Lettre conjointe sur l’Afghanistan au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies : Renouvellement du mandat du rapporteur spécial et nécessité de mesures de responsabilisation plus rigoureuses
À l’attention des : Représentants permanents des États membres et observateurs du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies
Le 6 septembre 2022
Afghanistan : Renouvellement du mandat du rapporteur spécial et nécessité de mesures de responsabilisation plus rigoureuses
Excellences,
Les organisations signataires attirent votre attention sur l’état déplorable des droits humains en Afghanistan et, en particulier, sur le manque absolu de responsabilité pour les violations flagrantes et systématiques des droits humains, notamment les crimes relevant du droit international, qui sont perpétrés en Afghanistan, en particulier contre les femmes et les filles, les minorités ethniques et religieuses, les journalistes et les défenseur⸱ses des droits humains.
Pour les raisons exposées ci-dessous, nous appelons à la mise en place par le CDH d’un mécanisme de responsabilisation spécifique, parallèlement au mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan (Rapporteur spécial sur l’Afghanistan), lors de sa prochaine 51e session ordinaire.
En outre, le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Afghanistan, créé par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) lors de sa 48e session, assure un suivi indépendant et crucial de la situation des droits humains en Afghanistan. Le mandat du Rapporteur spécial doit être renouvelé lors de la 51e session du CDH et nous appelons tous les États membres de l’ONU à soutenir le renouvellement de ce mandat.
Les talibans tentent de priver les femmes afghanes de tous les droits et libertés civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils ordonnent aux femmes et aux filles de ne pas sortir de chez elles, sauf si nécessaire, de se couvrir le visage en public et d’être accompagnées d’un mahram (un chaperon masculin). Les femmes perdent rapidement leur capacité de participer à un travail rémunéré à l’extérieur du foyer. L’éducation secondaire des filles n’a pas repris malgré les promesses faites pendant des mois par les talibans, et rien n’indique qu’elle reprendra. Les femmes défenseuses des droits humains, y compris les manifestantes pacifiques, sont la cible de représailles violentes. Ces décrets et pratiques discriminatoires sont appliqués par le recours brutal aux violences publiques.
Le 12 août 2022, un an après la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, un groupe indépendant d’experts de l’ONU, y compris le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’Afghanistan, a déclaré que « Nulle part ailleurs dans le monde il n’y a eu une attaque aussi généralisée, systématique et englobante contre les droits des femmes et des filles. »
Les experts indépendants des Nations Unies ont affirmé qu’« il est temps d’intensifier rapidement les efforts pour assurer que les coupables de violations du droit international relatif aux droits humains et du droit humanitaire rendent des comptes. L’impunité ne fera qu’aggraver la situation des droits humains dans le pays. »
La Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) documente, depuis août 2021, « des allégations persistantes d’exécutions extrajudiciaires, d’arrestations et de détentions arbitraires, ainsi que de torture et de mauvais traitements perpétrés par les autorités de facto ».
Le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’Afghanistan, dans une déclaration à la suite de sa mission de mai dans le pays, a déclaré que
« Les autorités de facto n’ont pas reconnu l’ampleur et la gravité des abus commis — beaucoup d’entre eux commis en leur nom — et leur responsabilité de s’en occuper et de protéger toute la population. L’expert est alarmé par le fait que de nombreuses politiques menées par les autorités de facto et leur volonté de contrôle absolu ont un effet cumulatif sur les droits et créent une société gouvernée par la peur. L’effacement progressif des femmes de la vie publique est particulièrement préoccupant. »
Au cours du débat d’urgence de la 50e session du CDH sur la situation des droits des femmes et des filles en Afghanistan, le Représentant permanent de l’Afghanistan a lancé un appel spécifique au CDH pour établir « un mécanisme de surveillance solide capable de recueillir, de consolider et d’analyser les preuves de violations ; de documenter et de vérifier les informations ; d’identifier les responsables ; de rendre la justice et de secourir les victimes ; et enfin d’émettre des recommandations pour éviter que de nouvelles violations ne soient commises ».
Le CDH, ses membres et les États observateurs ont la responsabilité de fournir une réponse appropriée aux appels des groupes afghans et internationaux de défense des droits humains et des experts des Nations Unies afin que les coupables rendent des comptes.
En 2021, lors de la Session extraordinaire sur l’Afghanistan en août et lors de la 48e session en septembre, la société civile et plusieurs États ont appelé à la mise en place d’un mécanisme d’établissement des responsabilités.
Le mandat du Rapporteur spécial est essentiel pour surveiller et faire des rapports sur la situation des droits humains en Afghanistan, cependant, la situation désastreuse dans le pays et les atrocités dont sont victimes les femmes et les filles justifient une réponse plus énergique qui exige des enquêtes indépendantes approfondies pour jeter les bases afin d’établir les responsabilités. Le Rapporteur spécial n’a actuellement ni le personnel, ni les ressources, ni le mandat pour entreprendre de telles enquêtes approfondies.
Par conséquent, les organisations soussignées appellent le Conseil à mettre en place en parallèle un mécanisme permanent d’établissement des responsabilités avec le mandat spécifique :
d’enquêter sur toutes les violations présumées des droits humains qui constituent des crimes en vertu du droit international en Afghanistan, y compris contre les femmes et les filles ;
de recueillir, consolider et analyser les preuves de ces violations et exactions, y compris en tenant compte de leur dimension genrée, et enregistrer et préserver systématiquement toutes les informations, la documentation et les preuves conformément aux normes du droit international, en vue de toute procédure judiciaire future ;
de documenter et vérifier les informations et les éléments de preuve pertinents, y compris par le biais d’une mission sur le terrain, et coopérer avec les entités judiciaires et autres, nationales et internationales, le cas échéant ;
d’identifier, dans la mesure du possible, les personnes et entités responsables de toutes les violations et exactions présumées.
De plus, les organisations soussignées estiment que le CDH doit être constamment informé de — et discuter de — la situation des droits humains en Afghanistan et devrait demander à être tenu informé par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme et le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan à la fois entre les sessions et lors des 52e et 53e sessions.
Nous vous remercions de l’attention que vous portez à ces questions urgentes et nous sommes prêts à fournir à votre délégation d’autres renseignements, au besoin.
Sincères salutations,
Afghan Women education and vocational services organization (AWEVSO)
Afghans for Tomorrow (A4T)
Armanshahr|OPEN ASIA
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
Civil Society and Human Rights Network (CSHRN)
Commission internationale des juristes (ICJ)
Community Relief and Care Organization (CRCO)
Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)
Freedom House
Front Line Defenders
Human Rights Watch (HRW)
Incident prevention and assistance for People Organization (IPAPO)
International Bar Association’s Human Rights Institute (IBAHRI)
International Service for Human Rights (ISHR)
Justice for All Organization (JAFO)
MADRE
Malala Fund
Noor Educational and Capacity Development organization (NECDO)
Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)
Parniyan Training Centre and Rehabilitation Organization (PTCRO)
Safety and Risk Mitigation Organization (SRMO)
Women Forum on Afghanistan
Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF)
Yaar e.V.