Genève
Monsieur le Haut commissaire,
Nous, les organisations soussignées, écrivons pour partager nos préoccupations croissantes au sujet de la grave régression des droits humains en Inde et pour demander une action plus vigoureuse du Haut-Commissariat.
Lorsque l’Inde a présenté sa candidature au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour le mandat 2022-2024, elle s’est engagée à « respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains », « favoriser une participation réelle et effective de la société civile, y compris des défenseurs des droits humains » 1. En réalité, cependant, la crise des droits humains en Inde n’a fait que s’aggraver que depuis que l’Inde a pris son siège au Conseil.
Depuis, le gouvernement dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP) a intensifié sa répression contre la société civile, arrêtant arbitrairement et poursuivant les défenseur·ses des droits et les critiques du gouvernement au nom d’accusations fallacieuses, et a utilisé les lois sur le financement étranger et d’autres lois pour fermer les organisations de la société civile. Le gouvernement alimente la discrimination et la violence contre les minorités et les personnes d’autres groupes marginalisés dans le pays. La situation au Jammu-et-Cachemire, comme vous l’avez noté dans votre mise à jour, demeure « préoccupante ». 2 Les institutions autonomes de protection des droits humains, y compris la National Human Rights Commission (NHRC), sont devenues inefficaces en raison de nominations politiques — le Sous-comité de l’accréditation (CSA) de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme a décidé de reporter l’examen du NHRC pour 12 mois (ou deux sessions). 3
Malgré l’engagement pris par le gouvernement indien de coopérer pleinement avec les procédures spéciales de l’ONU, y compris en permettant l’accès à l’Inde, aucune visite de ce genre n’a été facilitée depuis 2017 par un titulaire de mandat. Le gouvernement indien n’a pas encore répondu à 71 demandes de visite et rappels — dont certaines remontent à plus de 24 ans — notamment celles du Rapporteur spécial sur la torture 4.
Compte tenu de l’ampleur des défis, la situation exige une attention soutenue du Haut-Commissariat. Votre leadership sur cette question est crucial. Dans ce contexte, nous avons été déçus que la situation générale des droits humains en Inde ne soit pas incluse dans la mise à jour mondiale que vous avez faite au Conseil des droits de l’homme le 7 mars 2023. Nous espérons que vous planifiez un engagement public sous peu pour signaler les préoccupations du Commissariat, ainsi que son soutien aux défenseur⸱ses des droits humains et à la société civile en Inde.
Nous vous encourageons particulièrement à :
Faire pression sur le gouvernement indien — en public et en privé — concernant les principales préoccupations et recommandations en matière de droits humains énoncées dans l’annexe de la présente lettre, y compris dans le contexte de votre mise à jour au Conseil des droits de l’homme à sa cinquante-troisième session.
Préparer et publier un rapport indépendant sur la situation des droits humains en Inde, avec des recommandations concrètes d’amélioration, conformément à votre mandat indépendant, en vous appuyant sur les précédents positifs sous votre direction (notamment les deux rapports sur Haïti et le récent rapport d’enquête sur le Mali). Cela constituerait un point de référence commun important pour la poursuite de l’engagement et le suivi de votre Bureau et du système plus large des Nations Unies.
Appeler le gouvernement indien à fournir au Haut Commissariat un accès significatif au Jammu-et-Cachemire pour préparer et publier une mise à jour des rapports du HCDH parus en 2018 et 2019. Cela est essentiel compte tenu du manque de suivi de la recommandation formulée dans les rapports visant à établir une commission d’enquête, de l’incapacité de la Commission nationale des droits humains d’intervenir vigoureusement et des défis que doit relever la société civile pour documenter la situation.
Appeler le gouvernement indien à abandonner immédiatement les accusations et à libérer les activistes des droits humains, y compris celles et ceux liés à l’affaire Bhima Koregaon, les manifestants et d’autres voix critiques, notamment ceux qui ont protesté contre les modifications discriminatoires de la loi sur la citoyenneté, et les journalistes et militants du Cachemire, qui sont détenus uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains 5.
Nous serions heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer pour discuter de la stratégie de votre bureau pour faire face à la crise des droits humains en Inde et pour soutenir les défenseurs des droits humains et la société civile dans le pays qui font face à des attaques accrues à cause de leur travail.
Nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération,
Amnesty International
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
Christian Solidarity Worldwide (CSW)
CIVICUS – World Alliance for Citizen Participation (alliance mondiale pour la participation citoyenne)
Front Line Defenders
Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)
Human Rights Watch
International Commission of Jurists
International Dalit Solidarity Network
International Service for Human Rights
Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)
1 Note verbale de l’Assemblée générale des Nations Unies du 16 août 2021 de la Mission permanente de l’Inde auprès des Nations Unies, adressée au Président de l’Assemblée générale, UN Doc. A/76/195, para 33, disponible sur: https://www.un.org/en/ga/76/meetings/elections/hrc.shtml (Consulté le 15 mai 2023).
2 ‘Global update: High Commissioner outlines concerns in over 40 countries,’ Communiqué de presse du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 7 mars 2023, https://www.ohchr.org/en/statements-and-speeches/2023/03/global-update-high-commissioner-outlines-concerns-over-40-countries (Consulté le 16 mai 2023).
3 Rapport et recommandations de la session du Sous-comité de l’accréditation (SCA), Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, février et mars 2023, https://ganhri.org/wp-content/uploads/2023/04/SCA-Report-First-Session-2023-EN.pdf (accessed May 31, 2023). Voir également, ‘Rights Groups Raise Concerns Over India’s National Human Rights Commission’s Record Ahead of its Review,’ Lettre conjointe à la GANHRI, 9 mai 2023, https://www.hrw.org/news/2023/03/09/rights-groups-raise-concerns-over-indias-national-human-rights-commissions-record (Consulté le 31 mai 2023).
4 Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Visites de procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme depuis 1998, https://spinternet.ohchr.org/ViewCountryvisits.aspx?visitType=pending&lang=en, (Consulté pour la dernière fois le 31 mai 2023).
5 ‘UN experts urge Indian authorities to stop targeting Kashmiri human rights defender Khurram Parvez and release him immediately,’ Communiqué de presse du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 22 décembre 2021, https://www.ohchr.org/en/press-releases/2021/12/un-experts-urge-indian-authorities-stop-targeting-kashmiri-human-rights (Consulté le 12 mai 2023).